Les autorités civiles et militaires de Toulon jouent leur 6ème crise nucléaire les 22 et 23 novembre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le sous-marin nucléaire d'attaque de classe Barracuda de la marine française, le Suffren, ici à quai dans la rade de Toulon, le 6 novembre 2020
Le sous-marin nucléaire d'attaque de classe Barracuda de la marine française, le Suffren, ici à quai dans la rade de Toulon, le 6 novembre 2020
©NICOLAS TUCAT / AFP

PPI Toulon 2023

Un exercice nucléaire à dominante sécurité civile est programmé les 22 et 23 novembre 2023. Il a pour objet de tester le plan particulier d’intervention du port militaire de Toulon qui serait mis en œuvre en cas d’évènement radiologique.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Il était une fois un plan ORSEC-nucléaire connu sous le nom de Plan Particulier d’Intervention – PPI – dont l’évolution permanente tenait non pas aux progrès de la connaissance du risque et de la prévisibilité accidentelle, non pas aux enseignements pratiques, techniques et même théoriques qu’on aurait dû tirer des précédentes simulations de crise… mais à la perception relayée par les pouvoirs publics qu’avaient de ce risque les auteurs partisans et médiatiques du discours dominant, au gré de l’exploitation émotionnelle de certains évènements, des sondages d’opinions en découlant et finalement des échéances électorales.

Composition de l’organisation de crise nucléaire française

Le déploiement synergétique de cette organisation est partout confié à deux structures : le PUI – le Plan d’Urgence Interne – et le PPI. Limitée au périmètre de l’Installation Nucléaire de Base, ici l’INBs de Toulon, la mise en œuvre du premier est de l’entière responsabilité de l’exploitant, la Marine Nationale en l’occurrence. Les prescriptions de gestion accidentelle s’imposant à elle supportent largement l’analogie avec celles imposées à l’exploitant EDF (1). Le PPI, quant à lui, est un plan de protection civile de la responsabilité exclusive d’un préfet de département dont la mandature locale n’est en moyenne que de deux ans, tant en ce qui concerne le contenu qu’en ce qui concerne la mise œuvre requise lorsque l’accident en vient à menacer la sécurité sanitaire des populations civiles.


Principales dispositions composant le PPI toulonnais initial

Topographie du risque ou localisation des 3 pôles de la base marine d’où peut émaner le danger :

-La base Missiessy des sous-marins ;
-L’appontement Milhaud réservé au porte-avion Charles De Gaulle ;
-Le bassin Vauban d’entretien de ce dernier

Deux périmètres de sécurité respectivement de 500 mètres et de 2 Km, centrés sur chacun de ces sites, furent établis : le périmètre d’urgence à l’intérieur duquel toute présence humaine est justiciable d’une possible évacuation et le périmètre de mise à l’abri et à l’écoute. On ne trouve de population civile que dans le périmètre d’urgence de la base Missiessy des sous-marins, une population de surcroît peu nombreuse.

Nature du risque

Hypothèse accidentelle retenue comme risque de référence : brèche aux conséquences incontrôlées sur le circuit primaire de la chaufferie d’un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), responsable du rejet d’une dose efficace de 5 mSv à 500 mètres du point d’émission, de 1,5 mSv à 1000 mètres, et d’une dose équivalente de 100 mSv à la thyroïde à 500 mètres, de 35 mSv à 1000 mètres.


Prévention et contremesures sanitaires

-Mise à l’abri à partir d’une dose efficace de 10 mSv ;
-Évacuation à partir d’une dose efficace de 50 mSv ;
-Administration d’iode stable à partir d’une dose équivalente de 100 mSv à la thyroïde.



Une Commission d’Information du port militaire de Toulon dispensée du retour d’expérience des exercices de 2007, 2010, 2013, 2016 et 2019

Le déroulement de l’exercice hors sol de décembre 2019 a donné à voir ce qui fut à déplorer chez ses quatre prédécesseurs : la déconnection du vraisemblable technique, sanitaire et sociologique. Aucun ne fut en effet l’exercice de simulation accidentelle dont la vocation est d’entraîner les défenses active et passive contre le danger radioactif, de même et surtout que les victimes potentielles de ce dernier à adopter des comportements réflexes efficaces et proportionnés au risque réel. Sans surprise, le retour d’expérience attendu des experts, depuis 2007, fait ainsi gravement défaut, auquel, exercice après exercice, les opérateurs devraient pourtant se référer pour se garder des insuffisances, des oublis et des errements passés.  

