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"Le dernier hiver du Cid" de Jérôme Garcin : le chagrin et la piété
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Atlantico Litterati

Jérôme Garcin publie "Le dernier hiver du Cid" aux éditions Gallimard. Retrouvez l'analyse d'Annick Geille.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

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«Je ne sais écrire que par amour », dit Jérôme Garcin. L’admiration et cette piété filiale qu’il éprouve pour son beau-père, Gérard Philipe (1922-1959), nous vaut ce beau récit des derniers jours de l’icône du « Cid » (mis en scène par Jean Vilar en 1951). Victime d’un cancer, Gérard Philipe meurt à trente-six ans – alors que riche de ses projets pour Chaillot, le TNP ou Avignon, l’acteur annotant Euripide, se préparait à jouer Hamlet au théâtre, et Edmond Dantès au cinéma. Enterré dans son costume de scène (celui de Rodrigue dans la pièce de Corneille), Gérard Philipe revit ses derniers instants; nous sommes conviés dans l’intimité de cette icone du théâtre et du cinéma français, de son premier malaise à son dernier matin. Jour après jour, Garcin suit ce chemin de croix, utilisant pour ce faire la littérature (une écriture blanche, sans pathos ni effets) et la presse (formidable somme d’informations sur l’époque, sa politique, sa culture, ses figures). La mort qui guette. Tel est le sujet de Garcin, son territoire d’écrivain. Ces vies fauchées. Cet absurde camusien que  nous contemplons dans la douleur de ceux qui restent. Un enfer ordinaire, celui du deuil. D’où cette amitié qui lia l’écrivain suisse Jacques Chessex (1934-2009, Prix Goncourt 1973 avec l’Ogre/ Grasset/Livre de Poche)- orphelin de père, hanté par la mort-, et Jérôme Garcin, orphelin de père, que la camarde inspire d’une autre façon, mais qu’elle habite aussi. D’où, surtout, encore et toujours, ce tombeau de mots que Jérôme Garcin ne cesse de bâtir pour les siens. Par la littérature, ceux qu’il aime ne meurent jamais.

Je connais Jérôme Garcin depuis longtemps. J’aime sa littérature, son caractère (celui qui fait les carrières), sa passion pour la presse, ses pages : le meilleur de « l’Obs ». Garcin, c’est le Grand Prescripteur. Celui qui, arbitre des élégances, donne le la. Garcin : le « sachant » culturel, doté d’un savoir-faire et, surtout, d’un goût très sûr. Dur dehors, doux dedans. Pas avec tout le monde. Les flatteurs sont déstabilisés. Garcin n’est pas journaliste pour rien : il pressent. Que dis-je, il sait. Sa puissance de travail étant exemplaire (il anime aussi le « Masque et la Plume » sur France Inter), Jérôme Garcin ne « lâche rien » comme disent les sportifs. Une pudeur de lord anglais est son armure. Dans ce Paris littéraire et journalistique, pas toujours à la hauteur de son rayonnement  (la littérature et les arts, n’est-ce pas, avec le luxe,  notre point fort, la France d’hier et de demain  en ce qu’elle a de moins contestable  hors frontières ?) Garcin, imperturbable, avance, « calme et droit ». Je l’ai vu se lever  de table et quitter un jury littéraire en saluant « ce défilé de masques ». C’est plus fort que lui. Il est –comme le fut  Sagan- intraitable avec les truqueurs (Françoise et lui étaient voisins,  et très proches ; pas au sens que donnent à ce mot tous ces « proches » de Sagan qui se ramassent à la pelle -tel son biographe « autorisé », admirateur des "Quatre coins du coeur" dans "Le Point" et proche de Denis Westhoff, qui semble avoir besoin d’argent d'où cet "inédit" de Sagan, ce tas de feuilles mortes. (J’avais  proposé à Françoise ce biographe, car elle souhaitait travailler avec quelqu’un d’assez « gentil » pour prendre - ce qu’elle voulait bien dire la concernant, tout en oubliant le reste (la drogue, l’alcool, etc..). Simone Gallimard- qui devait publier cette « biographie autorisée », en fut ravie et m’écrivit pour l’occasion).

