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Ebola en RDC : toutes ces raisons qui expliquent pourquoi l'épidémie n'est toujours pas endiguée
©John WESSELS / AFP

Retour d'Ebola

Une nouvelle épidémie d'Ebola a fait plus de 70 morts en Afrique. Stéphane Gayet dévoile les progrès scientifiques dans la lutte contre le virus et revient également sur les précédentes vagues d'épidémies d'Ebola.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : L'épidémie d'Ebola qu'on croyait un temps terminée affiche aujourd'hui un bilan de 75 morts dans l'Est de la République démocratique du Congo. Y-a-t-il des risques de voir une situation comme la crise sanitaire de 2014 se reproduire ?

Aperçu de la situation épidémique en RDC pour l'année 2018

Stéphane Gayet : Il s'agit de la deuxième épidémie de 2018 en République démocratique du Congo (RDC, ancien Zaïre). La première épidémie de 2018 (et la neuvième épidémie en RDC depuis 1976) avait commencé début avril – mais elle n'avait été signalée que début mai - dans la province de l'Equateur, qui se trouve au Nord-Ouest, du côté de la République du Congo (RC ou Congo dit Brazzaville), et avait été déclarée comme terminée fin juillet. C'est plus précisément la zone sud-ouest de cette province qui avait été atteinte, dont la ville de Mbandaka (1,2 millions d'habitants) située près de la frontière avec la RC. Plus de 3000 personnes avaient été vaccinées. Cette première épidémie de 2018 avait fait 33 morts, sur 54 cas signalés. Mais début août, une nouvelle épidémie débutait (la dixième épidémie en RDC depuis 1976), cette fois au Nord-Est, dans la province du Nord-Kivu, située du côté de l'Ouganda. Cette épidémie est toujours en cours, avec un dernier bilan de 75 morts, sur 111 cas signalés. Depuis le 8 août, 4130 personnes ont été vaccinées et des traitements curatifs ont été administrés. 2445 personnes, qui ont peut-être été en contact avec une personne malade, sont suivies. Cette épidémie frappe la région de la ville de Beni dans le Nord Kivu ; or, située non loin de la frontière ougandaise, c'est une zone de conflits : des groupes armés ougandais menacent les civils. Par chance, le principal foyer épidémique se trouve dans la bourgade rurale de Mangina, située à 30 km au Sud-Ouest de Beni et qui est encore épargnée par ces groupes armés. Mais c'est une menace très sérieuse sur le contrôle de l'épidémie.

L'historique résumé des épidémies de fièvre Ebola depuis 1976

La fièvre hémorragique virale (FHV) à virus Ebola a été identifiée pour la première fois, déjà en RDC, en 1976, à l'occasion de deux foyers épidémiques simultanés, dont l'un se situait à Yambuku, près de la rivière Ebola, au Nord-Ouest du pays, dans la province du Mongala. La rivière Ebola est un sous-affluent du grand fleuve Le Congo. Elle s'écoule d'Est en Ouest au Nord-Ouest de la RDC, du côté de la République centrafricaine et de sa capitale Bangui. On a ensuite déploré plusieurs épidémies de 1976 à 2014. Les pays les plus atteints ont été la RDC, le Gabon, l'Ouganda et le Soudan du Sud. Il est frappant de constater que tous ces pays se situent dans la zone dite de forêt équatoriale, qui s'étend d'Ouest en Est du Gabon et de la Guinée équatoriale à l'Ouganda. On pense que cette gigantesque forêt constitue le réservoir principal de virus (plus exactement certains animaux de cette forêt : chauves-souris principalement, et singes secondairement). Précisons à ce propos que le virus de Marburg (ville d'Allemagne où il a été découvert), qui est proche du virus Ebola, provient lui aussi de cette immense région (singes verts d'Ouganda). Mais la grande épidémie à virus Ebola, qui a sévit en 2014 et 2015 (au sens large de 2013 à 2016), s'est écartée de la forêt équatoriale en direction du tropique du Cancer, pour sévir en Afrique de l’Ouest. Cette grande épidémie à virus Ebola a été la plus importante et la plus complexe depuis la première de 1976. Elle a provoqué plus de décès et comporté plus de cas que la somme de toutes les précédentes épidémies, soit un peu plus de 11 000 décès et un peu moins de 30 000 cas. Cette épidémie a eu également comme particularité de s’être propagée d’un pays à l’autre, en partant de la Guinée (occidentale) pour toucher la Sierra Leone et le Libéria, mais en épargnant la Côte d'Ivoire. C'est depuis ces années 2014 et 2015 que nous nous sommes préparés à accueillir des cas de fièvre Ebola (de nombreux dispositifs ont été mis en place et de nombreuses formations ont été effectuées), la FHV à virus Ebola devenant un nouveau risque infectieux pour la France (mais précisons que les fièvres hémorragiques africaines sont à déclaration obligatoire depuis plus longtemps).

