Mettre un nom sur chaque visage : la technologie que Google et Facebook n’ont pas osé sortir <!-- --> | Atlantico.fr
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Les technologies de reconnaissance faciale s’appuient sur les spécificités biométriques de chaque visage humain.
Les technologies de reconnaissance faciale s’appuient sur les spécificités biométriques de chaque visage humain.
©Justin TALLIS / AFP

Reconnaissance faciale

Facebook et Google ont mis au point, il y a des années, une technologie de reconnaissance faciale permettant de mettre des noms sur un visage.

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

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Atlantico : Facebook et Google ont mis au point, il y a des années, une technologie de reconnaissance faciale permettant de mettre des noms sur un visage. De quoi s’agit-il exactement ?

Thierry Berthier : Les technologies de reconnaissance faciale s’appuient sur les spécificités biométriques de chaque visage humain. Elles mettent en œuvre différentes technologies algorithmiques dont celles issues de l’apprentissage automatique. Elles permettent d’identifier ou d’authentifier un individu, avec une certaine probabilité, à partir d’un ensemble de données spécifiques caractérisant son visage de manière unique. Ces caractéristiques peuvent être la mesure du menton entre deux points fixés, l’écartement des yeux, la mesure des arêtes du nez, l’écartement des oreilles ou la commissure des lèvres. Ce corpus de métriques permet d’identifier une personne avec une très bonne probabilité. La reconnaissance faciale répond à la question de l’identification : Qui est cette personne ? Elle répond aussi et à la question de l’authentification : cette personne est-elle bien celle qu’elle prétend être ?

- L’identification s’effectue en comparant l’image du visage de l’individu à identifier à des bases de données de visages référencés. On utilise pour cela des mesures de similarités calculées sur les caractéristiques du visage.

- L’authentification s’effectue en comparant l’image de l’individu à identifier à l’image enregistrée de l’individu qu’il prétend être. Là aussi, le processus s’appuie sur des mesures de similarités.

La biométrie faciale s’appuie sur différents types de capteurs 2D, 3D, caméras pour scanner le visage puis le comparer à une base de visages identifiés qui peut contenir des millions d’enregistrements. Elle peut d’ailleurs être complétée par d’autres signatures biométriques comme la voix, l’iris ou les empreintes digitales.

Les algorithmes de reconnaissance faciale existent effectivement depuis plus d’une décennie. L’algorithme GaussianFace a été produit en 2014 par un laboratoire de recherche japonais avec un score de reconnaissance de 98,52%. La même année, Facebook a lancé son programme DeepFace permettant d’associer deux images de visages d’une même personne avec plus de 97% de réussite. En 2015, Google a présenté son système FaceNet affichant une performance de reconnaissance à 99,63%. Amazon a développé son système en 2018 avec une capacité de reconnaissance simultanée de 100 personnes dans une même image. En 2018, le NIST a publié une comparaison des performances de 128 algorithmes de reconnaissance faciale disponibles. Durant les six dernières années, la précision des solutions de reconnaissance faciale a été multipliée par 50… En 2014, le taux d’échec moyen des solutions était de 4% sur une base de référence de 26,6 millions de visages. Ce taux d’échec est tombé à 0,2% en 2018 puis à 0,08% en 2021, notamment grâce aux progrès rapides de l’intelligence artificielle (computer vision, réseaux de neurones).

L’apprentissage automatique se situe au cœur des techniques de reconnaissance faciale et contribue à doper les performances des systèmes biométriques. Les solutions mises en production concernent de nombreux secteurs d’activités de confiance : la sécurité publique, le contrôle aux frontières, la délivrance de papiers d’identité, le contrôle de police, le contrôle aéroportuaire, les paiements sécurisés. Il existe un grand nombre de solutions commerciales de reconnaissance faciale mais également des solutions issues de bibliothèques open-source performantes qui évitent de redévelopper des composantes déjà optimisées. La reconnaissance faciale devient accessible à partir de briques technologiques à intégrer.

Alors que cette technologie pourrait être une aubaine pour les personnes souffrant de cécité, elle n’a jamais été commercialisée. Comment l’expliquer ? Quels sont les risques d’une telle technologie ?