L’auteur de ces lignes tient à la disposition des autorités compétentes le compte rendu détaillé que les membres du Collectif qu’il préside ont fait, au titre d’observateurs officiels, de chacune des 5 mises en scènes médiatisées. Ces observateurs furent particulièrement attentifs à la démagogie de dispositions qui, dans la réalité, n’auraient eu aucune chance de se justifier, ni même d’être acceptées par la population, démagogie dont ceci témoigne :
Le 13/12/2019, 1200 personnes et 900 véhicules militaires sont censées avoir été évacués avant un rejet de 10 mSv, dans un rayon de 300 mètres centré sur le point d’émission, 8000 personnes avoir ingéré les comprimés d’iode et été mises à l’abri dans un rayon de 2 Km. En conférence de presse post-accidentelle, le Directeur des Opérations de Secours (DOS) – le préfet du Var ou son adjoint – n’a pas craint de décréter ceci : « interdiction sine die de consommer et de commercialiser tout légume, produit potager et produit de la mer, au-delà de la zone des 2 Km ; interdiction de baignade dans la petite rade ; recommandation d’hygiène stricte et de décontamination soigneuse des vêtements ; contrôle radiologique obligatoire de 8000 à 10000 personnes durant les 4 jours suivant l’accident… » Tout ça pour prémunir la population des effets d’une dose radioactive reçue en moyenne à hauteur de 0,1 mSv dont personne ne fut en mesure de préciser si elle était équivalente ou efficace.

Évolutions du PPI résultant d’instructions nationales et locales relevant davantage de l’accommodement politique que de la réflexion spécialisée

À propos des accidents nucléaires à cinétique lente, ceux, comme à Toulon, dont les rejets radioactifs sont attendus au plus tôt 6 heures après l’évènement déclencheur de l’accident, le Plan National de Réponse à un Accident Nucléaire publié en février 2014 par le SGDSN stipule ceci à sa page 72 : « l’évacuation préventive des personnes est préconisée. De plus, selon le cas, des mises à l’abri ponctuelles peuvent être envisagées en périphérie de la zone [PPI] concernée… ». Lors des exercices toulonnais de 2016 et de 2019, même la démagogie opérationnelle dénoncée plus haut se vit dans l’incapacité de simuler cette prescription dans toute son ampleur. Depuis 16 ans, les acteurs de la crise sont pourtant tenus de la jouer Tchernobyl, au titre de la nécessité de s’entraîner avec un scénario accidentel majorant.

Lors de la présentation publique du prochain exercice de crise, le 7 novembre dernier, la préposée préfectorale à l’organisation du PPI a cru bon invoquer l’accident de Fukushima pour justifier l’extension de la zone des 2 Km (mise à l’abri et à l’écoute) à 5 Km, soit aux territoires des communes de Saint-Mandrier, de La-Seyne-sur-mer et d’Ollioules dont les habitants pourraient un jour se voir priés d’évacuer, conformément à la préconisation SGDSN. Hélas pour les auteurs de la « prudente » modification, on ne trouve les quelque 6000 victimes peu ou prou réputées celle de l’accident de la centrale de Fukushima que chez les 470 000 personnes abusivement évacuées, gagnées par le stress, par la maladie et le suicide, notamment à cause de la très mauvaise gestion des refuges (2) ; ceci alors que, depuis 2011, on n’a dénombré là-bas aucune victime de la radioactivité, y compris chez les personnels de la centrale !  

Vaste mise en scène d’une revue de détail ; absence de pédagogie sanitaire

Les doses radioactives. À l’origine de toutes, il y a la dose dite absorbée s’exprimant en Gray (Gy), mesure en Joules par Kg de l’énergie communiquée à un corps par la radioactivité, quel qu’en soit le mode de transmission par inhalation, ingestion ou irradiations.

On déduit de cette dose absorbée la dose équivalente exprimée, elle, en Sievert (Sv) en lui appliquant un coefficient multiplicateur dépendant du type de rayonnement. Ce coefficient vaut 1 pour les rayonnements les plus surveillés, Gamma, X et Béta, si bien que les valeurs des doses absorbée et équivalente sont souvent les mêmes.

