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Fast fashion : les dessous du combat pour briser le silence sur les gaspillages massifs des marques de mode
©Ben STANSALL / AFP

Victimes de la mode

Burberry a récemment détruit pour 30 millions de livres sterling de stock invendu au début du mois de juillet. Cette pratique est-elle courante dans les grandes entreprises de la mode ?

Elisabeth Laville

Elisabeth Laville

Diplômée d’HEC en 1988, Elisabeth Laville a passé quelques années au planning stratégique de deux agences de publicité avant de fonder le cabinet Utopies en 1993. Elle est depuis reconnue comme l’une des expertes européennes du développement durable. Elle a notamment écrit l'ouvrage "Vers une consommation heureuse" (Allary Editions). 

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Atlantico : L'entreprise anglaise Burberry a reconnu avoir détruit pour 30 millions de livres sterling de stock invendu au début du mois de juillet. Ce genre de pratique est-elle courante dans les grandes entreprises de la mode ?

Elisabeth Laville : C’est l’un des derniers tabous de l’industrie, et en particulier des marques de luxe, à l’heure de la transparence qu’impose le digital. Mais en effet d’autres entreprises du secteur, dont le modèle économique est plus proche de la fast-fashion comme H&M, ont déjà été prises en flagrant délit de telles pratiques. C’est choquant dans tous les cas, parce que cela représente des ressources naturelles et du travail humain qui partent littéralement en fumée… au mépris apparent des enjeux sociaux et environnementaux en amont. Cela, dans un contexte où les impacts cachés de l’industrie sont de plus en plus connus du grand public - voir le récent Cash Investigation sur le travail forcé dans les champs de coton ouzbeks, la campagne Detox de Greenpeace sur l’utilisation de composés chimiques toxiques dans le textile ou l'effondrement, début 2013, du Rana Plaza au Bangladesh, qui a fait plus de 1 100 morts parmi les ouvriers travaillant pour les plus grandes marques occidentales. 
Au fond c’est l’équivalent textile du gaspillage alimentaire… qui existe cela dit aussi chez les clients, qui achètent des vêtements en promotion, par exemple, et ne les portent jamais ou presque (selon une enquête de Marks & Spencer en Angleterre, 46% du contenu de nos dressings est porté moins d’une fois par an).  Et naturellement c’est également choquant quand il s’agit de produits de valeur, un peu comme à l’époque où Serge Gainsbourg brûlait un billet à la TV : l’opinion publique n’est pas sensible à l’argumentaire des marques de luxe sur la protection de leur image et le fait qu’elles ne veulent pas inonder le marché de produits de luxe à bas coûts, car une décision sociétalement absurde, a fortiori prise dans l’intérêt « égoïste » de l’entreprise, est perçue comme doublement absurde, à l’heure où par ailleurs toutes les marques revendiquent une forme de responsabilité sociale et de prise en compte de l’intérêt général !

Une remise en question de cette tendance à la "fast-fashion", terme qu'on pourrait traduire par "mode jetable" semble toucher sérieusement les entreprises elles-même. L'industrie est-elle en train de faire évoluer ses pratiques pour s’éloigner de ce modèle ? Quelles sont les solutions proposées ?

C’est un fait que les soldes et les promotions ne parviennent plus à convaincre les consommateurs et à maintenir le niveau des ventes. Or pour les entreprises, le modèle économique de la fast-fashion repose sur des volumes importants de vêtements, vendus peu cher pour que les clients puissent les renouveler fréquemment…. Sauf que manière croissante, si l’on en croit les études, la principale attente des consommateurs n’est plus d’acheter davantage grâce à de bonnes affaires, mais de consommer des produits de meilleure qualité, quitte à en consommer moins. Ainsi 83% des Français déclarent ainsi « faire plus attention à la qualité des produits qu’ils achètent » et 82% indiquent « consommer moins mais mieux». Seule une minorité de consommateurs se montre encore friande de promotions et pas forcément ceux dont le pouvoir d’achat est le plus contraint : 78% des Français évoquent au moins une raison de considérer les promotions avec suspicion. En tête : la difficulté à décoder les mécanismes promotionnels et le bénéfice associé. Du coup, les consommateurs déchantent devant la piètre qualité des produits et 70% des femmes pensent que les prix des vêtements « ne veulent plus rien dire ».  
Pour "corriger » le tir, les grandes marques se sont lancées dans des initiatives environnementales comme la collecte de vêtements usagés et souvent la vente en parallèle de vêtements faits à partir de fibre recyclée. Mais pour les experts, le recyclage est un alibi - car les marques collectent et recyclent en réalité une infime quantité de vêtements au regard de ce qu’elles continuent à produire et à mettre sur le marché. Et naturellement si en plus il s’avère qu’elles brûlent leurs invendus, cela ruine même le bénéfice de ces initiatives sur leur réputation...
Parmi les solutions alternatives, certaines marques (comme Honest By ou Everlane) investissent beaucoup dans la transparence sur leur chaîne de fournisseurs et sur ce que finance le prix - quels fournisseurs, situés où et en charge de quelles étapes de la production… D’autres, comme Patagonia, ont pris des positions assez radicales contre la fast-fashion - en proposant une garantie à vie de leurs vêtements, en refusant de faire des couleurs à la mode… qui se démodent, en incitant leurs clients à conserver et à réparer leurs vêtements, en proposant en ligne et dans leurs boutiques des vêtements d’occasion proposés à des prix plus accessibles. Patagonia est un leader du secteur et beaucoup de marques s’en inspirent : ainsi en France, Cyrillus, Petit Bateau ou Sézane ont mis en place des initiatives permanentes visant à remettre sur le marché leurs vêtements déjà portés.

Ces entreprises sont généralement cotées en bourse et prétendent à une croissance de leurs bénéfices. Cette remise en question d'une surproduction peut-elle s'allier aux exigences économiques de leurs statuts d'entreprises lucratives ?

De manière surprenante, l’initiative de Patagonia, qui a commencé par une publicité dans le New-York Times au moment de la Fashion Week 2011, laquelle montrait une veste de la marque avec un surprenant slogan disant « N’achetez pas cette veste », a porté des fruits inattendus : cette campagne a d’une certaine façon fait connaître l’engagement de la marque, et ses valeurs, à des consommateurs qui ne la connaissaient pas, et a renforcé la fidélité de ses clients, de sorte que ses ventes ont augmenté de 40% dans les deux années qui ont suivi ! De même l’enseigne américaine d’équipements outdoor REI, qui a décidé en 2015 pour la première fois de fermer ses 140 magasins le jour du Black Friday, en offrant un jour de congé supplémentaire à ses 12 000 salariés et en incitant ses clients à aller se promener dans la nature en famille… a finalement recruté 30% de clients en plus cette année-là, et affiché des ventes en hausse de 20% - sans doute pour les mêmes raisons, car cette initiative a fait le buzz et a fait connaître l’engagement de la marque à des consommateurs qui ne la connaissaient pas. Cela ne marche pas à tous les coups, mais évidemment quand la marque est sincèrement engagée, et que ses prises de parole sont cohérentes avec ses pratiques et sa raison d'être, cela montre qu’on peut aller but lucratif et prise en compte de l’intérêt général...

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