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Xi Jimping à Berlin, le 28 mars 2014
Xi Jimping à Berlin, le 28 mars 2014
©JOHANNES EISELE / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

La Chine n’arrête pas de s’affirmer sur la scène internationale. La Chine apparaît de plus en plus comme la puissance dominante, « la puissance montante » pour reprendre l’expression de THUCYDIDE, vers laquelle de nombreux pays se tournent pour au moins deux raisons.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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  • L’Empire du Milieu ferme les yeux sur toutes les pratiques contraires aux lois internationales et n’hésite pas à braver les embargos visant la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, et maintenant la Russie… Dans sa volonté de s’affirmer et de contrecarrer Washington, Pékin soutient toutes les dictatures, prend fait et cause de tous les autocrates et parias de par le Monde.

  • Parallèlement, les États-Unis, échaudés par leur trop longue présence en Afghanistan et leur expédition calamiteuse en Irak, se replient laissant des espaces que la Chine n’hésite pas à explorer.

Cela fait des années que l’Occident accepte :

  • Les violations répétées de Pékin en mer de Chine avec des actions illégales ayant pour objectif de prendre possession d’îles appartenant au Brunei, au Japon, à l’Indonésie, à la Malaisie, aux Philippines, à Taïwan, ou au Vietnam. Par tous les moyens, la Chine cherche à contrôler les routes maritimes au large de ses côtes et à étendre sa zone économique exclusive (ZEE).

  • Les tentatives d’isolement de Taïwan avec les nombreuses manœuvres et provocations militaires ; il est de notoriété publique que Xi JINPING s’est fixé l’objectif de récupérer l’île durant son 3ème mandat, avant 2027.

  • La remise en cause de l’accord de rétrocession de Hong Kong sans oublier la répression des millions de manifestants ayant essayé de s’opposer à la mainmise de Pékin.

Mais, au-delà de l’Asie, Pékin, tel un joueur de go, avance ses pions, encercle, tisse sa toile avec ses routes de la soie, un entrisme totalement débridé…

Sous l’égide des Chinois, les Iraniens et les Saoudiens, après des années d’attaques directes ou indirectes, ont décidé de renouer leurs relations diplomatiques ; ce rapprochement a plusieurs significations :

  • Compte tenu de leurs relations avec les Iraniens, les Américains n’auraient pas été en mesure d’orchestrer ces retrouvailles. Mais, rien ne nécessitait aux deux parties de prendre la Chine comme parrain. C’est un indiscutable signe de perte d’influence de l’Oncle Sam au Proche Orient et notamment en Arabie saoudite, son 1er allié dans la région depuis 1943.

  • Après huit ans de guerre civile au Yémen et près de 500 000 morts, les Saoudiens soldent leur intervention chez leur voisin. L’impétueux successeur, Mohamed ben Salmane, dénommé MBS, a conduit son pays dans une impasse, tout comme ses tentatives syriennes tout aussi infructueuses.

  • Malgré les milliers de milliards d’achats de matériels en tous genres, l’armée saoudienne n’est pas en mesure de défendre le pays, sans occulter les crimes de guerre commis au Yémen. Ne souhaitant plus rester sous le parapluie américain, MBS s’est de facto mis sous la protection de son puissant voisin et de la Chine.

Après la signature des Accords d’Abraham, c’est indiscutablement une rupture lourde de conséquences. Mais, il n’est sûr que le fougueux héritier ait fait le bon choix. Pour le pétrole et les pétrodollars, les États-Unis et plus généralement l’Occident ont accepté de nombreux travers saoudiens, les effets collatéraux du radicalisme wahhabite, source d’inspiration de Ben LADEN et d’Al Qu’Aïda, les violations des droits de l’homme, l’assassinat sauvage du journaliste américano-saoudien Jamal KHASOGGI par les nervis de MBS… Certes, dans le cadre d’une « Vision 2030 », le prince héritier a engagé une modernisation sociétale et un développement économique tous azimuts avec des projets pharaoniques. Mais met-il pour autant son pays à l’abri de la prédation de son voisin chiite ? Certainement pas !