Là où les choses se compliquent c’est lorsqu’on en vient à se référer à la dose efficace, un concept médical se déduisant de la dose équivalente en multipliant sa valeur par un facteur de qualité médical généralement très inférieur à 1, fonction du ou des organes touchés et de leurs degrés, voire de leur surface d’altération ; ce facteur de qualité vaut 0,01 pour la dose peau, 0,05 pour la dose thyroïde.

En situation accidentelle est-on capable de mesurer ou d’apprécier valablement une dose efficace par nature individuelle, dans les délais requis ? À titre d’exemple, un individu réputé avoir reçu 10 mSv efficaces à cause de l’irradiation de 20 % de sa surface de peau est censé avoir été exposé à une dose équivalente de 200 mSv, invraisemblable dans le contexte accidentel toulonnais.

En revanche, récevoir une dose équivalente de 50 mSv à la thyroïde confère à tout le monde une dose efficace de 2,5 mSv, valeur bien supérieure au 0,1 mSv qu’est censée avoir reçue une majorité des 8000 personnes virtuellement invitées à ingérer les comprimés d’iode stable, le 13/12/2019.

Bref, ne revenons pas sur le flou entretenu entre doses équivalente et efficace, que les autorités civiles ont aggravé à la dernière Commission d’Information avec le concept de dose engagée ne figurant nulle part dans le PPI et se définissant comme le cumul sur 50 ans du débit de dose équivalente de tous les radioéléments inhalés ou ingérés !

Pour en terminer sur le thème des doses, on fixe les idées avec les ordres de grandeurs suivants : une radiographie dentaire c’est 0,2 mSv, celle du bassin 0,7 mSv, pulmonaire 1 mSv, du transit gastroduodénal 3 mSv… Un scanner abdominopelvien c’est 10 mSv ! 

La vocation de l’entrainement règlementaire toulonnais

Connaisseurs et spécialistes savent bien que, hors situation de guerre, la probabilité de survenue d’un accident nucléaire grave à Toulon est quasi nulle. En témoigne la notoire extravagance du scénario accidentel que les marins sont tenus d’inventer tous les 3 ans et de traduire en un PUI avec lequel les interprètes de la partition PPI prennent bien soin de se « décorréler ». En témoigne également le fait que, cent fois moins puissantes que leurs homologues civiles, la plupart des 7 à 8 chaufferies nucléaires de la base marine sont à l’arrêt le plus clair du temps et ne circulent pas à plus de 15 % de leurs puissances dans la rade, au départ et au retour de missions des bâtiments qu’elles propulsent. 

La gestion sanitaire de tout accident susceptible de survenir dans le périmètre terrestre et maritime de l’INBs de Toulon ne relève donc que du traitement des expositions aux faibles, voire très faibles doses radioactives desquelles la majorité du corps médical atteste qu’une simple mise à l’abri permet de se protéger ; desquelles il ne constate pas la nocivité qu’on leur prête. C’est pourquoi la mission dont les responsables de l’organisation de crise sont avant tout investis doit consister à bien roder le réflexe populaire de cette mise à l’abri, dans des circonstances à la longue parfaitement identifiées.

En conséquence, l’exercice de crise toulonnais doit prioritairement s’employer à procéder à un confinement réel le plus large possible des civils présents dans le périmètre d’urgence de Missiessy, pour une durée à définir avec les gens qui y résident, quitte à ne jouer que virtuellement l’ingestion des comprimés d’iode et l’évacuation des populations sur toute l’étendue du périmètre de mise à l’abri et à l’écoute. La revue de détail effective de toute la logistique de crise doit rester, quant à elle, incontournable.

Où l’on constate en définitive que convier régulièrement les populations locales et les médias à une représentation publique de la crise, dans laquelle les acteurs se contentent de mimer ce qu’ils feraient en situation réelle, ne suffit pas à renforcer la sécurité civile. Tout comme prêter une oreille complaisante à des exigences associatives surréalistes, telles que se garder de polluer l’air en situation de sauvegarde, ne sert pas la rassurante image du professionnalisme. 



(1)  https://www.contrepoints.org/2022/08/31/437875-ukraine-la-securite-de-la-centrale-de-zaporijia?utm_source=Newsletter+Contrepoints&utm_campaign=0d78853738-

(2) 

https://www.unscear.org/unscear/en/areas-of-work/fukushima.html

https://www.pref.fukushima.lg.jp/site/portal-fr/fr03-03.html
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6263751/

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