Amnistie en Catalogne : la fin de l’état de droit dans une Espagne au bord de la crise civile<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Tribunes
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez à Madrid (Espagne), le 1er février 2023
Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez à Madrid (Espagne), le 1er février 2023
©JAVIER SORIANO / AFP

Crise

Imaginons un instant que pour se maintenir au pouvoir, Emmanuel Macron se mette à quémander une poignée de sièges des séparatistes corses coupables de sédition, ce qui leur valut d’être condamnés par les plus hautes instances judiciaires.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



Voir la bio »

Supposons que Macron envoie des émissaires négocier avec le chef de ces séparatistes, un fugitif terré à Bruxelles qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Notons que l’objet principal objet des négociations est une amnistie dont le champ d’application est directement dicté par ses futurs bénéficiaires et qui comprendrait toutes les poursuites judiciaires entre 2012 et 2023, y compris pour détournement de fonds publics et violences urbaines. Imaginons que pour parvenir à cet accord, Macron se dédise sans vergogne de ses promesses électorales, accède à toutes les demandes des séparatistes et  capitule en rase campagne : effacement d’une ardoise de quinze milliards d’euros que cette région en faillite chronique doit au contribuable, nomination d’un médiateur international entre un pays et l’une de ses régions, capacité absolue de récolter l’impôt et mise en place d’une commission parlementaire pour contrôler les juges et leur « lawfare ». Supposons finalement que toutes ces capitulations soient concédés sans contreparties alors que les séparatistes  répètent à l’envi que la sécession n’est que partie remise et que leur soutien dépend également d’un référendum d’autodétermination, tout aussi  anticonstitutionnel que l’amnistie envisagée, mais qu’ils obtiennent néanmoins. 

Veuillez remplacer « Macron » par « Sánchez » et « corse » par « catalan » et vous aurez une image nette de la crise existentielle que traverse l’Espagne et qui a jeté dans les rues des centaines de milliers de manifestants au quatre coins du pays. Car les enjeux sont de taille : il en va de l’intégrité territoriale de l’Espagne, de la souveraineté populaire et de la survie de son modèle constitutionnel qui a apporté une prospérité et une stabilité sans précédents depuis cinquante ans. Mais il s’agit également de « l’abolition de l’état de droit » selon les termes cinglants employés par le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire dans une déclaration d’une gravité inédite. 

Et pour cause ! Car derrière le prétexte fallacieux d’un apaisement territorial se cache la volonté à peine voilée de gouverner à n’importe quel prix, et quelles qu’en soient les conséquences, la marque de fabrique de cet aventurier de la politique, désinvolte et narcissique, qu’est Pedro Sanchez. Juridiquement, une amnistie supposerait de créer une caste de politiciens au-dessus des lois qui pourrait marchander leurs sièges contre leur immunité pénale, en fonction des intérêts personnels des uns et des autres. En somme, des privilèges monnayables si le Premier Ministre en a besoin pour gouverner. En outre, cette mesure signerait la fin brutale de la séparation des pouvoirs dès lors que le gouvernement ou le parlement s’arrogent la capacité d’ annuler les arrêts des tribunaux, y compris ceux de la Cour Suprême. Sans oublier que ces concessions sont vertement contraires à une Constitution qui interdit explicitement les  grâces de caractère général  (donc, les amnisties) et l’autodétermination. Finalement, une amnistie, ce serait piétiner l’égalité des espagnols devant la loi celle-ci pourrait désormais s’appliquer à la carte, par le fait du prince, dans une seule région,  selon le nombre de sièges qu’un parti pourrait mettre sur la table. 

