Déclaration des droits de l’Homme, constitutionnalisation des combats politiques : la route vers la servitude ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
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Utilité commune

Nous avons sans doute un peu tendance à l’oublier, mais dans notre Ve République, nous vivons en grande proximité avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (texte intégral en fin d’article)

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Par exemple, il y a deux ans, lorsque les juges du Conseil constitutionnel ont dû se prononcer sur la constitutionnalité de la loi Avia contre les contenus haineux sur internet, c’est à son article 11 qu’ils se sont référés pour la censurer très sévèrement.

DDHC 1789 – Art. 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »


Après avoir établi que l’évolution des technologies et des pratiques de communication rendent les plateformes d’expression et de débat en ligne parfaitement éligibles au droit défini dans cet article, et après avoir confirmé que le législateur a toute compétence pour réprimer les abus de la liberté d’expression – ce que la loi Avia se flattait de faire eu égard aux contenus à caractère terroriste, pédopornographique, haineux ou sexuel – ils ont aussi souligné le fait que la réponse envers les abus en question devait être « adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi ». Faute de quoi, elle porterait une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’expression et de communication. Or c’est précisément ce qui n’allait pas dans la loi Avia

Jusqu’en 1971, la Constitution du 4 octobre 1958 faisait seule autorité. À noter que dès son origine, elle stipulait dans son préambule l’attachement du peuple français à la DDHC de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946. Mais le Conseil constitutionnel ne s’appuyait alors que sur la Constitution stricto sensu, donc hors préambule, pour rendre ses décisions.

En 1971 cependant, à l’occasion d’un jugement resté fameux sur la liberté d’association, le Conseil constitutionnel fait explicitement référence au préambule de la Constitution de 1958, donc aux deux déclarations attachées, pour annuler un article de loi, se faisant ainsi le garant du respect des droits et des libertés des individus. Le « bloc de constitutionnalité » était né. Outre la Constitution de 1958, il comprend donc la DDHC de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l’environnement ajoutée en 2005 (y compris son très fossilisant principe de précaution). Pas de hiérarchie entre ces textes, tous concourent à établir la constitutionnalité des lois.

Les quelques lignes qui précèdent permettent déjà de toucher du doigt plusieurs difficultés, relatives d’une part à l’interprétation des textes et d’autre part à leur contexte historique et politique de rédaction.

Quelles que soient l’universalité et l’imprescriptibilité que l’on souhaite donner aux droits les plus fondamentaux, il reste toujours un certain champ d’interprétation. Dès son emblématique article 1, la DDHC n’est pas sans susciter quelques questionnements sur ce que l’on entend par « utilité commune » :

DDHC 1789 – Art. 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »


On devine que selon le point de vue adopté, « l’utilité commune » donnera lieu à des appréciations variées voire contradictoires.

De la même façon, la liberté d’expression est un droit parmi les plus précieux des hommes – ainsi le déclare l’article 11 de la DDHC – mais elle n’en est pas moins sujette à un certain flou à partir du moment où on lui reconnaît des possibilités d’abus, lesquelles seront réprimées par la loi. Toute la question consiste à savoir où la loi va placer le curseur de l’abus, comment elle entend ensuite réprimer ces abus et comment les instances censées veiller au respect de la Constitution vont se positionner par rapport à cela.

L’enjeu de la préservation des libertés consiste donc à ne pas faire entrer dans le bloc de constitutionnalité des éléments qui autoriseraient tout à fait légalement à placer les droits fondamentaux derrière tel ou tel impératif politique de circonstance. 

Une éventualité qui n’est pas que vue de l’esprit. Car souvenez-vous, la Convention citoyenne pour le Climat instituée par Emmanuel Macron pour se sortir de la crise des Gilets jaunes avait prévu de faire suivre le premier paragraphe du préambule de la Constitution de 1958 sur l’attachement aux Déclarations des droits par le petit texte suivant :

« La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité. »


Traduction : nos libertés publiques et nos droits civils deviendraient intégralement soumis à la préoccupation écologique. La planète d’abord, l’homme ensuite : c’est terrifiant d’autoritarisme idéologique. Quoique ayant annoncé partout avec une belle démagogie que les propositions des Conventionnels pour le climat seraient reprises « sans filtre », Emmanuel Macron avait finalement dû retenir ses chevaux et la modification envisagée du Préambule fut heureusement écartée. Mais ne surtout pas croire que de telles idées ne pourraient pas resurgir.

Autrement dit, on peut parfaitement avoir une belle Constitution (ou bloc de constitutionnalité) et vivre en dehors de l’État de droit (comme les Cubains ne le savent que trop bien).

