Georges-Marc Benamou : « Camus est en train de regagner la postérité de la morale et de la politique et de triompher face à Sartre »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cimetière de Lourmarin de la tombe où est enterré l'écrivain français Albert Camus.
Le cimetière de Lourmarin de la tombe où est enterré l'écrivain français Albert Camus.
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Projet

Après « Germinal » ou « Les particules élémentaires », France 2 diffuse une nouvelle mini-série adaptée d’un classique : « La peste » d’après Albert Camus. Georges-Marc Benamou est son initiateur et coproducteur.

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou est producteur de cinéma et journaliste. Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, il est notamment l'auteur de Comédie française: Choses vues au coeur du pouvoir (octobre 2014, Fayard), ainsi que de "Dites-leur que je ne suis pas le diable" (janvier 2016, Plon).

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Atlantico : Quelle a été la genèse de ce projet d’adaptation de l’œuvre d’Albert Camus, La Peste, en mini-série ? Cela s'inscrivait-il dans la suite de votre documentaire Les vies d'Albert Camus ?

Georges-Marc Benamou : Ce projet s’inscrit dans la lignée d'un compagnonnage qui est assez commun à des millions de personnes qui ont lu Camus. Lorsque vous découvrez l’œuvre d’Albert Camus, cela vous accompagne toute votre vie comme d'autres grands romanciers. Ce sont des lectures d'adolescence qui vous accompagnent. La Peste m'avait particulièrement saisi dans mon adolescence, tout comme les personnages de La Peste, le théâtre de cette ville fermée, la parabole de l'anti-nazisme. Le documentaire que j'ai réalisé, Les Vies d'Albert Camus en 2020, a rencontré un écho tout à fait étonnant et a bénéficié d’une très grosse audience. Beaucoup de réactions au documentaire correspondaient à un moment de réévaluation du regard de la société et de la France sur Albert Camus. Cette réévaluation, qui a été lente, a permis de le réévaluer à la fois en tant qu'écrivain, en tant que philosophe et en tant qu'homme engagé dans le XXᵉ siècle. J'ai vu au soir de ce film, des sartriens et des beauvoiriennes qui en venaient à réévaluer complètement leur regard sur eux. Camus est en train de regagner la postérité de la morale et de la politique et de l'emporter sur Sartre heureusement.

Quels ont été les plus grands défis à relever avec cette adaptation en mini-série de La Peste ?

Il est toujours très impressionnant de se trouver face à un grand livre. Il faut pouvoir le respecter tout en le trahissant d'une certaine manière et être dans une fidélité à l'esprit, pas forcément à la lettre. Camus a publié ce livre en 1947 et lui-même dans des écrits postérieurs a indiqué qu’il n’était pas complètement satisfait de la mécanique dramaturgique. Il explique d'ailleurs que l'épidémie est l'ennemie de la dramaturgie. Donc il a fallu pour Gilles Taurand et moi-même, autour de ce cadre général, construire une dramaturgie et essayer de la rendre plus contemporaine. Camus pose son récit en 1940 à Oran. Pour cette adaptation, nous avons choisi d'en faire une version contemporaine pour deux raisons. D’abord pour faire résonner les problématiques contemporaines du totalitarisme, qui ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en 1940. Nous souhaitions également embarquer avec nous les téléspectateurs qui ont vécu les années Covid. Il ne fallait pas que l'on donne l'impression que la crise sanitaire liée au Covid-19 n'était pas passée par là. Le choix a donc été fait de situer l’action à travers une légère dystopie en 2030 au cœur d’une société totalitaire dans une ville du Sud de la France. L’univers de la série a des accents totalitaristes, parfois même poutiniens, et ressemble à une société Big Brotherisée.

Quel était le message que vous souhaitiez porter à travers cette adaptation de l’œuvre de Camus ? Quels travers ou maux de notre société contemporaine souhaitiez-vous dénoncer au cœur de la série et qui font écho à l'œuvre de Camus ?

Avec l'autorisation de Catherine Camus, nous avons choisi cette adaptation et adopté une forme sérielle afin que cela soit un véritable spectacle. Il fallait aussi que ce soit une série haletante. Il se trouve qu'elle a rencontré un énorme public. On ne s'y attendait pas. Nous allons voir quelle sera l’audience ce lundi 11 mars. Ce qui nous a motivé n’était pas de faire un film d'épidémie comme Contagion de Steven Soderbergh. Le but était de faire une série de résistance à propos de l'épidémie. Ce qui nous intéresse, c'est l'humain, c'est la brigade sanitaire, ces quelques individus qui sont très présents dont le docteur Bernard Rieux, l’aventurier Jean Tarrou, le journaliste Sylvain Rambert, le père Paneloux qui va faire son chemin de Damas. La peste est le révélateur des comportements de résistance, de peur ou de couardise, de monstre. Elle agit comme un révélateur et constitue une parabole. Certaines personnes se lèvent contre la peste. D’autres se couchent.

