2023 ou le résultat limité de la contre-offensive des forces armées ukrainiennes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats ukrainiens
Des soldats ukrainiens
©Anatolii Stepanov / AFP

Bilan 2023

Dans l’année géopolitique 2023, de nombreux événements retiennent l’attention : de la présidence indienne des G20 et de l’Organisation de Coopération de Shanghai à la COP 26 en décembre, et de l’attaque du Hamas contre Israël à l’entrée en campagne de Vladimir Poutine, les relations internationales ont, une fois encore, été marquées par de nombreux revirements cette année. Parmi eux, un événement doit retenir notre attention : c’est le résultat limité de la contre-offensive des forces armées ukrainiennes durant l’été. Cet événement marque en effet un point d’inflexion dans la donne géopolitique européenne.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Du 4 juin à octobre 2023, les forces armées ukrainiennes se sont engagées dans une vaste opération de reconquête de leur territoire national. Elles ont ainsi tenté de contrer l’invasion militaire russe de février 2022, de répondre à l’annexion des quatre districts orientaux d’Ukraine (Kherson, Louhansk, Donetsk et Zaporija) par la Fédération de Russie en septembre 2022 et de regagner les 20% à 25% de territoire illégalement occupés par la Russie depuis le début de la crise bilatérale en 2014.

Annoncée depuis l’hiver 2022-2023, fortement attendue par les soutiens occidentaux du gouvernement de Kiev, minutieusement préparée par l’état-major ukrainien et espérée par la population ukrainienne, cette vaste opération n’a pas obtenu les résultats escomptés en termes de reconquête territoriale. A la fin de 2023, elle aurait réussi à reprendre seulement 400 km2. 

La guerre d’Ukraine entre-t-elle, fin 2023, dans une nouvelle phase, après la résistance héroïque de 2022 et l’inachèvement de la contre-offensive de 2023 ?

Ukraine : des buts militaires aux objectifs stratégiques

Sans entrer dans les détails de cinq mois d’opérations militaires, il est nécessaire de rappeler les objectifs explicites de cette opération. Dès juin 2023, les forces armées ukrainiennes ont tenté de couper les troupes russes en deux en faisant porter leurs efforts sur la zone centrale du front. L’espoir était ainsi d’isoler les troupes russes de Crimée et du district de Kherson, au sud, des troupes d’Ukraine orientale puis de parvenir jusqu’au littoral de la Mer d’Azov, devenue une « mer russe » depuis 2022. Cela aurait suscité plusieurs difficultés militaires à la Russie : les lignes logistiques, déjà faibles en 2022, auraient été désorganisées ; les troupes russes du sud auraient été alimentées uniquement par le pont du détroit de Kertch entre Fédération de Russie et Crimée ; la tenue du front de plusieurs centaines de kilomètre aurait été plus difficile ; enfin, toute nouvelle offensive russe d’ampleur aurait été exposée à des opérations ukrainiennes de prise à revers. Ce plan n’a pas pu être accompli, de sorte que les buts militaires ukrainiens n’ont pas pu être atteints alors même que les pertes en vie ont été importantes -même si les chiffres exacts n’ont pas été publiés.

L’impact de la situation tactique sur la donne stratégique est évident : ce revers éloigne la perspective d’une reconstitution rapide de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et du rétablissement de sa souveraineté sur la partie orientale de son sol. Les conséquences de cette opération inaboutie sont, pour l’Ukraine, critiques : l’annulation pure et simple de l’invasion russe prendra longtemps et nécessitera une politique de longue haleine ainsi qu’un effort de guerre prolongé. En politique intérieure ukrainienne, les débats ont commencé à émerger après l’union sacrée de 2022 : déjà des voix se font entendre, notamment à l’état-major, pour épargner davantage la vie des soldats ukrainiens. Reste à savoir si la population ukrainienne demandera ou acceptera un changement d’objectif stratégique en 2024.

Russie : de l’invasion à la réélection en passant par la fortification

Les conséquences de cette campagne en Russie sont, elles aussi, importantes. 

Sur le plan strictement militaire, 2023 a été l’année d’une certaine résilience russe. En effet, l’année 2022 s’était conclue, pour la Russie, par une série de revers incontestables : en octobre, l’Ukraine avait en effet repris, les armes à la main, deux villes essentielles : Kharkiv, au nord-est du pays, et Kherson, au sud du territoire. Critiquée par le pouvoir politique russe, mise en cause par les alliés occidentaux de l’Ukraine et profondément remaniée dans son commandement, l’armée russe a démontré en 2023 sa capacité à fortifier les territoires occupés d’Ukraine. La désormais fameuse « ligne Sourovikine » (constituée de champs de mines, de tranchées et de fortifications) a empêché les forces ukrainiennes d’obtenir un succès militaire décisif et de changer le rapport de force. Le « succès » militaire russe est lui aussi limité : il a seulement consisté dans la conservation des gains territoriaux obtenus en 2022. Mais le rapport de force psychologique en a été modifié : désormais directement commandée par le général Gherassimov, chef d’état-major des armées de la Fédération de Russie, l’opération militaire russe en Ukraine a obtenu l’enlisement de la ligne de front et donc la préservation d’un statut quo illégal au regard du droit international mais favorable à la « guerre de longue durée » promise par le commandement politique russe.

La fortification sur le terrain ukrainien a accéléré le renforcement du leadership russe. Contesté les armes à la main par Evgueny Prigojine en juin, bousculé par le magistère moral obtenu par le président Zelensky sur la scène internationale depuis 2022, poursuivi par la Cour Pénale Internationale (CPI) et empêché de participer au sommet des BRICS en août, le président russe a bénéficié des résultats décevants de la contre-offensive ukrainienne. Il a ainsi réitéré ses objectifs de guerre en Ukraine à l’occasion de sa conférence de presse annuelle en décembre intitulée « bilan 2023 avec Vladimir Poutine ». Autrement dit, la limitation des résultats de la contre-offensive ukrainienne permet au président russe de reprendre la main, au moins en apparence, dans la perspective de sa réélection probable en mars 2024.

Etats-Unis et UE : de la politique étrangère à la campagne présidentielle

Le non-succès de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023 a également un impact sur les campagnes électorales de 2024 aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. L’administration Biden et, dans une moindre mesure, la Commission européenne ont lié leurs crédibilités respectives au soutien apporté à l’Ukraine. Ils risquent en 2024 de subir des conséquences en retour. Déjà la question Ukrainienne est devenue un thème de campagne clivant entre Républicains trumpistes opposés à une implication massive en Ukraine et les Démocrates interventionnistes. Un succès militaire massif en Ukraine orientale aurait justifié un effort de guerre américain prolongée et tempéré les critiques des opposants à la ligne Biden-Blinken. Avec cette occasion manquée, les isolationnistes américains trouvent des arguments pour réduire le soutien à l’Ukraine et, par contrecoup, dénigrer la politique étrangère de l’administration actuelle.

De même, les positions prises par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, en faveur d’un soutien à l’Ukraine et d’une candidature accélérée du pays à l’adhésion à l’Union ne se trouvent pas renforcées par les résultats de la campagne militaire de l’été. Là encore l’âge héroïque de la résistance ukrainienne semble céder le pas à un approche rendue plus modeste en raison même des résultats de la contre-offensive ukrainienne de l’été.

Circonscrite dans le temps et limitée dans ses résultats, cette opération militaire verra ses conséquences se prolonger longtemps en 2024, bien loin de la ligne de front.

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