"Essai sur la transmission des valeurs" de Guillaume d'Arcimoles

On utilise souvent le mot "valeurs" pour déplorer qu'elles semblent ne plus exister dans notre société où l'on constate, entre autres, une dégradation des relations humaines, une augmentation de la violence, un affaiblissement de l'instruction scolaire, etc... . Mais de quelles valeurs parle-t-on exactement ? Que recouvre ce mot dont bien peu de gens prennent la peine d'expliciter le contenu ? Le but de cet essai est donc de proposer une définition et une réflexion sur ces valeurs afin d'examiner pourquoi il est difficile de les transmettre, pourquoi il est cependant important et urgent de ne pas baisser les bras, et enfin comment peut-on le faire ? 

Après la préface et une brève introduction observant que la transmission des valeurs est actuellement défaillante (l'éducation périclite, l'Europe apostasie), l'auteur se propose d'analyser les causes de cette défaillance puis d'identifier quelques "contre-mesures". 

Il divise donc son propos en trois parties : la première intitulée "Des freins culturels" veut identifier ce qui stérilise les efforts de transmission ; la deuxième "Valeurs, culture et foi" interroge les enjeux et les conditions nécessaires à la transmission pour répondre à la question "Pourquoi faut-il transmettre malgré tout ?" ; la troisième offre une sorte de "boîte à outils" pour rappeler qu'il existe cependant de bonnes pratiques  en réponse à "Comment transmettre ?" à condition d'avoir le courage de "ramer à contre-courant".

La partie analysant les " freins" à la transmission (et à l'éducation) est particulièrement bien rédigée, de façon brève mais précise. L'auteur qualifie "d'enclumes" ces "idées fausses, couramment admises et largement relayées et enseignées, rarement remises en question" qui conditionnent nos capacités de raisonnement (et à fortiori celles des jeunes). Citons-les ici, sans pouvoir entrer dans le détail des arguments développés : la conviction que la science et la raison légitiment le matérialisme ; la confusion sur le sens et l'usage de la liberté (à ne pas confondre avec le libéralisme) ; l'égalitarisme (l'égalité n'est pas interchangeabilité).  Mais à ces trois "enclumes" majeures s'ajoutent, hélas, une cascade de "fruits toxiques" que Guillaume d'Arcimoles examine en détails  mais toujours avec le souci d'expliquer clairement pour être bien compris :  le consumérisme, le nihilisme et le relativisme, le structuralisme, l'individualisme, les théories du genre, le transhumanisme et l'effacement des identités homme-femme, la norme des droits de l'Homme, le salafisme, la domination du ressenti, le nivellement par le bas, etc... et, de façon plus générale, le refus de l'exigence. Voilà les fruits aux conséquences néfastes qui, selon son analyse, pourrissent la société. 

L'auteur n'envisage nullement, en dressant ces constats, de faire machine arrière parce que "c'était mieux avant". Non. Il plaide pour la lucidité, le discernement, et surtout pour le courage. Son essai est un plaidoyer pour ces "vertus" (il s'explique aussi sur ce mot), lesquelles, au final, lui conservent son énergie. 

Ajoutons qu'il n'énonce jamais de conseils ou d'observations du haut de sa chaire. Il fait preuve, soulignons-le, d'une qualité rare : l'humilité, ce qui ne l'empêche pas de dire haut et fort ce qu'il estime devoir être dénoncé. 

Enfin, dans" la boîte à outils", il offre un vademecum fort utile, même s'il n'est jamais complètement respecté, rappelant quelques règles d'or, détaillant les cinq conditions validées par l'expérience des générations : la crédibilité par l'exemple, l'autorité bienveillante, l'épanouissement de la confiance par la confiance, le réalisme et l'exigence, le sens et le goût de la vérité... Autrement dit, le minimum nécessaire pour espérer assurer une transmission utile à chaque personne et au final à l'ensemble de la société. 