Intraitable avec les truqueurs, donc, mais secourable avec tous les autres, Garcin est un tendre. Il lui faut toujours cacher ce grand coeur qui l'anime en secret. Il tient ses dons et sa force de son père (critique et éditeur aux « Presses Universitaires de France »), fauché en plein élan (« La Chute de cheval »/Gallimard/Folio : « Il avait quarante-cinq ans, j’allais en avoir dix-sept. Nous ne vieillirons pas  ensemble »,dit Garcin. « One more for the road », chantait Billie qui, elle aussi, détestait les épanchements. Orphelin de père, Jérôme Garcin vécut un deuil plus atroce encore, si possible. Il  assista à l’assassinat de son frère- jumeau ( six ans), tué sous ses yeux par un chauffard. C’est ainsi que parut un jour « Olivier » ( Jérôme Garcin/Gallimard/Folio), devenu un classique. Une béance s’installa dans l’imaginaire de l’écrivain. Ce vide, Garcin ne l’accepta qu’à la condition de le  combler par l’écriture « afin de faire revenir ceux qui ne sont plus ».

 «Que reste-t-il de toi, qui ne t’es jamais posé, qui n’a pas su ce que croître veut dire, qui n’as pas eu le privilège de te retourner sur le chemin parcouru, qui n’as pas connu le poids infini des regrets et des remords, qui as si peu existé, à peine six années, un petit et fugitif nuage de poussière blanche, un vol de papillon égaré, un éclair de chaleur au-dessus des arbres centenaires ? Des photos en noir et blanc où tu ris à l’objectif qui tente de fixer ta merveilleuse évanescence ; des films en super-8 où tu cours trop vite, sans souci du danger, et que je ne regarde pas en boucle sans frémir ; une longue ride, qui ressemble à un ruisseau d’après l’orage, sur le beau et italien visage de notre mère ; une pierre blanche dans un cimetière de Seine-et-Marne, au bout de la longue route où un chauffard t’a renversé et projeté si haut en l’air qu’on eût dit que tu ne retomberais jamais ; l’image déchirée, déchirante, de ce drame qui n’en finit pas de me hanter ; ce tout petit tombeau de papier, encore plus léger que toi, que sans doute je ne relirai jamais, que j’ai sans doute écrit afin que ton prénom soit un jour imprimé, en capitales rouges, sur une couverture blanche ; et un vide en moi, où tout résonne, dont je ne parviens pas à mesurer ni la profondeur ni la largeur, mais qui semble grandir avec le temps, inéluctablement » ( Jérôme Garcin/« Olivier/Gallimard/Folio).

"Avec le dernier hiver du Cid", son vingtième livre, chant funèbre en l’honneur de l’acteur du siècle, Garcin comble le vide, une fois de plus, et son lecteur jubile une fois de plus. « Dans Fanfan La Tulipe, Gérard Philipe, qui n’était pas cavalier «  jouait si bien, concéda Christian Jacques, que  même le cheval croyait qu’il  savait monter »... Mais en cet été 1959, à Ramatuelle, avec Anne et les enfants, l’acteur a soudain « le sentiment indéfinissable que son corps le trahit ». (…) « Il est si jeune encore, il y a tant de rôles à endosser, tant de pièces à honorer, tant de vies imaginaires à épouser, tant de mues à faire et de peaux neuves à porter ». Dans « Le mythe de Sisyphe »-  que lit Gérard Philipe a la veille de sa mort, Albert Camus donne de l’acteur sa définition et lui attribue son destin. « C’est dans le temps que l’acteur compose et énumère ses personnages. C’est dans le temps aussi qu’il apprend à les dominer. Plus il a vécu de vies différentes, et mieux il se sépare d’elles. Le temps vient où il lui faut mourir à la scène et au monde. Il voit clair. Il sent ce que cette aventure a de déchirant et d’irremplaçable. Il sait, et peu à présent mourir. » « Gérard Philipe n’aura pas pu dire « Etre ou ne pas être, telle est la question », Jamais la mort n’avait été plus théâtrale, conclut  Jérôme Garcin.

« Le dernier hiver du Cid » / Jérôme Garcin / éditions Gallimard, 198 pages, 17,50 euros

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