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Les derniers jours des reines : le suicide de Cléopâtre
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Bonnes feuilles

Comment sont mortes les souveraines les plus célèbres de l'Histoire ? Extrait de "Les derniers jours des reines", de Jean Sévillia et Jean-Christophe Buisson, publié aux éditions Perrin, (1/2).

Jean-Christophe  Buisson

Jean-Christophe Buisson

Jean-Christophe Buisson est un journaliste et écrivain, spécialiste des Balkans. Il est entré au Figaro Magazine en 1994 comme grand reporter, où il dirige les pages culture et art de vivre.

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Jean  Sévillia

Jean Sévillia

Jean Sévillia est rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire. Essayiste et historien, il a publié de nombreux succès de librairie, notamment Zita impératrice courage (Perrin, 1997), Le terrorisme intellectuel (Perrin, 2000), Historiquement correct (Perrin, 2003), Le Dernier empereur, Charles d’Autriche (Perrin, 2009).

 

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Certes, les Anciens insistent sur l’acharnement d’Octave à maintenir Cléopâtre en vie. Il ira même jusqu’à tenter de la ranimer quand elle aura commis l’irréparable. Soit. Mais c’est oublier que cette reine était embarrassante. Que faire d’elle ? La tuer ? Cléopâtre n’était pas le premier roitelet venu : le risque existait de l’ériger en martyr de la résistance au nouveau pouvoir romain. Sans compter qu’il était difficile à un imperator d’exécuter une femme. César s’était d’ailleurs interdit de liquider Arsinoé 2. La placer en résidence surveillée ? C’eût été contredire la propagande qui faisait d’elle l’ennemie mortelle de Rome et l’histoire officielle qui allait en découler. Le suicide évitait ces deux mauvaises solutions. Il renforçait aussi cette histoire officielle de deux façons : Octave sortait innocent de la mort de la reine comme il était sorti innocent de celle d’Antoine, et Cléopâtre donnait la preuve ultime de son irréductibilité malgré l’indulgence de son vainqueur.

Vu sous cet angle, mieux vaut une reine orgueilleuse qui se donne la mort avec courage qu’une femme finie qui la reçoit d’un vainqueur sans pitié. Ce choix d’en finir, conforme au rôle de Cléopâtre dans la mythologie augustéenne, Horace, poète et ami d’Auguste, l’expliquera dans quatre vers définitifs :

Plus farouche encore, car prête au suicide, Cette femme qui ne sut jamais s’abaisser, Refusa fièrement aux sévères liburnes [galères] De la mener, déchue, au triomphe arrogant.

>>>>>>>>>>> A lire également : Les dernières heures de la reine Marie-Antoinette dans son cachot avant sa décapitation

Dès lors, la bienveillance d’Octave ne masque-t-elle pas une manipulation destinée à pousser Cléopâtre à se supprimer ? Impossible de le prouver. Mais cet homme a donné tant de preuves de sa redoutable intelligence et de son art de l’intrigue ! Et le suicide de la reine présentait tant d’avantages…

Décidée à mourir, Cléopâtre obtint d’Octave, qui, officiellement, ne se doutait de rien, l’autorisation d’offrir une libation à Antoine. De retour au palais, elle prend un bain et se fait servir un dernier et somptueux repas. Puis, elle écrit une lettre à Octave qu’elle confie à Épaphrodite. Débarrassée de son surveillant, elle s’enferme dans sa chambre avec Iras et Charmion, les servantes qui l’ont suivie dans le mausolée. Ces deux-là sont destinées à mourir avec leur maîtresse.

Quand Octave lut la lettre, il comprit aussitôt : la reine lui demandait de reposer au côté d’Antoine. Accouru au palais, il voit Cléopâtre vêtue de ses habits royaux, allongée sur un lit d’or, Iras gisant à ses pieds, tandis que Charmion, chancelante, use ses dernières forces à arranger le diadème de sa maîtresse. Personne ne sait quel toxique elle a utilisé ni comment elle se l’est administré. Seules deux légères piqûres apparaissent sur un bras – selon certains –, faisant supposer la morsure d’un aspic ou la piqûre d’une épingle empoisonnée. Pourtant, le corps ne porte aucune tache symptomatique d’empoisonnement et on ne découvrira aucun serpent sur les lieux. Sur ordre d’Octave, des médecins lui administrent des contrepoisons et des Psylles 1, réputés insensibles au venin des serpents, sucent la plaie.