Comme le souligne le préfacier, François-Xavier Clément (philosophe et promoteur de l'Éducation intégrale), ce livre est un passeur de témoin : Guillaume d'Arcimoles ne cache pas les maîtres auxquels il fait référence : Soljenitsyne, Saint-Exupéry, Gustave Thibon, Bellamy, Pascal, Jean-Paul II, Vaclav Havel, Olivier Rey, Pierre de Villiers ou encore Michel Menu.

Vraisemblablement les lecteurs ne partageront pas toutes les convictions de l'auteur, en matière de choix de société, de politique, de religion ni même d'éducation... mais chacun pourra, au minimum, faire l'effort d'examiner ses arguments. Guillaume d'Arcimoles ne se fait d'ailleurs aucune illusion : ses propos étant totalement à l'opposé des dogmes à la mode, il s'attend à recevoir une volée de bois vert. Peu lui importe, cet officier opérationnel sur plusieurs fronts de guerre, en a vu d'autres...

Toutes les personnes en charge d'éducation et donc de transmission prendront intérêt à partager cette réflexion en profondeur : parents et grands-parents, enseignants, éducateurs et plus largement, toute personne soucieuse (et inquiète) de l'avenir...

• [cet essai] "est destiné à ceux qui cherchent les clés pour transmettre des valeurs à leur descendance ; qui redoutent la difficulté de la tâche parce qu'ils ont déjà trébuché ; qui savent au fond d'eux-mêmes qu'il y a non seulement des vérité mais aussi une Vérité qu'il faut chercher ; qui pressentent que cette vérité est protéiforme et parfois masquée, comme pour ne pas s'exhiber au tout venant, et qu'il faut plus d'une vie pour la trouver ; qui ne se satisfont pas du prêt à penser que nous servent les médias, et qui refusent de voir leurs enfants leur tourner le dos, absorbés par leur smartphone ; qui se sentent humbles et parfois désarmés devant l'ampleur de la tâche d'éducation, et qui savent qu'E-ducere n'est pas un nouveau concept de douceur électronique mais la façon de faire sortir un être de lui-même comme un papillon de sa chrysalide" (p. 10) 
• "Eduquer exige d'exiger. Notre société refuse l'exigence, ce qui rend l'éducation des sauvageons quasi impossible. Renoncer à exiger est désastreux pour l'éducateur et pour l'éduqué : on entretient l'illusion d'une information qui rend plus intelligent et dispense du travail, on laisse accroire qu'un problème peut être résolu sans apport d'énergie. Les conséquences pédagogiques sont lourdes : le tuteur qui aide un arbre à grandir en exigeant sa rectitude est robuste et résilient. Un éducateur sans exigence est comme un tuteur mou..." (p. 58)

Guillaume d'Arcimoles a de solides références à son actif pour faire partager son expérience et ses convictions : père de famille nombreuse, il sait de quoi il parle lorsqu'il évoque les questions d'éducation ; officier de marine de carrière (23 ans de service, Ecole navale 1983), il eut maintes fois l'occasion d'exercer l'autorité. Chef d'entreprise, il est membre fondateur et vice-président de AME France (Association des Militaires Entrepreneurs). Sur le site de cette association, il est précisé qu'il fut "fusilier de spécialité, qu'il a servi dans les commandos Hubert (l'un des 7 commandos de la Marine nationale), de Penfentenyo et Trepel, avant d’être chef d’état major d’Alfusco en 2007 (2700 hommes). Entre deux affectations dans l’environnement des forces spéciales, il navigue sur plusieurs bâtiments de combat, dont l’aviso Commandant Blaison qu’il commande en 2002". Après avoir quitté la Marine, il a créé la société ProLarge spécialisée dans la conduite des opérations en mer et dans la gestion de projets complexes dans les domaines de l’entraînement naval, des essais et expérimentation en mer, et des opérations off shore.