Les leçons tirées de la grande épidémie à virus Ebola en 2014 et 2015

La grande épidémie de fièvre Ebola en 2014 et 2015 nous a servi de leçon. Car, étant donné que, jusqu'en 2014, les épidémies successives de fièvre Ebola n'avaient sévi que dans des pays d'Afrique équatoriale et n'avaient donné lieu qu'à des foyers très localisés et de durée assez brève, ni l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ni les Etats membres de l'OMS n'étaient particulièrement inquiets jusqu'alors vis-à-vis du risque lié à ce virus Ebola. Certes, on connaissait sa grande contagiosité et son taux de létalité (nombre de décès divisé par le nombre de cas et multiplié par 100 : 40 à 80 % en l'occurrence, ce qui est énorme). Mais on pensait qu'il ne pourrait pas survenir d'épidémie dans un pays développé, car les flambées épidémiques en Afrique équatoriale étaient de toute évidence largement favorisées par des habitudes culturelles allant à l'encontre de la prévention aseptique la plus élémentaire ainsi que par une organisation sanitaire et un niveau de soins primaires plus que rudimentaires. Mais quand on a vu cette grande épidémie menacer potentiellement au Nord le Sénégal et le Mali, et à l'Est la Côte d'Ivoire, quand on a constaté son ampleur, sa létalité et sa vitesse de propagation, il y a eu un afflux de capitaux et de professionnels de santé pour s'évertuer à juguler cette grande épidémie.

Les progrès médicaux accomplis au sujet du virus Ebola depuis 2014 et 2015

Cette période dramatique a en effet énormément accéléré la recherche biomédicale sur le virus Ebola. On a réalisé des essais cliniques d’envergure, grâce à une collaboration entre les ministères de la santé des trois pays concernés (Guinée, Libéria et Sierra Leone), des instituts de recherche internationaux, des laboratoires pharmaceutiques, des organisations non gouvernementales et puis grâce à l’engagement des populations sans lesquelles rien n'aurait pu être mené à bien. On connaît à ce jour cinq souches de virus Ebola, mais deux seulement sont véritablement dangereuses : la souche Zaïre et la souche Soudan. En 2014 et 2015, la souche en cause en Afrique de l'Ouest était la souche Zaïre. C'est de nouveau la souche Zaïre qui sévit en RDC et cela permet de bénéficier des travaux effectués sur cette souche pendant la grande épidémie. On dispose d'un vaccin dit expérimental, qui n’est pas encore homologué : il est administré dans le cadre d’un dispositif dérogatoire impliquant le consentement éclairé des personnes et bien sûr la conformité avec les bonnes pratiques cliniques. L’efficacité de ce vaccin, appelé rVSVG-ZEBOV-GP, avait pu être évaluée chez l’homme à large échelle par l’OMS en 2015 en Guinée. Il est conçu à partir du virus animal de la stomatite vésiculeuse (VSV), qui a été génétiquement modifié (génie génétique) pour comporter une protéine du virus Ebola Zaïre, le rendant immunogène vis-à-vis de ce virus. En plus de ce vaccin (strictement préventif), des traitements curatifs expérimentaux ont été préparés : il s’agit de molécules antivirales (chimiothérapie antivirale) ainsi que d’anticorps monoclonaux (immunoglobulines ultra-spécifiques), portant les noms techniques de ZMapp, Remdesivir GS-5734, REGN3470-3471-3479, Favipiravir et mAb 114. Ils ne sont pas plus homologués que les vaccins.

Quels sont les risques actuels d'extension et de durée de l'épidémie ?

Compte-tenu de tout ce que nous avons vu précédemment, que la souche en cause est la souche Zaïre que nous avons le plus étudiée, que nous disposons d'un vaccin expérimental et de traitements curatifs également expérimentaux, utilisés dans le cadre d'une procédure dérogatoire décidée en raison de la forte contagiosité du virus, de la très forte létalité de la maladie et du contexte sanitaire local, il y a lieu d'être plutôt rassurant. Cela d'autant plus que la précédente épidémie, survenue dans le même pays (RDC), mais au Nord-Ouest, a été jugulée dans des conditions assez satisfaisantes. Mais il faut toujours garder à l'esprit le fait que ce virus Ebola est l'un des virus les plus redoutables au Monde. Donc, restons très prudents, ce n'est pas encore terminé.

Atlantico : La souche d’Ebola est la même qu’en 2014, et nous avons désormais un vaccin. Qu’est-ce qui fait que l’épidémie continue à se répandre ? Qu'est-ce qui bloque dans le traitement du virus ?