Les circonstances historiques et l’état du débat politique et économique à un moment donné jouent également beaucoup. Autant la DDHC de 1789 est clairement trempée dans les travaux des philosophes des Lumières et fait suite à la fin de l’absolutisme royal et à l’abolition des privilèges du 4 août 1789, autant le préambule de la Constitution de 1946, sorte d’élargissement de la Déclaration précédente (droits des femmes identiques aux droits des hommes, droit d’asile, droit syndical, droit de grève, droit à l’instruction publique gratuite, etc.) est marquée en bien des articles au sceau du programme très collectiviste du Conseil national de la Résistance adopté au même moment.

D’où une certaine incohérence au sein même de notre bloc de constitutionnalité. Exemple le plus frappant, la DDHC consacre en son article 17 le droit de propriété, qualifié d’inviolable et sacré, tandis que le préambule de 1946 acte le principe de la nationalisation :

Préambule de 1946 – Art. 9 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »


On se doute que le cas échéant, les bonnes raisons ne manqueront jamais pour faire rentrer tel bien ou telle entreprise dans les critères de nationalisation de cet article 9. En tout cas, nous voilà rassurés : la nationalisation à 100 % d’EDF est parfaitement constitutionnelle. Justifiée dans l’objectif d’améliorer la prospérité française, c’est une autre histoire.

De plus, le préambule de 1946 fait surgir la question des devoirs. Autant elle ne se pose pas tant qu’on parle des droits naturels et civiques des personnes, autant l’extension des droits aux prestations sociales les plus diverses entraîne un questionnement sur les contreparties.

Il n’en reste pas moins qu’en août 1789, les députés des États généraux, institués d’abord en Assemblée nationale avec abolition des trois ordres, puis en Assemblée constituante pour rédiger une nouvelle Constitution, ont décidé après d’intenses débats, de faire précéder cette dernière d’une déclaration des Droits. Les Droits de l’Homme, autrement dit l’énoncé des droits naturels de tout individu venant au monde, à savoir la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ; et les Droits du Citoyen, autrement dit l’énoncé des droits civiques et politiques de ces mêmes individus sur la base de la séparation des pouvoirs et de la présomption d’innocence.

Si l’influence des philosophes des Lumières fut évidemment déterminante dans les éléments énoncés solennellement par la DDHC, on peut cependant en faire remonter l’origine à la bataille de Bouvines du dimanche 27 juillet 1214, ou du moins aux conséquences politiques véritablement fondatrices qu’elle déclencha outre-Manche suite à la défaite militaire du roi d’Angleterre Jean sans Terre.

Ce dernier comprit rapidement qu’ayant perdu beaucoup de terres, ses revenus allaient baisser, ce qui l’obligea à lever des impôts supplémentaires sur ses barons, lesquels accueillirent fort mal les nouvelles taxes et l’intrusion royale supplémentaire sur leur fief que cela impliquait. En juin 1215, soucieux de limiter l’arbitraire royal, ils arrachèrent au roi un accord universellement célèbre sous le nom de Magna Carta. En son article 39, il dispose notamment que :

« Aucun homme libre ne sera arrêté ni emprisonné, ou dépossédé de ses biens, ou déclaré hors-la-loi, ou exilé, ou exécuté de quelque manière que ce soit, et nous n’agirons pas contre lui et nous n’enverrons personne contre lui, sans un jugement légal de ses pairs et conformément à la loi du pays. »


Il s’agit là de la première formalisation britannique de l’Habeas Corpus qui sera renforcé par l’Habeas Corpus Act de 1679 et dont on retrouve l’esprit dans les articles 7, 8 et 9 de la DDHC.

Quant aux droits naturels, on pense immédiatement à la Déclaration d’Indépendance des États-Unis de 1776. Dans une formulation extrêmement concise, ce texte rédigé par les représentants des 13 colonies anglaises afin de s’affranchir de l’arbitraire essentiellement fiscal – encore ! – du roi d’Angleterre George III, commence ainsi : 

« Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. »

En citant la recherche du bonheur, il me semble que la Déclaration d’Indépendance n’oublie pas de regarder l’homme dans ses dimensions privées et intimes, tandis que la DDHC, en parlant de résistance à l’oppression, le regarde peut-être plus volontiers dans ses capacités civiques et politiques. Mais les deux textes ont en commun d’être nés à quelques années de distance dans deux contextes incontestables de résistance à l’oppression, et la Déclaration d’Indépendance, en définissant le rôle des gouvernements, a préparé le terrain dans les deux pays pour la rédaction d’une Déclaration des Droits plus élaborée et pour l’adoption d’une Constitution compatible avec ces droits fondamentaux.

L’important étant de veiller à ce que la Constitution, à force d’être amendée au gré des circonstances et des agendas politiques des uns et des autres, ne nous entraîne pas finalement sur une route de servitude.

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