"Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel" de Philippe Charlier : une histoire détonnante du spiritisme où l’esprit est bien là<!-- --> | Atlantico.fr
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Philippe Charlier a publié "Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel" aux éditions Tallandier.
Philippe Charlier a publié "Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel" aux éditions Tallandier.
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Philippe Charlier a publié "Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel" aux éditions Tallandier.

Marine Baron pour Culture-Tops

Marine Baron pour Culture-Tops

Marine Baron est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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"Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel" de Philippe Charlier

Editions Tallandier - 315 pages - 20,50 euros.

Recommandation

Excellent

Thème

Le spiritisme est parfois décrit comme une superstition moyenâgeuse, oubliée parce que ne pouvant survivre aux progrès de la science. C’est pourtant un phénomène bien plus complexe, aussi populaire qu’élitiste, qui a grandi dans les esprits et les mœurs malgré l’avancée générale des connaissances du monde. Peut-être est-ce même en raison de ces avancées scientifiques, qui remplacent l’imaginaire par le savoir, que cette pratique perdure, comme la survivance d’une liberté curieuse, farouchement irrationnelle. Sont exposés ici le contexte, les différentes origines et modalités des pratiques qui s’attachent à communiquer avec les esprits, les liens que ces dernières entretiennent avec la religion, la peinture, la photographie, les cultures des pays dans lesquels elles ont prospéré, ainsi que les personnages qui ont fait leur histoire.

Points forts

1. L’une des grandes qualités du texte est sans doute le dépaysement qu’il porte. Bien sûr, l’auteur s’empresse de nous avertir : “Qu’on ne s’attende pas à savoir, à l’issue de la lecture de ce livre, si les fantômes existent bel et bien”. Mais, dès les premières pages, on pénètre dans un monde parallèle. Des croyances étranges qui paraissent évidentes à quelques initiés, une histoire si peu recensée, des traditions reposant sur une doctrine précise ou fumeuse, des supercheries (que l’auteur décrypte) et les mystères d’un art méconnu : l'occasion de perdre ses repères est ici rare et délicieuse. On y découvre des êtres qui ont marqué leur époque, représenté un espoir et une fascination qu’ils ont souvent emportés avec eux. Outre Allan Kardec, des personnalités comme Madge Gill, peintre quasi-aveugle ultra-prolixe guidée par l’esprit de sa fille disparue, ou encore “François-Joseph Crépin, tour à tour plombier-zingueur, musicien et guérisseur-radiesthésiste" sont à eux seuls des personnages de roman.

2. Plus qu’une chronologie du spiritisme, ce livre ambitieux est une réflexion sur ses racines profondes. Celles qui défient la science, le puritanisme, s’accrochent au doux frisson de la peur, cherchent à aller “vers l’infini et au-delà”. Vouloir communiquer avec ceux que la vie a exilés, c’est reconnaître que l’attachement réside avant tout dans la mémoire, le fantasme (dont l’étymologie est liée à celle du mot “fantôme”), l’idée même que l’on s’est faite d’un être qui ne peut pas mourir, parce que sa vie, trop aimée, ne lui appartient plus. C’est dire que les limites communes ne sont là que pour être dépassées. C’est dire que l’oubli est inacceptable, parce qu’il acte la disparition des autres et surtout de soi-même. C’est dire qu’il n’y a peut-être rien, au fond, que cet amour fou, hypermnésique, celui qui refuse toute compromission, qui ne peut souffrir la tiédeur du renoncement, qui préfère s’enfuir dans un monde de souvenirs que nul ne peut tacher.

3. L'écriture et la structure du livre sont adroites et avenantes. Porté par une plume claire, élégante, le texte est scandé de plusieurs petits chapitres, comme autant de nouvelles qui font découvrir les étapes, les figures et les matières de son histoire. En annexe, un texte de 1937, intitulé “Anthologie du Spiritisme”, permet de se resituer dans le contexte de l’époque reine de cette pratique. En outre, on aime la liberté de ton de l’auteur, qui semble apprécier les jeux de mots un peu cavaliers. On aime aussi sa méticulosité de bon élève, son souci de donner de nombreuses références, principalement à l’aide de notes de fin d’ouvrage qui ne parasitent pas la lecture, qu’on peut délaisser ou explorer selon son bon plaisir.