Est-ce que le format de mini-série a pu vous permettre à vous, aux comédiens, à toutes les équipes de la série d’utiliser le temps long pour proposer quelque chose d'assez innovant et de complet sur l'œuvre de Camus ?

Il y a déjà eu une adaptation de La Peste avec le film de Luis Puenzo avec William Hurst. Le temps long, les rythmes saisonniers sont bien présents dans l'œuvre de Camus. En tout cas, le rythme sériel convient peut-être mieux à cette adaptation-là.

Est-ce que le fait que aussi la série soit disponible sur France Télévisions participe également au succès de cette adaptation de La Peste à l’heure des rivalités et de la compétition entre les plateformes de streaming comme Netlfix ou Amazon Prime ? Est-ce que le fait de pouvoir diffuser cette série auprès du plus grand nombre est aussi un atout pour permettre à l'oeuvre de Camus de continuer à vivre grâce à ce projet ?

Je suis un militant de la culture populaire. Dans la lignée de ce que disait Victor Hugo, je pense que c'est un honneur d'atteindre le plus grand public, sans concession, sans démagogie. C'est l'honneur du service public d'avoir soutenu ce projet qui n'était pas évident. Les dirigeants de France Télévisions, Delphine Ernotte et Stéphane Sitbon Gomez, m'ont soutenu dès le départ dans ce projet ambitieux. Lorsque le projet a été lancé, nous étions en plein covid. Avec la pandémie, les enchères ont commencé. Le monde entier a voulu racheter La Peste qui était redevenu le livre le plus lu du monde pendant l'année 2022. France Télévisions m'a soutenu. Catherine Camus a tranché pour notre version. Mais il est vrai que, outre la difficulté d'adaptation, cela a été aussi une bataille car le livre était tout à coup devenu extrêmement désirable, ce dont je me réjouis par ailleurs. Cela a dû résonner dans le public. 17 % de parts de marché la première soirée, sans compter les replays, constitue un score assez énorme face à des séries très populaires sur TF1 par exemple.

Grâce au succès de la série, les jeunes peuvent-ils ainsi redécouvrir l'œuvre de Camus ?

La fatalité française est de dire que les jeunes ne regardent plus la télévision et que les plateformes américaines de streaming ont gagné. Je pense que s'il y a une volonté politique et artistique, les télévisions européennes et les services publics peuvent attirer les jeunes. La série a effectivement attiré les jeunes. Cela demande donc plus d'audace et plus de prises de risques. La culture populaire peut être servie par le service public qui peut trouver son identité, sa place en ces temps de bêtification généralisée et de recherche du profit à court terme.

En quoi l'œuvre de Camus et votre série sont universelles et fascinent autant ?

Je me suis beaucoup interrogé sur cette sensibilité très forte et assez universelle à l'œuvre de Camus. Elle peut s'expliquer au moins pour deux raisons. Albert Camus a été l'un des grands intellectuels du XXᵉ siècle. Il avait combattu les totalitarismes nazi et stalinien, à la différence de Sartre et d’autres intellectuels qui ont soutenu le régime soviétique et le communisme. Camus est l’homme qui a eu raison. Il y a dans la musique, dans les paroles, dans la démarche, dans la biographie de Camus quelque chose qui fait de lui un frère des hommes. Il y a une fraternité que les lecteurs ressentent plus, une sorte de fraternité non chrétienne. On retrouve cela dans le docteur Rieux qui s'oppose au père Paneloux.

En ces temps troublés sur le plan international ou même en France, en quoi cette œuvre et votre série permettent-elles justement de s'intéresser à ces enjeux sociétaux ? L'œuvre de Camus dénonçait les totalitarismes ? Avez-vous pu percer à jour les menaces qui pèsent sur notre société ?

La philosophe Marylin Maeso a publié un texte sur La Peste très novateur. Elle considère que par-delà les totalitarismes qui nous menacent, la société du clash, la société de la punchline, la société qui évite l'articulation mentale, nous assistons à une société de confrontation, du spectacle et de La Peste.

Pour le rayonnement de la série à l'international, La Peste va-t-elle pouvoir s’exporter pour qu’un maximum de personnes à l'international puissent voir une adaptation de l'œuvre de Camus ?

Nous espérons que le succès français puisse faire rayonner la série à l'international. Des discussions sont en cours avec certaines chaînes de télévision. Le projet est une coproduction franco-belge.

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