Comment expliquer la nouvelle folie qui consiste à vider son sac pour en prendre en photo le contenu et le publier sur le web ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le groupe Flickr "What’s in my handbag" réunit 25 000 membres.
Le groupe Flickr "What’s in my handbag" réunit 25 000 membres.
©Reuters

Allo docteur, c'est grave ?

Exposer à la terre entière le contenu de son sac parfaitement rangé est la nouvelle tendance sur les sites de partage de photos. Explication d'une curieuse pratique.

Jean-Baptiste  Stuchlik

Jean-Baptiste Stuchlik

Jean-Baptiste Stuchlik est psychosociologue, il a dirigé le secteur Santé/Secteur Public de plusieurs cabinets de conseil internationaux. Il est le co-auteur de "Petit traité du bonheur 2.0: Comment prendre soin de soi et des autres grâce aux technologies numériques" avec Christophe Deshayes, chez Armand Colin, 2013.

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Atlantico : Les internautes s'adonnent à une nouvelle tendance sur la toile : poster des photos de tout et surtout de n'importe quoi. Ces derniers temps, le principe est de vider de son sac, ranger tous les éléments qui s'y trouvent de façon militaire, prendre en photo le résultat final et le partager sur les réseaux sociaux. Au delà de cette tendance, que traduit le fait de photographier nos objets personnels ? Est-ce une façon d'exposer notre personnalité ?

Jean-Baptiste Stuchlik : Effectivement, le groupe Flickr "What’s in my handbag" réunit 25 000 membres, mais ses 12 000 photos sont à comparer aux 500 000 images du groupe "I ate this", ceux qui photographient ce qu’ils mangent. En fait, le contenu du sac à main est le reflet de la société et de son évolution, autant que celui de la personnalité de son propriétaire, comme l’a écrit le sociologue Jean-Claude Kaufmann, dans son livre Le sac - une histoire d’amour. Le sac à main n’est pas qu’un objet intime, c’est aussi le témoin de la place de la femme dans la société. A travers les objets du sac, les individus racontent aussi leur quotidien et leur mode de vie : leur travail, leurs sorties, leurs enfants, leur santé. Cela va bien au-delà de la seule personnalité. 

Plus généralement, on assiste à la pratique de plus en plus répandue du "journal photographique", life logging ou "carnet de vie", où les gens gardent trace quotidiennement de qui leur arrive et de ce qu’ils ont fait. C’est la version "nouvelles technologies" de l’exercice du journal qu’on tenait avant sur papier, que le smartphone rend plus immédiat et facile. Les individus peuvent publier en ligne ce journal, mais font cet exercice surtout pour eux-mêmes : cela permet de se retrouver, de se remémorer les bons moments, et il est prouvé que cela a des effets positifs sur l’humeur et le sentiment d’être heureux.

Avec les réseaux sociaux, sommes-nous tous en train de devenir égocentrique ? Ces différentes photos sont-elles également le symbole de notre attachement à la société de consommation ?

Ce serait aller un peu vite que de mettre en lien direct réseaux sociaux et égocentrisme, à la fois pour des questions d’âge de la vie et de recul historique.

Depuis longtemps, la psychiatrie a montré que l'égocentrisme est un trait typique et quasi-normal de l'adolescence. Le fait que l’on croise beaucoup d’ados sur Twitter et Facebook et que ceux-ci soient "naturellement" portés vers des attitudes égocentriques ne doit pas pousser à une interprétation pour l’ensemble de la société. Certes, des études semblent montrer que l'égocentrisme adolescent a tendance à se prolonger chez les jeunes adultes, mais ce mouvement a été observé avant l'apparition des réseaux sociaux. Les causes en sont vraisemblablement qu'on fait des études plus longues, qu'on reste plus longtemps chez ses parents, qu'on devient parent plus tard aussi...

Par ailleurs, il y a toujours eu un aspect mise en scène de soi au quotidien, comme l’a étudié le sociologue Erwin Goffman dans l’ouvrage de référence La mise en scène de la vie quotidienne, paru en… 1959 ! La société de consommation a plus de 60 ans, il y a toujours eu des gens fiers de leur voiture, leur maison, leurs bijoux, leur fourrure... cela se perpétue aujourd'hui avec des moyens plus modernes c'est tout.

A contrario, les réseaux sociaux servent aussi dans de nouvelles initiatives de solidarité vis-à-vis de populations défavorisées, et peuvent être vecteur de mobilisation pour des actions humanitaires (ex. Fukushima, Haïti…). Les individus font aussi preuve d’altruisme via les réseaux sociaux.

Ces nouveaux modes de communication mettent-ils en exergue certains de nos comportements ? Lesquels ?

Tout à fait, ces nouveaux modes de communication peuvent s'avérer très révélateurs de nos comportements. C’est précisément en cela qu’ils peuvent même nous être bénéfiques ! Ces outils numériques par lesquels on expose son quotidien, ont un effet miroir potentiellement utile.

Par exemple certains prennent en photo tout ce qu'ils mangent. Eh bien on s'est rendu compte que cela était très efficace pour maigrir. En effet, on ne s'en rend pas compte, mais la majeure partie de nos comportements alimentaires sont automatiques (93% selon plusieurs études), conditionnés par les habitudes et, il faut le dire, par la publicité et bientôt par le neuromarketing. En photographiant, on reprend conscience de ses comportements, et on peut reprendre la main dessus. Des études ont montré que si l’on mettait en ligne notamment sur des réseaux sociaux ce qu’on mangeait, on perdait plus de poids lors d’un régime. Comme quoi les réseaux sociaux peuvent être utiles !

Pour conclure, grâce au numérique la photo est devenu un moyen pratique de capture de l’information, de communication entre nous, et de rapport à soi-même. C’est une tendance de fond qui dépasse le seul cas du sac à main.

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