Des politiciens blanchissant d’autres politiciens pour des intérêts purement politiciens sous le prétexte politicien de faire « barrage à l’extrême droite », avec en toile de fond l’unité de la Nation,  s’en est trop pour des millions d’espagnols qui voient le pays sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles de Sánchez. Même la vielle garde socialiste, avec Felipe González en tête, est vent debout contre l’amnistie et contre toute tentative d’enterrer l’esprit de concorde et de réconciliation qui régnait depuis des décennies et qui est la clé de voute de la constitution actuelle.  Surtout que Sánchez n’en est pas à son premier essai : voilà cinq ans qu’il chevauche une coalition « Frankenstein » (selon l’expression d’un ténor socialiste) regroupant tous les partis contraires à l’existence même de l’Espagne : extrême gauche, nationalistes basques, séparatistes catalans et même les anciens terroristes de l’ETA. Voilà également cinq ans qu’il colonise les institutions et neutralise les contre-pouvoirs : nomination de ses ministres de la Justice au Parquet et à la Cour Constitutionnelle, prise d’assaut de la télévision publique, de la Cour des comptes, du fleuron industriel INDRA ou de l’institut national en charge des enquêtes d’opinion. Et finalement, voilà cinq ans qu’il honore, avec une étrange docilité, toutes les requêtes des séparatistes catalans, ses plus belles capitulations étant de les gracier sans contreparties et d’éliminer ou d’édulcorer du code pénal les délits pour lesquels ils avaient été accusés, notamment le détournement de fonds publics. Un code pénal sur mesure, qui dit mieux ? Et bien justement, Carles Puigdemont qui vient d’obtenir bien plus contre sièges sonnants et trébuchants depuis sa planque bruxelloise. 

Des atteintes colossales à l’état de droit qui sont pourtant passées inaperçues jusqu’à ce que l’amnistie mette le feu aux poudres, au point de faire sortir Bruxelles de sa réserve par le biais de son Commissaire à la Justice, Didier Reynders, qui demande à en savoir plus. Enfin ! Ou plutôt « la moindre des choses » ? Car le silence de l’UE était plus que gênant depuis belle lurette. Pourquoi une Europe si laxiste avec un Sánchez sur le point de commettre l’irréparable alors qu’elle se montre inflexible avec d’autres au point de les assoiffer financièrement ? 

Prenons un exemple concret et d’actualité: l’exclusion de 21 universités hongroises des programmes Erasmus et Horizon sous prétexte qu’une dizaine de politiciens siégeaient dans leurs conseils d’administration, comme cela arrive dans d’autres Etats membres.  Siégeaient, car ils ont démissionné depuis des mois sans que la mesure ne soit pour autant levée. Pour quelle raison, alors ? Nul ne le sait. Une sanction arbitraire et générale, pour une infraction hypothétique,  d’une sévérité qui fleure le règlement de compte politique et qui prend en otage 180 000 étudiants, au nom de l’état de droit, alors que Bruxelles ferait la sourde oreille aux appels désespérés des juges espagnols ? Insoutenable hémiplégie morale, politique et juridique qui minerait toute la crédibilité de Bruxelles et ferait de la très floue notion d’état de droit un synonyme orwellien d’arbitraire européen. 

Nous n’en sommes pas encore là, la Commission a finalement agi même si le Parlement Européen, la société civile et universitaires autoproclamés défenseurs de l’Etat de droit  et de nombreux gouvernements restent silencieux. En attendant, l’Espagne avance inexorablement vers une polarisation qui rappelle dangereusement celle des années trente. Dernier exemple, la tentative d’assassinat en pleine rue, à Madrid, d’Alejo Vidal Quadras, ancien vice-président du Parlement Européen et fondateur du parti Vox. 

Dans ces circonstances chaotiques,  des millions d’espagnols ont envahi les rues des 42 plsu grandes villes d’Espagne le 12 novembre, la plus grande mobilisation citoyenne depuis des décennies. Désormais, ils se tournent vers l’UE d’un regard circonspect en espérant simplement qu’elle applique sans ambages le principe élémentaire que Sánchez essaye de dynamiter sur l’autel de ses ambitions personnelles : que tout le monde soit logé à la même enseigne, y compris les hommes politiques. Et encore plus important : que l’Espagne demeure un état de droit, une démocratie et qu’elle demeure, tout simplement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !