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Marina Tsvetaeva, la sœur d’Orphée
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Vent d'ailleurs

Le 28 mars 1941, Virginia Woolf se donnait la mort. La romancière britannique avait 59 ans. Le 31 août de la même année, Marina Tsvetaeva faisait de même, au seuil de ses 49 ans.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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La mort de la poétesse russe passa toutefois inaperçue. Il n’y eut personne pour s’en émouvoir. Et pour cause : personne ne la connaissait. A quoi s’ajoute que, depuis le 21 juin, avait retenti à travers le monde la déflagration de l’opération Barbarossa. L’URSS connaissait l’invasion de son territoire par les troupes d’Hitler. Alors le destin d’une poétesse ! Et pourtant la femme esseulée qui venait de mourir dans une ville du Tatarstan, symbolisait les secousses de son siècle. Son nom, depuis lors, n’a cesse de croître. Comment expliquer que celle à qui on avait refusé un poste de plongeuse dans une cantine, continue d’être publiée, traduite et commentée ? Et, à l’inverse, comment expliquer que l’auteur de chefs-d’œuvre de poésie lyrique, comme « Poème de la montagne » ou « Poème de la fin » ait pu finir si loin de tous, dans la plus grande solitude ? Marina Tsvetaeva fait, certes, partie de la cohorte des écrivains suicidés par la société comme Sergueï Essenine, René Crevel, Walter Benjamin, Stig Dagerman ou Sylvia Plath. Mais cette place de choix n’a pas été recherchée. Car Marina Tsvetaeva a d’abord été une personne aimant la vie, et l’exaltant dans une œuvre dont le symbole pourrait être le feu. Au XXe siècle en Russie ne se compare à elle qu’Anna Akhmatova, l’autre voix altière qui a su capter avec un génie tous les mystères de l’âme. 

Double fatalité

Marina Tsvetaieva naît dans un milieu favorisé et éclairé : son père est à l’origine de l’actuel Musée Pouchkine de Moscou. Sa mère la rêve pianiste. D’emblée, elle sait que la poésie sera son mode d’être : non pas une manière de dire des pensées, mais de vivre au plus près de son souffle, de son cœur. Elle a la chance de voyager – en Suisse, en France. Elle découvre des réalités qui font d’elle, mieux qu’une russe, une européenne. Jusqu’au retournement dû à la Révolution de 1917. De ce moment, Marina Tsvetaeva connaît une double fatalité : redevenir une russe - plus russe qu’une soviétique -, et bientôt connaître, dans l’exil dû à l’engagement de son mari auprès des Blancs, la suspicion des gens de gauche, puis de l’émigration avec laquelle elle ne partage rien. Une mésaventure qui arriva aussi à Vladimir Nabokov. A quoi s’ajoute le premier de ses grands malheurs, à savoir la mort de sa fille de trois ans, Irina, morte de faim dans un asile. « On n’a jamais eu un enfant, consignera-t-elle, on l’a toujours. » Une nuit de juin 1918 à Moscou, Marina Tsvetaeva avait noté : « J'ai la lune juste en face. J'essaie de l'attraper dans le miroir d'argent de ma bague. » Bientôt, ce sera le monde entier qu’elle va tenter attraper dans ses vers et ses lettres : le monde et son envers, les désirs et les rêves. Bien que mariée, elle ne cesse de faire des rencontres amoureuses, de Boris Pasternak à Rainer Maria Rilke. Que ces idylles soient cérébrales ou vécues, l’amour est pour elle une manière incandescente d’avancer « sur le chemin du soupir. » « La passion sexuelle est avant tout un incendie de l'âme », écrit-elle. « Je ne suis pas une héroïne galante, je ne m'abandonne jamais à l'amant, mais toujours à l'Amour », avoue-t-elle encore en 1918. « Aimer seulement le même sexe que le sien, quelle angoisse ! Mais aimer seulement le sexe opposé, quel ennui ! » Et son mari ? Il confie à son sujet dans une lettre à un ami : « Marina est un être de passion. C’est un incendie à qui le bois est sans cesse nécessaire et les cendres superflues. »  

