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La chute du mur de Berlin a symbolisé la fin du soutien généralisé au communisme et un tournant mondial vers des politiques de plus grande liberté économique et politique.
La chute du mur de Berlin a symbolisé la fin du soutien généralisé au communisme et un tournant mondial vers des politiques de plus grande liberté économique et politique.
©PETER KNEFFEL / DPA / AFP

Affrontement

Depuis les années trente du XXe siècle, l’affrontement entre le système de démocratie libérale et les différents systèmes totalitaires est permanent.

Jean-François Cervel

Jean-François Cervel

Jean-François Cervel est inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR) honoraire.

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Depuis les années trente du XXe siècle, l’affrontement entre le système de démocratie libérale et les différents systèmes totalitaires est permanent. Au long de ces quelque cent années, cet affrontement a connu de nombreux épisodes. Mais aujourd’hui, le système de démocratie libérale est plus que jamais menacé par la conjonction de multiples idéologies totalitaires portées par des acteurs de plus en plus puissants.

Le premier grand moment de cette lutte fut la guerre contre les dictatures fascistes en Europe et le militarisme nippon en Asie. Le système libéral était alors défendu par le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis d’Amérique. Le totalitarisme fasciste était incarné par l’Italie, l’Allemagne – qui porta à son plus haut degré l’idéologie nationalo-raciste -, alliées, en Asie, avec le Japon dans une logique impérialiste suprémaciste violemment opposée aux valeurs libérales. Dans le même temps, on prit assez vite conscience que le système communiste, censé porter une dynamique de libération des peuples et d’abolition de l’exploitation capitaliste, établissait, lui aussi, un système de despotisme totalitaire en Union des républiques socialistes soviétiques après que le parti communiste eut imposé son pouvoir en 1917.

Il fallut, néanmoins, une alliance entre le Royaume-Uni, les USA et l’URSS pour parvenir à abattre le système fasciste et le militarisme japonais après une guerre mondiale qui fit quelque soixante millions de victimes.

Dès l’instant où les pays porteurs de l’idéologie nationaliste extrémiste furent vaincus, l’affrontement reprit avec l’idéologie communiste conquérante. Portée par son rôle dans la victoire contre le totalitarisme nazi, l’URSS, désormais à la tête d’un énorme empire constitué de tous les pays d’Europe de l’Est conquis, entreprit de reprendre ses attaques contre le système libéral. La première étape de cette croisade fut la victoire du communisme en Chine, avec la prise du pouvoir par le parti de Mao Tse Toung en 1949 en même temps que se mettait en place le rideau de fer isolant l’Europe de l’Est, intégrée dans le bloc soviétique. L’affrontement se poursuivit en Corée où la guerre se termina par un armistice coupant ce pays en deux, le nord étant désormais sous la coupe d’un parti communiste qui installa une dynastie familiale despotique, toujours au pouvoir aujourd’hui, sous la haute protection de la Chine.

Puis l’affrontement se poursuivit en Asie du Sud-Est, à l’occasion de la décolonisation de la péninsule indochinoise. Le départ des français puis des américains signa la victoire du système communiste dans cet ensemble régional. Il y est toujours en place, avec l’affirmation d’oligarchies dynastiques sous la protection chinoise, notamment au Cambodge décimé par la dictature des khmers rouges.

Au long des décennies de la « guerre froide », l’affrontement se développa sur tous les autres continents, en Afrique, à l’occasion des décolonisations et en Amérique latine. Le système communiste l’emporta à Cuba. Il fut contré ailleurs par des dictatures militaires soutenues par les Etats-Unis dont les différents pays ne sortent que malaisément, encore aujourd’hui.

L’affrontement principal des deux systèmes, respectivement incarnés par les deux « grandes puissances », USA et URSS, s’acheva par une défaite du système communiste et la disparition de l’URSS en 1989-1991. L’ensemble des pays de l’Europe de l’Est qui avaient dû subir le joug communiste imposé par l’URSS rejoignirent alors le camp du système libéral. On crut un instant qu’était advenue « la fin de l’histoire », le système libéral l’ayant définitivement emporté, dans un grand mouvement de mondialisation heureuse, alors que la Chine s’ouvrait largement aux échanges mondiaux, au « doux commerce » et attirait les investissements du monde entier et notamment des Etats-Unis et de l’Europe, dont toutes les entreprises étaient fascinées par l’ampleur de cet énorme marché qui se modernisait à vitesse accélérée.

