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"L'interprétation sociologique des rêves" : savant, exigeant, mais fondamental
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Hélène Renard pour Culture-Tops

Hélène Renard pour Culture-Tops

Hélène Renard est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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LIVRE

L'interprétation sociologique des rêves

De Bernard Lahire

Editions La Découverte, collection Laboratoire des Sciences sociales

488 p.

25 €

RECOMMANDATION

EXCELLENT

THEME

Pourquoi le rêve, qui concerne tout être humain, qui fascine et inquiète à la fois, échappe-t-il, jusqu'à présent, au domaine de la sociologie ? Les sciences sociales sont, de l'aveu même de l'auteur, les grandes absentes dans l'histoire de l'étude savante du sommeil et du rêve. Et pourtant le rêve est toujours "fabriqué" en rapport avec la situation sociale du rêveur, avec ses expériences quotidiennes passées et présentes, car aucun n'échappe au monde dans lequel il vit, même si l'on admet que l'activité psychique se déploie différemment la nuit que le jour. "Que disent donc les rêves de la vie des individus et de la société dans laquelle ils vivent ? Comment les expériences sociales des rêveurs contribuent-elles à tramer leur imaginaire, même dans les moments où la conscience intentionnelle ne gouverne plus le flux des images ? Voilà des questions cruciales auxquelles les sociologues n'ont guère cherché à répondre". 

Il aura fallu vingt années de travail à Bernard Lahire pour élaborer une nouvelle théorie intégratrice qui tire parti à la fois des acquis du passé et des avancées scientifiques actuelles. Alors, qu'on ne se demande plus pourquoi on rêve mais  plutôt pourquoi on rêve de ce dont on rêve (et pas d'autre chose). La connaissance du rêveur, de son passé incorporé, de son contexte présent, de ses préoccupations, de ses conditions de vie, bref, de son "histoire" sociale, devient alors incontournable.

POINTS FORTS

·        L'auteur  a accès aux multiples disciplines qui se sont penchées sur le rêve (psychanalyse et  psychologie, bien sûr, mais aussi neurosciences, linguistique, anthropologie, histoire, et même mathématiques, art et  littérature...).  Sa documentation est impressionnante autant parmi les travaux anciens que parmi les thèses les plus récentes. 

·        Il développe ses observations, ses analyses, ses critiques, lentement,  en approfondissant toujours un peu plus. Le lecteur a donc le sentiment d'être conduit pas à pas, sans être abandonné au jargon des spécialistes.

·        Chaque notion abordée est patiemment définie, précisée. Quand l'auteur examine l'une ou l'autre des fonctions oniriques (par exemple la condensation si chère à Freud) , il cite d'abord les travaux et les études des autres chercheurs, souvent à l'aide d'exemples, ce qui offre un panorama complet des recherches sur ce sujet.

·        Une théorie sur l'interprétation sociologique des rêves ne peut éviter la confrontation avec la psychanalyse (dont l'image est fort brouillée). Par rapport à Freud,  l'auteur reste d'une grande objectivité, approuvant certaines affirmations mais en en  démontrant les limites ou même les erreurs.  Ainsi consacre-t-il plusieurs chapitres aux notions fondamentales d' inconscient, de passé incorporé, de refoulement,  de censure,  et à  "la problématique existentielle" du rêveur au moment du rêve, avant d'aborder le cadre du sommeil, c'est à dire le contexte cérébral et psychique dans lequel les images du rêve se déploient.

POINTS FAIBLES

·        On ne trouve qu'une brève allusion (une demi-page) à C.G. Jung auquel on doit pourtant de nombreuses études sur les symboles dans les images oniriques. La notion d'inconscient collectif, elle non plus,  ne semble pas prête à être considérée par la sociologie... On aurait aimé que B. Lahire développe son point de vue, fût-il très critique, sur cet analyste et sur cette notion. 

·        Au début de ce gros ouvrage, un petit résumé des différentes méthodes propres à la sociologie n'aurait pas été  superflu. Certes, l'auteur s'attarde (mais seulement vers la fin, p. 412) à préciser en quoi consiste une "biographie sociologique" (qui n'a rien à voir, dit-il,  avec une biographie anecdotisante, événementaliste) mais un lecteur peu averti des pratiques sociologiques aurait pu trouver profit à les découvrir bien avant. Ces "éléments de méthodologie pour une sociologie des rêves" forment le chapitre 13, le dernier avant les conclusions. 

·        On se doute qu'avec comme objectif avoué d'élaborer "une nouvelle théorie intégratrice", l'auteur ne fournit pas la moindre réponse sur la signification d'un rêve surprenant ou troublant. Il s'en tient uniquement au processus de fabrication du rêve et n'entend pas  se classer dans la catégorie (honnie?)  des "interprètes de rêves" !  

EN DEUX MOTS

Voici un maître-livre, un de ceux qu'il convient d'avoir dans sa bibliothèque si l'on s'intéresse au rêve, à l'histoire des interprétations, aux différentes écoles et techniques qui proposent d'en comprendre les mécanismes.  

UN EXTRAIT

"L'interprétation sociologique des rêves montre que rien de ce qui se trame durant nos temps de sommeil n'est indépendant des expérience sociales vécues, et par conséquent des déterminations sociales multiples qui font de nous ce que nous sommes."

L'AUTEUR

Bernard Lahire, sociologue réputé, est professeur de sociologie à l'ENS de Lyon, auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont plusieurs consacrés à l'art, la culture, la littérature. On peut citer L'hommepluriel (Nathan 1998) ;  Franz Kafka, éléments pour une théorie de la création littéraire ; Dans les plis singuliers du social, Individus, institutions, socialisations  ; Ceci n'est pas qu'un tableau Essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré (tous trois aux éd. La Découverte).  Il s'est également penché sur l'illettrisme, les pratiques de l'écriture, les manières d'étudier,  et on lui doit, dans la collection "Couleur des idées" au Seuil, l'ouvrage Monde pluriel. Penser l'unité des sciences sociales.

Toujours aux éditions La Découverte, il dirige la collection "Laboratoire des sciences sociales " qui accueille les travaux et les réflexions de tous les chercheurs (historiens, économistes, philosophes,... ) "en  dialogue avec les sciences sociales"; une douzaine à ce jour, avec des exigences de niveau universitaire. Il a travaillé, pour ce livre, dans le cadre d'un programme de recherche intitulé "Sociologie des rêves : les productions oniriques entre passé incorporé, circonstance de la vie diurne et cadre de la vie nocturne", en lien avec plusieurs universités américaines et françaises.

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"L'interprétation des rêves" de Bernard Lahire

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