Mikhaïl Gorbatchev, l’URSS et la (quasi) impossible transition vers un régime démocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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Un portrait de Mikhaïl Gorbatchev, exposé en sa mémoire dans son bureau au siège de la Fondation Gorbatchev à Moscou, le 31 août 2022
Un portrait de Mikhaïl Gorbatchev, exposé en sa mémoire dans son bureau au siège de la Fondation Gorbatchev à Moscou, le 31 août 2022
©ALEXANDER NEMENOV / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Dov Zerah revient cette semaine sur la disparition de Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l'Union Soviétique

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Atlantico : Mikhaïl GORBATCHEV est décédé ce mardi, son héritage en Russie et ailleurs est controversé. Il a été à la fois l’artisan de l’ouverture de l’Union soviétique et de sa chute. Est-ce que GORBATCHEV était véritablement taillé pour assurer la transition vers la sortie d’une dictature ?

Dov Zerah : Les faits ont démontré qu’il n’avait pas la dimension pour maîtriser la situation qu’il avait initiée, assurer la transition entre une dictature et un régime démocratique et installer dans son pays un nouveau modèle économique durable. En essayant de faire évoluer le système d’une économie centralisée à une économie de marché, et en voulant introduire des espaces de liberté dans la dictature soviétique, Mikhaïl GORBATCHEV a ouvert la boite de Pandore ; il a enclenché un processus de désintégration politique et économique qu’il l’a emporté.

Les événements d’août 1991 qui ont conduit à la dislocation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (U.R.S.S) ont eu au moins deux séries d’effets collatéraux :

  • L’éclatement de l’Union soviétique a entrainé l’indépendance de 15 républiques dont celle de Russie. Cœur du système soviétique, la Russie « a perdu » 5 millions de km² ; nonobstant ses 17 millions de km² et le fait qu’elle soit le pays le plus vaste au Monde, ce diminutio capitis a profondément alimenté une profonde insatisfaction instrumentalisée par la vielle garde. La Région a été déstabilisée ; cela constitue la source de nombreux conflits : Géorgie, Moldavie, Tchétchénie…et surtout aujourd’hui l’Ukraine.

  • L’avortement de la Perestroïka s’est manifesté par le maintien des mêmes élites au pouvoir, et principalement celles du KGB reconverti en FSB, et l’accaparement des richesses économiques par quelques oligarques.

À la décharge de Mikhaïl GORBATCHEV, il a eu à faire face à une conjugaison extraordinaire d’intérêts contradictoires :

  • Une tentative de putsch des conservateurs

  • La volonté d’indépendance des États baltes, de l’Ukraine et des républiques d’Asie centrale, à l’instar des républiques est-européennes. Les États membres de l’Union soviétique ne pouvaient ni ne voulaient rester à l’écart de l’appel d’air créé par la chute du mur de Berlin en 1989.

  • Président de la République de Russie, Boris ELTSINE a joué la carte de l’éclatement qui constituait la solution la plus rapide et la plus efficace pour écarter Mikhaïl GORBATCHEV. L’avidité du pouvoir a fait de Boris ELTSINE le véritable artisan de la disparition de l’Union soviétique et de l’accaparement du pouvoir politico-économique par une oligarchie.

J’ai rencontré Mikhaïl GORBATCHEV en 2006 à l’occasion d’un diner que j’avais organisé à la Monnaie de Paris pour aider sa fondation écologique. Pur produit de l’appareil du parti communiste soviétique, il n’avait peut-être pas les capacités stratégiques pour mener à son terme cette tâche titanesque de la glasnost. Mais, il avait compris les aspirations de son peuple, la panne du système et l’inéluctabilité de la réforme. Au prix de la perte de son pouvoir, il a clos la parenthèse de la dictature soviétique.

À quel point la sortie d’une dictature est-elle difficile ?

À Moscou au moment des événements pour l’avant dernier épisode de la négociation franco-soviétique sur les emprunts tsaristes, j’avais pu mesurer l’insaisissabilité de la situation et l’inéluctabilité du processus révolutionnaire ouvert par la tentative d’aggiornamento gorbatchévien.

L’histoire ne nous propose pas beaucoup d’exemples de transition harmonieuse entre une dictature et la démocratie : l’Espagne de FRANCO, le Portugal de SALAZAR, les pays de l’est européen. Cela a été possible grâce à l’Union européenne qui a monnayé ses soutiens financiers à la repise de tout l’acquis communautaire.

