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Emmanuel Macron arrive au palais de l'Élysée pour assister à sa cérémonie d'investiture en tant que président français. Paris, le 7 mai 2022
Emmanuel Macron arrive au palais de l'Élysée pour assister à sa cérémonie d'investiture en tant que président français. Paris, le 7 mai 2022
©GONZALO FUENTES / AFP

L’investiture, comme si vous y étiez

Dans le genre ampoulé et convenu, on atteint des sommets

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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Il y a quelques temps, Emmanuel Macron descendit à regret de l’Olympe. Il y fut contraint par le simulacre de campagne qu’il dut mener lors du deuxième tour des élections présidentielles afin d’assurer sa réélection. Il fraya alors avec les gueux, répondit à leurs doléances, et n’hésita pas à se mettre courageusement à « portée de baffe ». Ce contact avec les manants semble malheureusement devoir se prolonger jusqu’aux législatives : le président est, en effet, soucieux d’aider ses troupes à obtenir la majorité à l’Assemblée nationale. Fort heureusement, notre monarque a pu, lors des quelques heures qu’il a dérobées à l’adversité le temps de son investiture, regagner une altitude qu’il ne quitte jamais sans regret.

C’est La Fontaine, qui, dans deux de ses fables : La Montagne qui accouche et L’Écolier, lePédant et le maître d’un jardin résume parfaitement comment sonna à nos oreilles ce moment d’éloquence présidentielle qu’il convient tout d’abord de rappeler brièvement. 

Sur les notes du concerto pour hautbois de Haendel, joué par l’orchestre de Chambre de la Garde républicaine, notre prince renaissant fit son entrée dans la salle des Fêtes de L’Élysée, avec onction et componction. Comme on s’y attendait, Emmanuel Macron singea, alors qu’il épousait la France, le héros du roman de Maupassant Bel—Ami. On crut voir le personnage du disciple de Flaubert convolant avec la jeune Suzanne : « Il levait la tête, sans détourner non plus ses yeux fixes, durs, sous ses sourcils un peu crispés. (…) Il avait l’allure fière, la taille fine, la jambe droite. Il portait bien son habit que tachait comme une goutte de sang, le petit ruban rouge de la Légion d’honneur. » A cet instant précis, Macron eut marché sur l’eau, s’il y en avait eu.

450 invités, triés sur le volet, dont Jack Lang, Marisol Touraine, Élisabeth Guigou, François Bayrou, Manuel Valls (tenants des Modernes) saluaient le nouvel élu avec des têtes d’enterrement. Roselyne Bachelot, dûment informée que le thème de la sauterie était justement la Renaissance avait choisi judicieusement, en ministre de la Culture avisé, de se vêtir tout de vert pour rendre un hommage appuyé à Henri IV, illustre roi de cette période historique qu’on avait surnommé le « Vert-Galant » en raison de son ardeur amoureuse. Nicolas Sarkozy et François Hollande, côte à côte, s’ignorèrent royalement.

Le Président du Conseil constitutionnel s’embrouilla en donnant le nombre des voix recueillies par Emmanuel Macron. C’est Victor Hugo qui lui sauva la mise. Alors qu’il citait le poète, Laurent Fabius put, en effet, détourner l’attention de son cafouillage : « (…) en ces temps troublés, soyons les serviteurs du droit et les esclaves du devoir. » Il lesta ainsi habilement du poids des responsabilités notre jeune investi, lui évitant, tel un ballon gonflé à l’hélium, de rejoindre les nues, sans espoir de retour.

Le jeune Impétrant gratifia alors l’assemblée de l’un des discours dont il a le secret : un de ceux dont le lyrisme peine à dissimuler la vacuité. Il s’agissait là de badigeonner un coup de peinture fraîche sur une façade décrépite : « Le peuple français n’a pas prolongé le mandat qui s’achève (…) Ce peuple nouveau, différent d’il y a cinq ans a confié à un président nouveau un mandat nouveau. » (Quand on vous dit Renaissance, c’est Renaissance !) « Le temps qui s’ouvre sera celui d’une action résolue pour la France et pour l’Europe », poursuivit Emmanuel Macron. Vint alors la litanie des sept thématiques inédites qu’il souhaitait ériger en piliers de son quinquennat, habilement introduites par l’anaphore subtile de l’infinitif « agir ». 

« Agir pour bâtir une nouvelle paix européenne et une nouvelle autonomie sur notre continent ».

« Agir pour faire de notre pays une puissance agricole, industrielle, scientifique et créative plus forte (…) »

« Agir pour bâtir une société de plein emploi et d’un juste partage de la valeur ajoutée. »

« Agir pour faire de notre pays la grande puissance écologique qu’il a à être. »

« Agir pour attaquer les inégalités à la racine en refondant notre école et notre santé (…), pour continuer de forger des progrès pour chacun et œuvrer à l’égalité homme/femme. »

« Agir pour protéger nos compatriotes par une armée forte, engagée sur tous les continents. »

« Agir pour réunir et rassembler nos territoires, des ruralités à nos quartiers populaires, des métropoles à nos Outre-mer. »

Le prince ajouta, et là, on fut définitivement rassuré : « Agir ne signifie donc pas administrer le pays, enchaîner les réformes (…) L’action en ces temps est jumelle du rassemblement, du respect, de la considération et de l’association de tous. C’est pourquoi il nous faut tous ensemble inventer une méthode nouvelle, loin des rites et chorégraphies usées. » Tout ce remue-ménage annoncé n’irait pas très loin. 

Je vous cite un dernier passage du discours de notre héraut du renouveau avant de céder la parole à La Fontaine qui est encore celui qui résume le mieux l’affaire : « notre passé en est l’ardent témoignage, c’est dans les temps difficiles que la France révèle le meilleur d’elle-même. C’est lorsque se lève le vent du tragique que nous, Français, nous trouvons la force de nous hisser au-delà de nous-même pour écrire l’Histoire à l’encre de l’universel. »

La Montagne qui accouche. (Livre V, fable 11)

Une montagne en mal d’enfant,

Jetait une clameur si haute

Que chacun, au bruit en accourant, 

Crut qu’elle accoucherait sans faute

D’une cité plus grosse que Paris.
Elle accoucha d’une souris.

Quand je songe à cette fable, 

Dont le récit est menteur

Et le sens véritable, 

Je me figure un auteur

Qui dit : « Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au maître du tonnerre.

C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?

Du vent.

Dans la moralité de L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin (Livre IX, fable 5), le fabuliste nous donne le dernier mot de ce moment d’anthologie :

Je hais les pièces d’éloquence

Hors de leur place, et qui n’ont point de fin, 

Et ne sais bête au monde pire

Que l’écolier, si ce n’est le pédant.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes.

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