4. Le titre du livre Autopsie des fantômes révèle la démarche de Philippe Charlier : comprendre le phénomène du spiritisme “avec un double regard de médecin et d’anthropologue”. Mais son regard n’est pas seulement double. D’abord parce qu’il est également celui d’un amateur de peinture, de photographie, de théologie, de philosophie, de littérature, comme si toute matière était pour lui le terrain d’un jeu essentiel. Peut-être aussi parce que, pour établir son histoire et la transmettre avec l’orgueil d’un professeur qui éclaire et affirme, il va d’abord écouter patiemment, avec l’humilité d’un disciple, ceux qui en détiennent les clefs. On admire le cran du bonhomme, lancé dans des conversations aussi sérieuses que surréalistes, avec des personnages improbables. En ce sens, la scène de l’entretien avec le prêtre de Saint-Nicolas-du-Chardonnet sur le Purgatoire, teintée d’autodérision, est assez irrésistible. Il serait assez tentant de relier le livre au parcours de son auteur, lequel donne le vertige par sa variété, comme s’il avait emporté plusieurs vies dans la sienne, comme si rien ne lui était plus insoutenable qu’un long sommeil. Quoi qu’il en soit, il parvient à faire partager sa curiosité insatiable avec une rare générosité.

Points faibles

De prime abord, on pourrait reprocher à ce livre une ambiguïté, parce que sa couverture sombre et son titre étrange laissent penser qu’il s’agit d’un traité de spiritisme écrit par un illuminé. Mais cette ambiguïté a le mérite de déstabiliser le lecteur, lui donnant un avant-goût de ses prochaines incertitudes.

En deux mots ...

Un livre curieux et instructif pour découvrir l’histoire du spiritisme et la pensée du surnaturel. Une réflexion profonde sur le refus de l’impossible et le besoin de croire. Un mélange détonnant

Un extrait

“On a vu que l’intensification de la croyance aux fantômes survient, en Occident, à un moment particulier, à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. C’est ce moment où la science, au sens moderne du terme, commence à expliquer beaucoup de choses et prend énormément d’ampleur. Une sorte de scientisme - on parlera plus tard de positivisme avec Auguste Comte - prend son essor. On considère alors que le monde entier, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, du plus simple au plus inextricable, va pouvoir être expliqué par la science. En réaction, certains se disent qu’il y a des choses qui lui échappent (qui “doivent” lui échapper), des choses qui appartiennent au domaine du religieux, du surnaturel. C’est à ce moment que les esprits, les fantômes et spectres, les revenants, au sens général du terme, prennent leur envol”. pp. 262-263.

L'auteur

Philippe Charlier, né en 1977, docteur en médecine, docteur ès-sciences (bioéthique) et docteur ès-lettres (archéo-anthropologie), est maître de conférence des universités (médecine légale) et praticien hospitalier (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris). Après avoir été médecin-chef à la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine et chef de service à l'hôpital de Nanterre, il est, depuis 2018, en détachement ministériel au musée du quai Branly-Jacques Chirac (Paris), comme directeur du Département de la Recherche et de l’Enseignement. Depuis février 2021, il dirige la mythique collection “Terre Humaine” (Plon), fondée en 1955 par Jean Malaurie, à la suite de l’académicien (et médecin) Jean-Christophe Rufin. On a pu le voir à l’écran présenter une série de documentaires anthropologiques sur ARTE (“Enquête d’ailleurs”), intervenir lors d’épisodes de “Secrets d’Histoire” (France 2 puis France 3), ou encore co-présenter le “Magazine de la Santé” (France 5). Médecin légiste au service de l’archéologie, il a examiné les restes de nombreux personnages historiques : l’australopithèque Lucy, les reliques de Saint-Louis, le coeur de Richard Coeur de Lion, les restes d’Agnès Sorel et de Diane de Poitiers, la tête embaumée d’Henri IV, des papiers souillés du sang de Marat, ou, plus récemment, la mandibule et le crâne de Hitler. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont Médecin des morts : récits de paléopathologie, (Fayard, 2006), Rituels (Le Cerf, 2020) ou encore Vaudou : les hommes, la nature et les dieux (Bénin) (Plon, 2020).

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