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Oscar Wilde ou l’art avant tout
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Atlantico Litterati

Les éditions Rivages publient en poche « La vérité des masques », d’Oscar Wilde - esquisse d’une théorie de la définition de l’artiste. Le Beau comme une religion. Impressions.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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« L’art ne doit jamais essayer d’être populaire, le public doit essayer de se faire artiste », préconise Oscar Wilde dans « La vérité des masques » (Rivages/La Petite Bibliothèque).Un résumé du livre. Alors que notre hypermodernité se fait moutonnière, et la pensée « unique », l’anticonformisme d’Oscar Wilde(1854-1900) nous fait un bien fou. Enfin quelqu’un de vraiment libre. A la lecture de ce bréviaire follement wildien -qui ravissait Sagan-, surgit au beau milieu des pages éditées par les Editions Rivages( programmes audacieux, pertinents, bouillonnants) une sorte d’appel d’air ; tous les neurones du lecteur sont en alerte, et naît en lui, tout à coup, le désir de fuir les ennuyeux et les ambiances confinées. Avec Wilde, il s’agit de tonifier nos âmes et de muscler nos cerveaux.«  Il faut combattre la tyrannie de l’habitude », renchérit d’ailleurs l’ex étudiant d’Oxford, devenu l’écrivain et dramaturge que l’on sait. Qui n’a été ébloui un jour par l’intelligence coupante du verbe Wildien ?« L’Etat doit s’occuper de l’utile. L’individu doit quant à lui s’occuper du Beau ». Avec les éoliennes, trop tard pour nos paysages.Contrairement aux politiques, Oscar Wilde ne craint pas de déplaire : « La seule chose qui répugne au public, c’est la nouveauté ».Et vlan ! Selon Wilde les seules formes d’art ayant résisté aux « exigences du public » sont celles auxquelles le public ne s’intéresse pas : la poésie, par exemple. Règle de base : devenir qui l’on est. Avoir pour soi beaucoup d’ambition.« Sois toi-même à la perfection, tel est l’enseignement du Christ ».  L’être humain n’atteint cette « perfection » qu’à travers son être, jamais par ses avoirs. « Posséder une passion et ne pas la réaliser, c’est se faire soi-même incomplet et borné », précise encore Wilde. L’illustre dandy voulant partout la suprématie du Beau, donc celle de l’artiste, est soucieux de son apparence car « l’apparence ne trompe jamais » ; d’où l’orchidée à la boutonnière du patron du « Woman’s World »(mensuel pour lequel Wilde désire et obtient des inédits d’écrivains renommés), ("Le dandy doit aspirer à être sublime sans interruption »,rappelle Baudelaire aux émules de l’écrivain Irlandais) «  L’œuvre doit dominer le spectateur et le spectateur ne doit pas dominer l’œuvre. »Telle était la conviction d’ Oscar Wilde, et l’une des formes que revêtait sa passion pour l’art, si bien qu’il incarne à jamais ce supplément d’ âme que possède tout artiste véritable ; selon l’auteur du « Portrait de Dorian Grey » (1891) – son unique et beau roman-rien n’égale l’art, et tout le reste est littérature, y compris ces masques que nous imposent certaines époques compliquées, dont la nôtre. « L’homme est moins lui-même lorsqu’il parle en son nom. Donnez-lui un masque et il vous dira sa vérité. » A Londres, Paris et New York, cet « influencer » avant l’heure qu’est Wilde s’affirme comme un formidable théoricien de l’art. Le meilleur, sans doute, en particulier concernant l’art de Shakespeare ,qu’Oscar Wilde décrypte « from the inside », dirait-on, tant il chérit, parmi tous les artistes de tous les temps, sculpteurs, écrivains, musiciens, poètes, romanciers, comédiens, le Maître de Stratford-upon-Avon. Il se plait aussi à évoquer la « Poétique » d’Aristote (cf. l’effet éthique de l’art, son rôle dans la formation du caractère, et cite ces écrits de Platon évoquant le lien entre Beauté et Vérité).Politiquement parlant, Wilde est un anarchiste tendance rêveur et utopiste. Pour le commun des mortels, il apparaît tel un snob aux idées farfelues : «La critique est une création dans la création ». Ainsi, pour Oscar Wilde, la prose de Ruskin sur Turner est-elle une œuvre en soi. Les qualités essentielles du critique ? 1)Avoir du tempérament 2) Posséder un instinct esthétique sûr. « Lorsqu’un très grand acteur joue Shakespeare, l’individualité de cet acteur devient une partie essentielle de l’interprétation » (précision que me donna jadis et naguère cet immense acteur qu’est Delon, évoquant ses interprétations d’œuvres signées Visconti, Melville et Losey, entre autres géants, au cours d’une interview sur son art, chez lui, à Douchy).

