Développement économique ou transition énergétique : ce dilemme dont l’Afrique doit sortir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Tribunes
Un gazoduc sur la centrale d’Afam VI de Port Harcourt, au Nigeria
Un gazoduc sur la centrale d’Afam VI de Port Harcourt, au Nigeria
©FLORIAN PLAUCHEUR/AFP

Dilemme

En voulant limiter drastiquement l’exploitation par l’Afrique de ses propres ressources en énergies fossiles, au nom d’un modèle de transition qu’il a élaboré, l’Occident risque d’obérer gravement le développement du continent, semblant ignorer ses besoins élémentaires. Une posture qui passe de moins en moins et confine pour certains à une forme de colonialisme

Francis Mateo

Francis Mateo

Reporter, écrivain, acteur et grand voyageur... Francis Mateo est journaliste indépendant et auteur de nombreux récits de voyages à travers le monde sous forme de reportages ; il a également publié le livre « Mon associé Fidel Castro » (éd. Histoire d'Être, 2012), qui analyse les dernières décennies de la révolution cubaine. Il est actuellement journaliste correspondant en Espagne, depuis Barcelone, pour plusieurs titres de référence de la presse française et méditerranéenne (tourisme, gastronomie, transports, urbanisme,...). Il a créé en 2019 le site d'information Barnanews.com, entièrement dédié aux francophones de Barcelone. Il est diplômé en Sciences Humaines à l'Université Paul Valéry de Montpellier (Sociologie, Psychologie & Psychanalyse).

Voir la bio »

Lors du sommet africain pour le climat en septembre dernier, Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), a été sans ambiguïté : "L’attitude dogmatique des pays occidentaux, qui souhaitent empêcher l’Afrique d’utiliser son gaz, revient à lui interdire de s’industrialiser. Et il faut aussi être conscient des conséquences que cela a sur le plan géopolitique, en creusant la fracture entre l’Afrique et le monde occidental ». Le reproche explicite de l’économiste turc traduit bien l’exaspération des pays africains sommés de participer à l'effort de transition énergétique, alors qu'ils subissent eux aussi les conséquences de la guerre en Ukraine, avec une hausse sensible des prix du carburant et des denrées alimentaires, l'inflation et l'instabilité financière. Et alors que la guerre entre Israël et le Hamas menace d'aggraver cette conjoncture difficile. La recommandation exprimée par les Nations Unies dès les prémices du conflit en Ukraine est donc plus que jamais d'actualité : « Pour éviter les futurs chocs des prix alimentaires causés par la hausse des prix du pétrole et du gaz sur le marché mondial, les pays africains doivent améliorer leur capacité de production et d'exploration du pétrole et du gaz afin de combler les lacunes qui pourraient survenir à la suite d'une rupture de la chaîne d'approvisionnement parmi les principaux producteurs mondiaux ». Un avis en contradiction avec les « injonctions » environnementales visant à empêcher l'exploitation des combustibles fossiles. Avec, comme conséquence, de grands projets retardés, et parfois même annulés, en dépit même de la demande d'investisseurs européens désireux notamment de s'assurer un approvisionnement alternatif au gaz russe. D'où les controverses concernant, par exemple, l'exploitation de vingt-sept champs pétroliers et trois champs gaziers en République Démocratique du Congo dans le cadre du projet LNG Marine XII. Un chantier qui représente un important investissement de près de 5 milliards de dollars de la part des opérateurs, et jusqu'à 3 millions de mètres cube de gaz par jour.

Car en Afrique plus qu'ailleurs, l'exploitation des énergies fossiles est prise en tenaille entre la nécessité de respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et le besoin urgent de développement économique. Une dichotomie au cœur de la « diplomatie climatique internationale » qui soulève de nombreuses questions de justice et d’équité. Comme au Sénégal, aujourd'hui en proie à une grave inflation des denrées alimentaires (+ 15 % en moyenne l'an dernier). Pour sortir de cette ornière, le pays compte sur l’exploitation du gaz et du pétrole, dans le cadre du Plan émergent « Sénégal 2035 ». Cette activité devrait en effet participer efficacement à renflouer les caisses de l’Etat, notamment grâce aux retombées du projet de gaz naturel liquéfié (GNL) de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à la frontière maritime avec la Mauritanie, qui devrait générer 24 milliards de dollars en revenus cumulés. Avec une perspective de lancement à court terme, puisque la société de raffinage britannique BP chargée d'exploiter le site assure que les travaux sont achevés à plus de 89 %. Les impôts, taxes et parts de l’Etat et de la société sénégalaise du pétrole, Petrosen, représenteront 60% des recettes générées. Il faut ajouter les 15 milliards de dollars de retombées attendus sur le site pétro-gazier de Sangomar. Une manne que le Sénégal peut difficilement se permettre de refuser dans ce contexte de crise inflationniste. 