La reconnaissance faciale a été et reste un segment technologique « sulfureux » qui suscite encore de la méfiance et parfois du rejet de principe. La première des raisons de cette méfiance est qu’elle symbolise, dans l’inconscient collectif, l’outil emblématique de la surveillance de masse déployé dans une société liberticide. On pense naturellement à la Chine qui a généralisé l’usage de la reconnaissance faciale dans les lieux publics depuis plus d’une décennie et qui a couplé cet outil aux différents systèmes de notation sociale du citoyen chinois. Le paradoxe est qu’en Chine, la reconnaissance faciale est massivement adoptée et validée par la population qui voit en elle un outil de sécurité et de paix sociale. En Europe, la reconnaissance faciale se heurte facilement aux lois et normes européennes, au RGPD, et aux réticences des populations qui aspirent au respect de leur « Privacy » notamment dans l’espace public. Tout dépend en fait du cadre d’emploi et du cas d’usage métier associé à un système de reconnaissance faciale. S’il s’agit d’une application de sécurité dans un aéroport avant de prendre un avion, le cas d’usage est en général bien accepté par l’usager. Par contre, ce même usager va certainement refuser qu’une caméra au centre-ville positionnée dans une rue passante, embarque des fonctionnalités de reconnaissance faciale au service de la sécurité urbaine. Tout est question de cadre d ’emploi et de contexte en Europe et aux Etats-Unis. Les lois qui garantissent la liberté et la Privacy du citoyen sont souvent un obstacle au déploiement à grande échelle de ces technologies. Cette méfiance généralisée a des effets collatéraux sur le non déploiement de la reconnaissance faciale sur des cas d’usage pourtant admissibles, utiles et qui ne remettent pas en cause la vie privée. L’exemple des applications à destination des personnes non voyantes montre bien cet effet de bord. Plusieurs grandes compagnies du numérique [2] ont renoncé à déployer des systèmes de reconnaissance faciale pour les non-voyants en se retranchant derrière un principe de précaution et en voulant éviter un futur procès ou une classe action aux Etats-Unis. Google et Facebook ont été les premiers à développer des solutions de reconnaissances faciales très performantes mais aussi les premiers à mettre un terme à leur déploiement. A ce titre c’est une forme de paradoxe technologique qui peut évoluer dans le temps avec l’évolution de la société.

Malgré tout, une technologie similaire pourrait-elle émerger dans les années à venir ? Quelles pourraient être ses applications ?

Oui, très certainement. Les convergences technologiques, les révolutions de la robotique et de l’Intelligence Artificielle font bouger les lignes au sein des populations. Selon les classes d’âge, et les cultures locales, les technologies de reconnaissances faciales sont parfois mieux acceptées. La montée en puissance des robots humanoïdes, robots domestiques, robots d’assistance, robots compagnons va nécessairement faire le bouger le curseur d’acceptabilité des composantes de reconnaissance faciale. Le robot devra toujours être capable de reconnaitre et d’authentifier son propriétaire humain pour lui obéir et ne pas être détourné ou piraté par un tiers. Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que les lois d’Asimov en robotique induisent intrinsèquement l’usage de reconnaissance faciale pour qu’un robot puisse les respecter (!) :

Loi-1 : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ;

Loi-2 : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ;

Loi-3 : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.

Dans chacune de ces lois, le robot doit pouvoir reconnaitre qu’il a affaire à un être humain (et pas à un autre robot qui se ferait passer pour humain). Le robot doit obéir à son maitre humain, il doit donc être en mesure de l’identifier avant de lui obéir.

Qu’il s’agisse de robots agricoles, de drones aéroterrestres, de robots chirurgicaux ou de robots du BTP, ils doivent pouvoir s’authentifier et reconnaitre leurs superviseurs humains. Là encore la reconnaissance faciale embarquée est nécessaire. 

Bien entendu, il faut que ces technologies respectent une charte éthique qui préservent l’utilisateur de dérives potentielles. On peut faire confiance au législateur européen pour construire des cadres et des normes adaptées. L’Europe est le leader mondial en la matière…

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