On ne peut passer sous silence les évolutions dans certains pays africains francophones. Comme suite à la chute du mur de Berlin et au vent de liberté qui a soufflé sur le Monde, le Président François MITTERRAND a initié, avec son discours de la Baule, un processus démocratique sur ce continent. Dans les années quatre-vingt-dix, la France a incité, et même imposé contre un soutien financier, le multipartisme et le recours aux élections.

Mais les contre-exemples sont légion !

Il a fallu 80 ans à la France pour installer la République

L’échec des « printemps arabes » est patent. Malgré une société civile dynamique et réactive, la Tunisie a renoué, 10 ans après le départ de Ben Ali, avec la dictature sans la prospérité économique de l’époque. L’armée, véritable propriétaire de l’Égypte, a très vite repris en main la situation. En Algérie, les centaines de milliers de manifestants n’ont pas remis en cause la familiocratie prédatrice qui dirige le pays depuis son indépendance. Pour sauver sa famille, son clan et son pouvoir, Bachar El ASSAD n’a pas hésité à déclencher une guerre civile qui a occasionné plus de 500 000 morts, ruiné le pays, et mis une grande majorité de Syriens sur la route de l’exil.

Les millions de manifestants à Hong Kong n’ont pas fait plier la dictature chinoise.

L’analyste Branko Milanovic émet l’hypothèse que « si Mikhaïl GORBATCHEV avait maintenu l'Union soviétique (peut-être sans les pays baltes) et utilisé la force comme l'a fait Deng Xiaoping », les choses seraient différentes. L’effondrement de l’URSS était-il moins évident et inéluctable qu’on l’a beaucoup répété ?

Lorsqu’on entrouvre la porte vers la liberté, il est très difficile de la retenir. Nous retrouvons « le mythe de la caverne » de PLATON ; quand, vous sortez de la caverne, le soleil vous aveugle, et il vous est difficile de maîtriser la situation.

Certes, le recours à la force, comme sur la Place Tien An Men en juin 1989, aurait pu éviter la chute de l’Union soviétique. Mais quel en aurait été le prix ? Et pour combien de temps ?

Par ailleurs, n’oublions pas que l’histoire russe est marquée par un effondrement soudain du système central, celui tsariste en 1917 et celui soviétique en 1991. N’oublions pas que la longue histoire chinoise est également ponctuée de périodes avec un pouvoir central fort alternant avec des moments d’une multitude de pouvoirs régionaux.

Penser qu’un système autoritaire est, par définition, voué à s’effondrer est-il une erreur d’analyse ? La Chine en est-elle la preuve ?

Non, je ne le crois pas. Le virus de la liberté finit toujours par l’emporter même si cela met du temps et que la route vers la démocratie n’est pas une ligne droite sans détours ni retour en arrière.

Jour après jour, l’aspiration à la liberté se développe avec les réseaux sociaux, les voyages, les échanges commerciaux, le cinéma, l’art…

L’expérience soviétique a démontré que la gestion centralisée de l’économie n’assure pas un développement durable. Le recours à l’économie de marché introduit la liberté de choix dans les décisions économiques. Aussi se pose rapidement la question de savoir pourquoi la liberté resterait confinée à la sphère économique et que le pouvoir politique continuerait d’être accaparé par une minorité.

Depuis 1991, le nombre de démocraties de par le Monde a augmenté. Il ne faut pas se laisser impressionner par certains dictateurs qui donnent parfois l’impression d’imposer leur loi, que ce soit Xi JINPING, POUTINE, ERDOGAN, KHAMENEI, El ASSAD ou MADURO…

En envahissant l’Ukraine, POUTINE a ressuscité l’OTAN et incité l’Occident à défendre ses valeurs de liberté.

Quelles leçons pouvons-nous en tirer sur la manière dont les démocraties se positionnent par rapport aux démocraties autoritaires ?

L’Europe, l’Occident ne doit jamais transiger sur ses valeurs. Certes, évitons de faire la guerre pour impose notre modèle ; l’exemple de la seconde guerre en Irak nous démontre la vanité de cette prétention.

En revanche, comme nous l’avons fait avec les pays de l’Est européen ou d’Afrique, aidons et accompagnons les processus démocratiques et conditionnons nos aides à la bonne gouvernance.

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