Mais la Mort refuse de rendre Cléopâtre, malgré les efforts d’Octave – Plutarque assure qu’il était navré de la disparition de cette femme dont il avait mesuré la grandeur d’âme. Le vainqueur sera d’ailleurs parfait jusqu’au bout. Il ensevelit l’illustre défunte au côté de son mari, avec tout le faste habituel. Même les courageuses petites Iras et Charmion eurent droit à des obsèques honorables. Bien sûr, il restait fâché que la vedette du triomphe lui ait fait faux bond. Mais il se consolera en faisant défiler son effigie avec un serpent enroulé autour du bras.

Qu’il ait ou non souhaité la mort de Cléopâtre, Octave l’aura brillamment exploitée en poursuivant cette comédie de la mansuétude commencée avec les obsèques officielles accordées à Antoine. Ce fut d’abord cette tentative, mi-tragique mi-burlesque, de réanimation sur le cadavre de Cléopâtre. Ensuite, l’organisation de ses funérailles officielles. Enfin, son ensevelissement au côté de son mari, comme tous deux l’avaient souhaité. Tout cela était le point d’orgue et le point final de l’histoire officielle qui allait s’écrire. Le général et chef d’État romain Antoine ne serait plus que l’époux soumis de Cléopâtre, l’ennemie mortelle de Rome auprès de laquelle il repose pour l’éternité.

Restait à régler le sort des enfants. Leurs destins contrastés montrent que la clémence s’exerce plus difficilement envers les vivants qu’envers les défunts. Antyllus mourra le premier. Âgé de seize ou dix-sept ans, il était l’aîné des garçons que Fulvia avait donnés à Antoine. Octave ne pouvait laisser vivre ce jeune adulte qui avait été très proche de son père sans risquer de se susciter un concurrent. Le malheureux s’était réfugié dans le temple de César divinisé, afin d’être protégé par l’asylie attachée aux sanctuaires. L’asylie ne lui servit de rien, sinon à n’être pas décapité sur place.

Puis viendra le tour de Césarion. Présumé fils de César, il était encore plus dangereux qu’Antyllus. Lors de la délibération sur son sort, le philosophe alexandrin Arios donnera son avis en pastichant un vers de l’Iliade : « Pluralité de Césars ne vaut rien 1. » Il est douteux qu’Octave ait eu besoin de ce conseil pour éliminer un frère aussi fâcheux…

Les jumeaux Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné, tout juste âgés de dix ans, prendront la place de leur mère lors du triomphe d’Octave. La fille sera confiée à Octavia et, plus tard, mariée au roi Juba II de Maurétanie. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Lui aussi avait figuré à un triomphe, celui de César, seize ans plus tôt, en remplacement de son père suicidé ; et lui aussi avait été élevé par Octavia. On perd en revanche toute trace du garçon, ainsi que du puîné, le petit Ptolémée Philadelphe. Ont-ils été liquidés discrètement ? Sont-ils morts jeunes de maladie ? Plutarque et Dion Cassius affirment qu’ils furent épargnés et bien traités, ce qui laisse supposer leur passage dans la pouponnière d’Octavia. Sans certitude…

Octave s’attardera quelques jours à Alexandrie pour signifier aux Égyptiens l’acte de décès de la dynastie lagide. Cela se fera très simplement. Il visitera le tombeau d’Alexandre le Grand et touchera la momie, mais il refusera de se rendre dans la sépulture des Ptolémée. À sa suite égyptienne qui insistait, il répondra, selon Dion Cassius, par cette phrase définitive : « J’ai désiré voir un roi et non des morts ! » Alexandre avait bâti un empire éphémère sur lequel ses diadoques, parmi lesquels Ptolémée, s’étaient taillé des royaumes. Cet empire revivait maintenant au travers de Rome. La dynastie lagide n’avait plus de raison d’être.

Ce jour d’août – 30 disparaissait le dernier grand royaume hellénistique. L’Égypte devenait une province romaine. Et Cléopâtre entrait dans la légende.

Extrait de "Les derniers jours des reines", de Jean Sévillia et Jean-Christophe Buisson, publié aux éditions Perrin, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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