Pour sortir de l’ornière ukrainienne dans laquelle il a mis son pays, Vladimir POUTINE s’est également mis entre les mains de Xi JINPING pour vendre son gaz et essayer d’obtenir des armes. Mais la Chine a commencé à poser ses conditions ; elle déconseille, voire refuse l’utilisation de l’arme atomique, semble mégoter les livraisons militaires… Qu’en sera-t-il demain ? Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui invitent Pékin à faire office de médiateur entre Kiev et Moscou. Quelle victoire pour l’Empire du Milieu d’être invité à intervenir pour arrêter la guerre en Europe ! Quelle ironie de la realpolitik de se tourner vers la Chine communiste pour faire respecter l’inviolabilité des frontières !

Autre Président à se précipiter en Chine, Lula da SILVA. À 78 ans, après une traversée du désert de 7 ans et un passage par « la case prison », il est revenu au pouvoir à cause des excès et des incompétences de son prédécesseur, Jair BOLSONARO.

Les années Lula ont été marquées par une opération judiciaire exceptionnelle, intitulée « lava Jato », « lavage auto » ou « lavage rapide ». Classé alors 69ème dans le classement de transparency international, le Brésil a été confronté au scandale de Petrobras, aux commissions diverses et variées pour chaque investissement public, à uneomniprésence de la corruption, une corruption systémique.

Convaincu d’avoir été victime d’une opération de déstabilisation, Lula tire à nouveau à boulets rouges sur les États-Unis « responsables de la guerre » ! Il convient de lui rappeler que c’est pas POUTINE qui a envahi l’Ukraine !

Avant de pactiser avec la Chine pour des bénéfices de court terme, tout pays devrait analyser les pratiques chinoises en Afrique :

  • La Chine fait cavalier seul sur le sujet de la dette africaine ; elle a déjà annulé certaines dettes, mais elle l’a fait de manière bilatérale, en dehors des règles collectives du Club de Paris. La procédure multilatérale est essentielle pour empêcher qu’un créancier obtienne des contreparties dolosives.

  • Dans sa quête de matières premières et de marchés pour « l’usine du Monde », la Chine recourt à tous les moyens pour mettre les pays africains en situation de dépendance.

Arrêtons de courir après les contrats chinois. N’oublions pas la phrase de Lénine « le capitaliste est prêt à vendre la corde avec laquelle il sera pendu » ! Il est grand temps que l’Occident conteste les méthodes chinoises et notamment les trois dumpings :

  • Social. Plus que la faiblesse du coût salarial, c’est le non-respect des règles du Bureau international du travail (BIT) qui est problématique.

  • Environnemental. Nonobstant la signature des Accords de Paris en 2016, le modèle économique de la Chine interpelle.

  • Et surtout monétaire. Depuis plus de deux siècles et Adam SMITH, le père de l’économie politique, tous s’accordent à considérer que l’échange international est profitable à tous sous réserve que certaines règles soient respectées dont le retour à l’équilibre par la modification des taux de change.

  • Un pays en déficit structurel doit déprécier sa monnaie pour que la modification des prix relatifs lui permette de retrouver de la compétitivité. En sens inverse, un pays en excédent structurel doit apprécier sa monnaie pour écorner sa compétitivité et permettre le retour à l’équilibre. Á défaut l’échange n’est pas équitable.

Alors que l’Empire du Milieu ne cesse d’accumuler des excédents commerciaux et que ses partenaires cultivent les déficits, les autorités de Pékin continuent de manipuler leur monnaie en la dépréciant, au lieu de la réévaluer. En sous-estimant volontairement le yuan, elles peuvent continuer à inonder le Monde avec leurs produits.

Deux conditions sont requises pour qu’une devise soit la monnaie véhiculaire du commerce international : avoir une convertibilité illimitée ; assurer les liquidités nécessaires à l’échange international, ce qui signifie une création monétaire déconnectée des besoins nationaux. Dans ces conditions, malgré tous les discours, le dollar a encore de beaux jours devant lui, tant que la Chine continuera à manipuler sa monnaie et que l’Europe n’a aucune ambition d’affirmation d’une éventuelle puissance.

L’affrontement avec la Chine parait inévitable à plus ou moins brève échéance. Il faut s’y préparer. Le premières escarmouches seront économiques et financières et conduiront l’Occident à rappeler les règles de l’échange commercial et équitable.

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