La définition que donne Oscar Wilde de la littérature ? Une critique de la vie. D’où sa passion pour la scène (« réunion de tous les arts, mais aussi retour de l’art à la vie », et les personnages : « Les seuls êtres réels sont ceux qui n’ont jamais existé ». Chez les écrivains français, Wilde n’a aucune estime pour Zola, adore Balzac, Baudelaire et tient, bizarrement, George Sand en grande estime.

De 1892 à 1897,et peu après le triomphe de sa pièce L'Éventail de Lady Windermere,Oscar Wilde voit sa vie basculer. Il subit deux procès.L’homosexualité étant alors une sorte de crime, Wilde sera emprisonné,  martyr de la bien-pensance de son temps.

« Peut-être ne paraît-on jamais si parfaitement à l'aise que lorsqu'on joue un rôle », affirme –t- il encore dans « La Vérité des masques », au sujet des comédiens. « « Le public idéal ? Un tempérament capable de recevoir dans un milieu imaginatif et sous des conditions imaginatives des impressions neuves et belles ». 

« En lisant et relisant Oscar Wilde au cours des années, je me suisaperçu de quelque chose qui semble avoir échappé à tous ses admirateurs : Wilde a toujours raison »,constate avec ferveur Jorge -Luis Borges (1899-1986) au sujet de « La vérité des masques » .Mais ce sont les pages consacrées au théâtre élisabéthain qui forment le meilleur de ce recueil. Car si tout le livre est un régal, les pages dévolues à Shakespeare sont éblouissantes. Oscar Wilde vouait à Shakespeare (1564-1616)une passion indéfectible. Qui peut comprendre le Shakespeare d’Hamlet aussi bien que le Wilde de « L’importance d’être Constant ? » Personne. Cet amour (il n’ y a pas d’autre mot) qu’éprouve Wilde pour la littérature de Shakespeare embrase les pages et « La Vérité des Masques » se met à flamber. Nous, lecteurs, brûlons aussi, car la passion littéraire est communicative ; nous parvenons ainsi, éberlués et ravis, jusqu’à cette histoire entre le dramaturge de Stratford –upon - Avon et le meilleur de tous les comédiens de sa troupe: le sublime Willie Hugues « qui aurait inspiré à Shakespeare tous ses personnages féminins », ce que Wilde a réalisé à la lecture des fameux « Sonnets » (Oscar Wilde reconnaît n’avoir aucune preuve de l’existence de ce jeune génie dont Shakespeare se serait follement épris, sinon celle que lui apporte son intuition d’écrivain). Shakespeare, dramaturge mythique, sans doute le premier de toute l’histoire du théâtre, metteur en scène de ses pièces, et amoureux fou de son meilleur comédien ? Et lui, ce magnifique interprète de Shakespeare, aussi génial dans le genre comédien que le Maître l’est dans le genre dramaturge, sait mieux que tous les autres pourquoi le rire des sorcières dans Macbeth est aussi terrible que le ricanement de la folie dans le Roi Lear : quel chef-d’œuvre ! : « Tu t’étais penché au-dessus d’un étang immobile, dans un bosquet grec, et tu avais vu dans le silence argenté de l’eau cette merveille qu’est ton visage. »Vrai ou faux, c’est beau.

La vérité des masques/ Oscar Wilde/ Editions Rivages/La Petite Bibliothèque/ 399 pages/8 euros

Lire aussi

Aristote à l’heure du thé et autres essais d’Oscar Wilde, traduits et présentés par Charles Dantzig (Cahiers Rouges/Grasset)

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