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Jeux vidéo : quand les éditeurs prennent les joueurs
pour des vaches à lait
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Boulot, dodo, mario

Les éditeurs de jeux vidéo lancent sur le marché des logiciels de moins en moins aboutis. C'est la conclusion d'une enquête UFC - Que Choisir dans laquelle les joueurs se plaignent de dérives commerciales et d'une baisse générale de la qualité.

Edouard  Barreiro et  Philippe Ulrich

Edouard Barreiro et Philippe Ulrich

Edouard Barreiro est directeur adjoint des études chez UFC - Que Choisir.

Philippe Ulrich est l'un des personnages historiques du jeu vidéo en France. Il est l'un des fondateurs de Cryo en France.

 

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Atlantico : UFC - Que choisir a publié mardi une étude critique envers les éditeurs de jeux vidéo. Les joueurs signalent des dérives dans la qualité et l'aboutissement des logiciels commercialisés. Pouvez-vous nous décrire le phénomène ?

Edouard Barreiro : Les consommateurs rapportent de nombreux bugs, sous toutes les formes. Lorsqu'il s'agit d'un méchant que vous ne pouvez pas tuer, c'est agaçant mais pas handicapant. C'est plus grave en revanche lorsque le jeu se bloque carrément pendant la partie. Ces reproches sont de plus en plus fréquents. Les joueurs se plaignent de jeux « non finis » et de plus en plus court. Ils doivent acheter des contenus supplémentaires de plus en plus souvent. Avant, un jeu coûtait 70 euros et vous pouviez jouer. Maintenant, c’est 70 euros et il faut prévoir les compléments pour débloquer la totalité des contenus. Ces coûts supplémentaires peuvent aller jusqu'à 110 euros.

Philippe Ulrich : Il y a quand même des jeux qui sortent en étant très aboutis. D’autres sont volontairement contraignants pour les joueurs : ils les obligent à passer à la caisse. Nous sommes dans une période où l’on commence à totalement dématérialiser les jeux. C’est compliqué car les contenus sont extrêmement lourds. Les éditeurs sont contraints d’avoir recours à ces méthodes pour compléter ou corriger les jeux comme pour n'importe quel type de logiciel.

Le phénomène s’amplifie peut-être dans la mesure où le nombre de consommateurs augmente : le marché devient énorme. Faire un jeu, c'est systématiquement une prouesse technique. Autrefois, nous étions des petits groupes sans pression. Le marché fait que nous sommes confrontés à des contraintes croissantes. Les développeurs ont des calendriers hebdomadaires et sont en permanence dans le rush pour atteindre leurs objectifs.

Comment anticipez-vous l'évolution de la politique commerciale des éditeurs de jeux vidéo ?

Edouard Barreiro : Les éditeurs de jeux redoutent le piratage et le marché de l’occasion. Ils savent qu’ils vendent des produits très coûteux. Ils risquent pourtant de ne pas reculer là-dessus, quitte à perdre une partie de la clientèle. Dans les témoignages, les utilisateurs qui admettent pirater se sentent forcés d'en venir à ces méthodes pour dépasser le nombre de contraintes imposées par les éditeurs.

Philippe Ulrich : Facebook a introduit de nouvelles notions de micro paiement. L’idée dans les jeux est d’aller de plus en plus dans cette direction. Il s’agit d’offrir la possibilité au joueur d’acheter de petits contenus régulièrement au fur et à mesure de sa progression. Nous savons exactement où clique le joueur, pourquoi il va à tel ou tel endroit. Le logiciel est modifié en cours de commercialisation pour obtenir de meilleurs résultats et obtenir une meilleure optimisation des paiements. Si le joueur veut aller plus vite ou plus loin, il doit payer. 

Ce système inspire les éditeurs qui envisagent de se diriger vers ce système. La tendance évolue vers une forme de service ou d’abonnement. Il y a une transition du jeu traditionnel vers ce nouveau modèle. Sur Facebook, c'est un succès : il y a des dizaines de millions de joueurs chaque mois. Nous n’en sommes pourtant pas encore là pour une question de niveau technologique. Les applications sur les réseaux sociaux sont pauvres techniquement et visuellement. Dans les jeux classiques, la qualité graphique coûte très cher et mobilise des équipes de plusieurs dizaines de personnes.

Les joueurs sont-ils condamnés à subir cette situation ?

Edouard Barreiro : Il n’y a pas de recours. Là où nous pouvons attaquer, c’est sur ces contenus à usages uniques : il y a un manque voire une absence d’information sur les boîtes. Les joueurs qui espèrent pouvoir revendre leurs jeux après les avoir terminés se rendent compte qu’ils ne peuvent pas. Il devient difficile de partager un jeu avec ses amis ou de jouer sur d’autres ordinateurs que le sien quand bien même vous êtes propriétaire du jeu.

Les éditeurs de jeux veulent faire plus d’argent et plus facilement. Ils ont compris qu’ils avaient un public assez captif. Le fan d’un jeu achètera le jeu et les épisodes suivants quoi qu’il arrive.

Philippe Ulrich : Il y a toujours eu des jeux qui sortaient sans être parfaitement terminés mais avant, les éditeurs tremblaient face à la presse spécialisée lorsque leurs jeux arrivaient sur le commerce. Cette presse est peut-être moins présente aujourd'hui.

Le marché du jeu vidéo traverse une crise. En France par exemple, de grands studios parisiens ont fermé. Le marché est loin d’être facile. Le consommateur doit sanctionner les éditeurs en n'achetant pas les jeux incomplets. S’il y a une voracité incontrôlée des utilisateurs, nous irons droit vers des dérives de la part des éditeurs. Les développeurs ont l’envie de faire de beaux jeux, impeccables et sans bug. Aujourd’hui, il y a un combat entre la création et le marketing moderne. Les créatifs qui avaient autrefois le pouvoir sont bridés par les contraintes. Mais si les éditeurs prennent les joueurs pour des vaches à lait, ils finiront forcément par être sanctionnés.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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