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Suite française, derrière l’adaptation du roman d’Irène Nemirovsky : les plaies des descendants des juifs dénoncés par leurs voisins français toujours pas refermées
©Reuters

Vivre après la collaboration

L'adaptation du roman d'Irène Nemirvosky "Suite française" sort au cinéma. Comment les victimes des délations et de la déportation font-elles pour se reconstruire ? Comment refonder le vivre-ensemble après le génocide ?

Michèle  Bertrand

Michèle Bertrand

Michèle Bertrand est professeur émérite de psychopathologie clinique à l'université Paris Ouest Nanterre-La Défense. Elle a écrit Psychologie et psychanalye devant les traumatismes de guerre (L'Esprit du temps).

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Atlantico : Les délateurs d'Irène Nemirovsky étaient notoirement connus. Pourtant, sa famille n'a pas envisagé de les désigner à la vindicte publique. Qu'est-ce que cela nous dit de la nature du traumatisme ?

Michèle Bertrand : A la Libération, la règle était plutôt de montrer du doigt les délateurs. Cette attitude est très inhabituelle. J'aurais aimé rencontrer la famille d'Irène Némirovsky pour pouvoir vous donner mon avis de psychologue sur ce cas particulier.

Après ce qu'il s'est  passé pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation des juifs, la collaboration, les dénonciations, comment est-il possible pour une société de recommencer à vivre ensemble ?

Dans  l’après-coup des événements, il est nécessaire qu’une forme de justice soit faite. Il est nécessaire que soit rétabli un ordre symbolique que le génocide avait détruit. Que tous redeviennent égaux devant la loi.

Quels sont les processus psychologiques qui permettent aux descendants des victimes de pardonner à leurs anciens bourreaux ?

Je remarque que vous parlez des descendants et non des victimes. C’est difficile de donner une réponse simple. On peut dire que ce qui relève de la haine et de la vengeance n’apporte pas le soulagement escompté. Ni l’installation dans le statut de victime. Mais c’est difficile de dire par quels chemins on arrive individuellement  à pardonner aux bourreaux. Certains n’y arrivent jamais.

S’agissant d’une société, Il me semble que le travail de mémoire est une condition, et cela implique que du temps se soit écoulé, que des historiens aient fait ce travail de recherche qui permet de voir les choses autrement que dans la violence de l’émotion.

Comment un individu peut-il se remettre d'un traumatisme qui implique une collectivité toute entière ?

D’abord, ce traumatisme l’a affecté, lui, intimement, et pour cela, il lui faut une aide thérapeutique. Le silence autour de ce qu’on a vécu peut être gravement dommageable non pas seulement pour l’intéressé, mais pour son entourage, voire ses descendants. Il y a un effet de “crypte” dans le psychisme de ceux à qui un secret n’a pas été révélé.

Comment un peuple peut-il recommencer à exister (du point de vue de l'identité) quand la volonté de le détruire a été violemment affirmée, notamment à travers le génocide ?

Les individus sont souvent atteints dans leur identité, ont des tendances suicidaires après une telle épreuve. Comment juger des peuples en tant que peuples? Ils sont souvent représentés par des dirigeants ou des penseurs qui s’expriment en leur nom. Je me fierais davantage aux penseurs, aux artistes, aux écrivains, qu’aux dirigeants, qui risquent d’instrumentaliser les génocides à des fins politiques pas toujours respectables. L’exemple des penseurs, artistes, écrivains montre qu’une réflexion sur ce qu’ils ont vécu débouche sur des réflexions qui ont une valeur universelle, et non pas identitaire. Ne  peut-on dire qu’une réflexion sur l’identité n’atteint jamais autant de profondeur que lorsqu’elle dévoile quelque chose d’universel ?

Les peuples victimes de génocides (Juifs, Arméniens, Rwandais) peuvent-ils se détacher d'une angoisse existentielle, regarder l'avenir sans avoir peur d'un recommencement ?

Les peuples victimes de génocides: pour eux, rien ne sera plus jamais comme avant. L’expérience d’un génocide est quelque chose qui subvertit le monde dans lequel on a vécu : ce sont les bases mêmes de la confiance (en les autres, en soi-même) qui sont gravement atteintes. Or toute vie sociale repose sur la confiance (au sens large ). Non seulement dans les hommes, mais dans le fait que si on suit les règles, tout ira bien.  Le  génocide ne fait pas que tuer des hommes, il subvertit la vie sociale, c’est un monde aberrant. Cependant,  les victimes peuvent retrouver une vie normale. mais cela peut prendre du temps et cela demande de l’aide psychologique , pour chacune des personnes.

Il faut un espace de paroles où le thérapeute soit capable  d’entendre ce qui a été vécu, sans être lui-même détruit, et où il puisse aider la personne traumatisée à surmonter ce qu’il peut y avoir de destructeur dans cette expérience. Ce qui est très difficile. Il y a aussi des formes collectives de resymbolisation , des cérémonies, des actes symboliques qui permettent de négocier cette expérience traumatique avec d’autres victimes. le sens général est : 1° de vivre de façon active un moment faisant référence à ce qui a été subi dans la passivité et l’impuissance. 2° que le social se reconstitue à travers ce vivre ensemble. Il y a eu au Rwanda des expériences, de cette sorte.

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