Le contexte particulier dans lequel survient un foyer épidémique

N'oublions pas que le vaccin ainsi que les traitements curatifs dont nous disposons ne sont encore que des médicaments expérimentaux, non homologués. Ils sont administrés ici d'une façon assez exceptionnelle, justifiée par l'extrême dangerosité de ce virus. Reconnaissons la chance relative dont nous bénéficions : c'est la souche Zaïre qui est à la fois la plus étudiée et celle dont le taux de létalité est le plus faible (près de 90 % pour la souche Soudan).
Mais il faut bien situer l'épidémie dans son contexte géographique, économique et sanitaire. Elle survient dans un pays à faible niveau de vie et dans une zone de conflits armés.
On considère que, dans un foyer épidémique, le premier ou les tous premiers cas humains proviennent d'un contact étroit avec un animal (consommation de végétaux contaminés par des déjections de chauves-souris ou abattage, dépeçage et consommation de singes). Après le ou les premiers cas index ou princeps, la maladie s'autonomise chez l'homme par transmission interhumaine du virus (grâce aux sécrétions, vomissures, matières fécales et au sang lors de contacts avec des malades, ainsi que lors des soins funéraires qui sont prolongés et protocolés). Insistons sur le fait que ce virus est d'une grande contagiosité.

Les difficultés de mise en œuvre de la prévention dans un tel contexte

La prévention de la transmission interhumaine des agents infectieux par des techniques qui relèvent de l'asepsie (évitement des contacts directs, lavage efficace des mains…) ne fait pas partie de la culture des autochtones. Leur perception du danger infectieux est surtout de type macroscopique : ce qui se voit (sang, vomissures, matières fécales), et encore… Et le nombre de personnes qui ont reçu une instruction qui leur permette de bien appréhender le risque infectieux microscopique est beaucoup trop faible. C'est un énorme obstacle à la mise en application des mesures préventives en cas d'épidémie. Prenons l'exemple des repas : le repas est un temps de convivialité d'une grande importance ; on mange avec ses doigts et l'on fait du reste presque tout avec ses mains ; certes, on se rince les doigts à l'eau, mais on le fait dans un petit récipient qui va d'une personne à l'autre… C'est aberrant pour nous qui avons une certaine culture de l'asepsie et cela indique la vision purement macroscopique de ces personnes autochtones.
On peut dire que la prévention ne fait pas vraiment partie de leur culture. Il existe souvent une notion de fatalisme : on meurt parce que l'on devait mourir. La prévention ne s'impose pas, loin de là. Prenons l'exemple de la conduite des véhicules : beaucoup de personnes roulent très dangereusement, à vive allure et avec des véhicules délabrés, au mépris de la sécurité la plus élémentaire pour nous. Des accidents meurtriers surviennent tous les jours, mais l'on continue à rouler de la même façon, sans rien changer (on se lamente, mais l'on considère que cela devait arriver). Nous sommes choqués par ces comportements, mais il faut comprendre que ces personnes ne raisonnent pas du tout comme nous. Leur façon d'envisager la vie et les relations humaines est singulièrement différente.
Toujours est-il que ces difficultés culturelles sont des freins à l'endiguement des épidémies. De plus, les autochtones nourrissent souvent une défiance vis-à-vis des professionnels de santé, qu'ils soient du restent allochtones comme autochtones.

Atlantico : Qu'est-ce qui nous échappe encore concernant le virus Ebola ?

Le réservoir naturel de virus est gigantesque : la forêt équatoriale d'Afrique a une population presque infinie de chauves-souris et de singes. Les chauves-souris ne sont pas malades du virus Ebola : elles développent une infection chronique sans signes ni symptômes. Elles sont toutefois contagieuses par leurs déjections (matières fécales et urines). L'homme peut être contaminé à partir de fruits ou d'autres végétaux souillés. Par ailleurs, des singes peuvent se contaminer à partir de chauves-souris, ne serait-ce qu'en les mangeant. Or, c'est quand un animal est malade qu'il est le plus facile à capturer ou à tuer : la viande de singe est assez appréciée par beaucoup de personnes vivant à la lisière des forêts. On comprend aisément qu'il y aura toujours des départs de foyer épidémique.
Pourquoi la RDC ? C'est un immense pays, d'une superficie égale à 3,6 fois celle de la France, à peine plus petite que celle de l'Algérie. Sa population est de près de 80 millions d'habitants (c'est le pays francophone le plus peuplé d'Afrique). Avec ses immensités de forêt équatoriale et son niveau d'instruction encore faible en lien avec son développement économique insuffisant et la persistance de conflits armés, son système de santé beaucoup trop faible, ce beau pays constitue un terrain propice aux épidémies récurrentes.
Par ailleurs, ce virus Ebola est diabolique : il est répliqué à grande vitesse, envahit tout le corps (virémie : le virus circule dans le sang) et inhibe certaines cellules immunitaires, un peu comme le fait le virus VIH. C'est un agent infectieux redoutable, phénoménal même, dont nous avons encore beaucoup à apprendre.

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