Et de nombreux autres Etats africains sont dans une situation comparable, comme le Nigéria, la Tanzanie ou le Mozambique. Ce pays parmi les plus pauvres du monde, pourrait accéder à une rente de quelque 80 milliards de dollars dans les prochaines années, avec l'exploitation du projet « GNL Afungi » dans la région de Cabo Delgado. Les réserves totales sont ici estimées à 5.000 milliards de m3. Mais si la partie offshore a commencé à exporter ses premières cargaisons fin 2022, la partie terrestre, malgré les perspectives prometteuses, est encore gelée pour des raisons de sécurité, la zone étant déstabilisée par une insurrection d’obédience islamiste qui a connu un pic d’expansion en 2021. Aujourd'hui, la situation progresse, ce qui permet d'envisager une reprise prochaine des travaux, et de possibles premières exportations fin 2027. Aussi, la lettre ouverte de plusieurs ONG aux bailleurs de fonds, pour remettre en cause leur soutien au projet, interroge profondément les acteurs locaux. Le journal Noticias pointe par exemple la présence d’une seule ONG mozambicaine parmi les signataires, et Frederico Joao, président du forum des organisations de la société civile de Cabo Delgado, souligne une forme d’ingérence dans les mots d’ordre venant des pays les plus développés : « Les pays occidentaux ont eu leur opportunité et il serait injuste que, maintenant que notre tour est arrivé, ils apparaissent et disent que nous ne pouvons pas avancer »

« l’Afrique doit utiliser ses réserves de gaz »

Les réticences sont d'autant moins comprises que la mise en œuvre de projets de GNL à Afungi peut être un levier dans une logique de transition énergétique pour favoriser le financement d'autres sources énergétiques. C'est le cas au Mozambique avec la centrale solaire de Mocuba (40 MW), ou le projet de centrale hydroélectrique de Mphanda Nkuwa, d'une capacité de 1 500 mégawatts (nécessitant un investissement de 4,5 milliards de dollars). Car c'est bien sur cette capacité d'investissement que se joue en grande partie la réussite d'une transition énergétique en Afrique. Comme l'affirmait Antonio Guterres lors du dernier Sommet africain sur le climat à Nairobi, « les énergies renouvelables pourraient être le miracle africain ». Et il semble que l'Afrique ait un bel avenir en matière d'énergies renouvelables, puisque le potentiel de développement serait cinquante fois plus important que la demande mondiale en électricité prévue à l'horizon 2040. 

Mais pour que la déclaration du Secrétaire général de l'ONU ne reste pas un vœu pieux, de nombreux obstacles recensés dans une étude du World resources institute en septembre dernier doivent être levés : le coût du capital élevé et le risque d’investissement selon les pays, des réseaux et infrastructures à créer, un nécessaire renforcement des réseaux électriques existants pour absorber même des parts relativement faibles d’EnR, des doutes sur la viabilité commerciale des projets au vue de la faible demande en électricité des Africains… Le rapport souligne que les modèles existants sous-estiment souvent ces variables pourtant fondamentales, pour conclure que « l’Afrique doit utiliser ses réserves de gaz ». En outre, la stratégie proposée en faveur de l’exploitation des réserves de gaz permet de réduire l’empreinte carbone en diminuant le recours au charbon, qui représente toujours 13% de la production d'énergie en Afrique. Le gaz apparaît ainsi comme le moyen le plus adapté de la transition énergétique.

« Pour assurer une transition énergétique en douceur, le développement des énergies renouvelables nécessite des investissements importants dans les infrastructures de réseau, le gaz naturel africain jouant un rôle essentiel dans le développement d’infrastructures de réseau résilientes », note l’analyste Reham Gamal. C'est d'ailleurs la démarche adoptée en Europe, et Janel Siemplenski Lefort ne dit pas autre chose quand elle souhaite, au nom de La Banque européenne d'investissement, que « le fardeau de la transition vers une économie sobre en carbone soit partagé équitablement au sein des sociétés ». Et la réalité oblige à constater que le continent africain, regroupant 17 % de la population mondiale, contribue seulement à hauteur de 4 % environ aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. C'est aussi la région la moins industrialisée du globe. 

Nier ces réalités parce qu’elles contrarient une vision idéologique de la transition exportée des pays les plus développés peut être perçu comme un déni des besoins du continent, confinant au mépris. Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, emploie même le terme de « néocolonialisme écolo » pour définir ce sentiment d'iniquité, à une époque où l'Occident est souvent perçu comme un « donneur de leçons ». La déclaration récente des 27 ministres européens de l’Environnement résonne toutefois comme le début d'une prise de conscience. En prévision de la COP 28, l'UE a effectivement publié un communiqué commun préconisant un secteur énergétique « principalement exempt de combustibles fossiles » d'ici 2050, et un système électrique entièrement « ou principalement décarboné dans les années 2030 ». Des nuances inédites qui plaident pour davantage de modération vis-à-vis des politiques énergétiques en Afrique. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !