"Derrière le démantèlement de Fret SNCF, l’absence de vision stratégique du gouvernement !"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le démantèlement en cours de Fret SNCF est loin d’être un sujet technique : c’est un enjeu politique
Le démantèlement en cours de Fret SNCF est loin d’être un sujet technique : c’est un enjeu politique
©RAYMOND ROIG / AFP

Enjeu politique

Une tribune de Julien Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains

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Le démantèlement en cours de Fret SNCF que le ministre des Transports, Clément Beaune, impose à la filiale de la SNCF sous la forme d’un plan de « discontinuité économique » est loin d’être un sujet technique : c’est un enjeu politique.

Il ne s’agit en effet pas d’engager une restructuration destinée à renoncer à des activités déficitaires mais de l’amputer d’activités rentables. Le plan prévoit que Fret SNCF n’opère plus sous le nom de la société publique et se sépare de 10 % de son personnel (500 cheminots réintégrés dans le groupe).

Fret SNCF va céder 23 contrats (20 % de son chiffre d’affaires) qui concernent des trains dédiés (sans arrêt du départ à l’arrivée), alors qu’ils sont pourtant plus rentables, en raison de leur prévisibilité par rapport aux trains composés de wagons chargés et déchargés en cours de trajet.

La société publique va céder 62 locomotives (8 % de son parc) à ses concurrents … qui pourront les louer à la SNCF.

Enfin, Fret SNCF va céder une partie de son patrimoine immobilier. Quel professionnel conseillerait de vendre le patrimoine immobilier en pleine crise du secteur ?

En somme, le gouvernement organise une privatisation des profits et une nationalisation des pertes, alors même que Fret SNCF remonte la pente au prix de grands efforts et en récolte enfin les fruits. Son résultat opérationnel était en effet positif en 2021 et en 2022 après des décennies de crise.

Le déclin du fret ferroviaire remonte à la crise des années 1970 et à la fermeture des industries lourdes et des mines. Cette activité était devenue la caricature d’un service public sans orientation, avec des wagons égarés, retrouvés parfois quelques mois plus tard à l’autre bout de l’Europe, des retards fréquents et des grèves. Les industriels ont alors privilégié la route.

Le fret ferroviaire a été ouvert à la concurrence en 2006 lorsque la SNCF n’y était pas prête et a accumulé les pertes. Les défauts de Fret SNCF ont contribué au succès de ses concurrents.

Alors pourquoi ce plan si Fret SNCF va mieux ? Clément Beaune le présente comme la contrepartie de l’arrêt de l’enquête lancée par la Commission européenne pour infraction au régime des aides d’Etat - mais il n’a pour le moment obtenu aucune garantie. En 2016, des concurrents ont en effet déposé une plainte auprès de la Commission européenne arguant que du fait du statut public de la SNCF, son soutien à une branche déficitaire constituait une aide d’État abusive. La plainte a été retirée depuis mais une enquête a été ouverte en janvier 2023. La sanction maximale pourrait contraindre la filiale à rembourser à sa maison-mère les années de déficit, soit 5,3 milliards d’euros. Autant dire la faillite.

La Commission pourrait condamner Fret SNCF à la faillite, mais le souhaite-t-elle vraiment ? Veut-elle encourager le transport routier et les émissions de carbone ?

L’empressement du gouvernement à vouloir éviter une enquête interpelle, d’autant que le prix à payer est un plan qui va concentrer Fret SNCF sur le transport de wagons isolés, laquelle est justement l’activité la moins rentable et la plus susceptible d’être subventionnée !

Le gouvernement n’a jamais défendu les intérêts du fret. Rappelons que Mme Élisabeth Borne, ministre des Transports de 2017 à 2019 pilotait la restructuration de la SNCF, alors pourquoi n’a-t-elle pas tenu compte de cette plainte ? En 2018, l’État a repris une partie de la dette de la société publique mais pas celle du fret.

Au-delà des choix irrationnels et des non-dits, nous avons besoin d’une vision stratégique. Le fret ferroviaire représente en France 11 % du trafic, contre 13% en Italie, 19% en Allemagne et 22% en Pologne. Le gouvernement s’est engagé auprès de la Commission à augmenter la part à 18 % en 2030 sachant pertinemment que l’objectif n’est pas tenable dans les conditions actuelles.

Les mesures s’empilent sans cohérence : ouverture à la concurrence, régionalisation, plan de 100 milliards, etc. Tout cela est coûteux et illisible quand les chiffres ne sont pas brillants.

Il faut revoir l’ensemble de la logistique pour assurer du volume et de la prévisibilité aux opérateurs. Les ports français sont à la traîne. Selon un rapport du Sénat de 2020, 40 % des conteneurs importés en France transitent par un port étranger (Rotterdam, Gênes, etc.).

Le Havre, qui a une position géographique à l’ouest de la rangée nord-Europe incontournable, occupe la 69e place mondiale, après Londres . C’est aberrant alors qu’un porte-conteneur qui y fait escale évite le rail de Calais, véritable goulot d’étranglement. Son volume conteneurs est cinq fois moins important de Rotterdam, qui bénéficie d’une logistique robuste minimisant le stockage et raccourcissant les escales.

Marseille dont le volume conteneurs est deux fois plus petit que le Havre est sorti des 100 premiers ports mondiaux, malgré des améliorations apportées depuis une vingtaine d’années.

La cause des malheurs français est connue : le climat social et la trop faible intermodalité mer-rail et mer-fleuve. Le réseau ferré n’est pas adapté au gabarit des conteneurs maritimes. Le ferroutage reste balbutiant. En France, on ne sait plus réparer une voie en faisant passer les trains sur l’autre voie sans obliger à fermer l’axe.

Traiter ces questions demande une vision d’ensemble et plus de créativité pour ne pas laisser mourir à petit feu le fret ferroviaire. Si Pierre-Paul Riquet a pu percer le canal du Midi au XVIIe siècle et Charles de Freycinet mailler finement le réseau ferroviaire vers 1875, porter les infrastructures de transport de la France au niveau des pays les plus modernes est un défi à notre portée.

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