L’amour de l’amour

Pendant 14 ans, jusqu’en 1939, Marina Tsvetaieva va vivre en France. Dans des conditions de misère absolue, et une absence de reconnaissance de son génie qu’on peut dire totale. « Affaires de pauvres ! Une nasse / Est-elle un objet ? Un objet – cette planche ? / Les affaires des pauvres – les os et la peau. / Peu de chair – que du chagrin », lit-on dans un poème de 1926. Mais ce qui la tient est son amour de l’amour. Aux dernières limites, et jusqu’à l’impossible. Un amour qu’elle traduit dans des vers qui répondent aux vœux de la définition de la beauté selon André Breton : « explosante-fixe ». Pour elle, la vie ne vaut d’être vécue que pour permettre au poète de « rebaptiser le monde », à la façon d’Adam dans le jardin d’Eden. « Je reviens à la maison, non pour tromper / ni pour servir -  je n’ai pas besoin de pain. / Je suis ta passion, ta renouée du dimanche,  / Ton septième ciel et ton septième jour. » Et encore : « Je n’ai pas suivi la Loi, je n’ai pas communié. / Et jusqu’à l’heure dernière je pécherai / Comme j’ai péché et pécherai encore / Avec passion ! Par tous les sens que Dieu me donne. » Ce qui ne l’empêche pas d’écrire à Rilke : « Nous nous touchons, comment ? Par des coups d’aile. Rainer, Rainer, tu m’as dit cela sans me connaître, comme un aveugle (un voyant !), au petit bonheur. (Pas de meilleurs tireurs que les aveugles !) Demain, c’est l’Ascension du Christ. Comme c’est beau. Le ciel dans ces mots ressemble à mon océan. Et le Christ - cingle. » Maria Tsvetaeva vit telle une salamandre au foyer d’un incendie perpétuel.

Retour en URSS

Hélas, son mari, Serguei Efron décide de rentrer en URSS. Pour y parvenir, il accepte de travailler au service de la police politique soviétique.  Lui qui avait combattu les bolchéviques doit à présent se faire pardonner, pour espérer pouvoir retourner dans un pays qui lui manque. Marina Tsvetaeva marque son désaccord, mais elle a bientôt contre elle son mari et Alia, leur première fille. En 1937, Serguei Efron doit fuir précipitamment en URSS où il rejoint Alia, également rentrée. Rejetée par les milieux des Russes émigrés, Marina Tsvetaeva se voit obligée de rentrer à son tour en 1939. Peu après, son mari et sa fille sont arrêtés et accusés d’« espionnage ». Marina Tsvetaeva survit en faisant des traductions. Après l’invasion de l’Union soviétique par l’armée allemande, elle fuit Moscou avec son fils et se retrouve dans la bourgade d’Elabouga. Désespérée, elle met fin à ses jours le 31 août 1941. Son mari sera fusillé en captivité en octobre 1941, sa fille restera au camp jusqu’en 1955 et son fils sera tué au front en 1944. Une série d’épilogues tragiques qui paraphent de sang une vie sans limite. Pour autant, ce qui frappe chez Marina Tsevtaieva, c’est d’abord sa force : pour elle, la poésie n’est pas un mot, c’est une ressource spirituelle, une manière de convertir la vie en puissance. Qu’on en juge par l’étendue de l’œuvre, où la hauteur d’inspiration n’a d’égale que la vision. Rien de ce qu’elle a vécu n’a été vécu dans la demi-teinte ou la pleurnicherie : dans la joie, le refus, le Oui, le Non, un absolu rendu tangible, faisant d’elle non une poétesse, mais la Poésie.

Pauline de Préval


Pour aller plus loin :

« Les grands poèmes » ; Marina Tsvetaeva (trad. Véronique Lossky) ; Editions des Syrtes

« Marina Tsvetaeva – Boris Pasternak : correspondance 1922-1936 » ; Editions des Syrtes

« Est-ce que tu m’aimes encore ? » ; Marina Tvetaeva, Rainer Maria Rilke ; Rivages poche / Petite bibliothèque Payot

« Marina Tsvetaeva, mourir à Elabouga » ; Vénus Khoury-Ghata ; Mercure de France

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