Mais l’illusion fut de courte durée. On mesura très vite que l’évolution des différentes parties du monde et leur développement économique ne conduisait pas naturellement à l’installation de la démocratie libérale.

Ainsi, le bilan de cette longue période d’affrontements successifs, entre la fin de la première guerre mondiale et la chute de l’URSS, est-il contrasté. Le système libéral a certes fait la preuve de son énorme capacité de création de richesses et de production d’innovations scientifiques et techniques désormais diffusées sur toute la planète. Par deux fois, il a vaincu les systèmes totalitaires qui s’affrontaient à lui. Il a assuré la puissance des Etats-Unis d’Amérique, pays qui incarne le mieux ce système qu’il a su mobiliser pour l’emporter, tant en 1945 qu’en 1989, et qui lui a donné sa place de puissance dominante voire impériale. Mais cette domination est désormais dénoncée par de nombreux pays dans un contexte global de crise environnementale générée par le formidable développement économique et donc démographique qu’a connu la planète. En un siècle et demi, la population mondiale, grâce à la croissance économique, a, en effet, connu une énorme expansion qui modifie profondément sa relation à son environnement et donc les équilibres du monde.

Et aujourd’hui, dans ce contexte de dégradation de l’environnement naturel, on constate une nouvelle montée en puissance de différents systèmes totalitaires qui ont pour objectif de détruire le système libéral et de vaincre les pays qui le portent.

Malgré la chute de l’URSS, le système communiste a réussi à se maintenir dans un nombre significatif de pays et notamment en Chine où le parti communiste détient la totalité des pouvoirs dans un dispositif de capitalisme d’Etat aux mains d’une oligarchie omnipotente qui a su moderniser le pays à vitesse accélérée après les errements de la période maoïste. Forte de cette maitrise technologique et économique retrouvée et de ses 1,4Milliards d’habitants, la Chine développe son influence sur tous les continents, attire les entreprises du monde entier et a pour objectif affiché d’être la puissance impériale en 2049, date du centième anniversaire de la prise du pouvoir par le PCC à Pékin.

Le monde arabo-islamique, bien qu’irrigué par les considérables revenus tirés des ressources énergétiques possédées par de nombreux pays de cet ensemble, affirme fortement qu’il ne veut pas remettre en cause son modèle théologico-autoritaire. Les différents pays qui composent cet énorme ensemble oscillent de ce fait entre régimes islamistes et régimes militaires qui ont pour position commune de refuser le modèle libéral identifié à l’occident honni car constitué des pays anciennement colonisateurs et porteurs d’une idéologie destructrice des valeurs traditionnelles. L’échec des révolutions de couleurs en fut le douloureux témoignage alors que se développaient des mouvements islamistes radicaux se donnant pour objectif de chasser les occidentaux, de les attaquer par des actions terroristes de grande ampleur et de détruire l’influence maléfique des valeurs qu’ils portent. L’échec des guerres de rétorsion lancées par les américains, en Irak et en Afghanistan, après les attaques du 11 septembre 2001 sur le territoire des Etats-Unis et la perpétuation du conflit né de la création de l’état d’Israël en Palestine entretient cette logique d’affrontement tant avec les régimes sunnites qu’avec le monde chiite.

Quant à la Russie qui n’a pas su maitriser une évolution vers un système de démocratie libérale, elle cultive une rancœur anti-occidentale et un désir de revanche face à la disparition de l’empire tsaro-soviétique. Bien que disposant du plus vaste territoire du monde, pourvu d’innombrables richesses, son gouvernement veut conquérir toujours plus et surtout empêcher que les valeurs libérales puissent pénétrer le pays. Pour ce faire, le régime poutinien n’a pas hésité à engager une guerre contre son voisin ukrainien, montrant clairement qu’il ne laissait à l’Ukraine que deux alternatives. Soit le pays se soumet, perd ses provinces de l’Est et devient, pour le reste, un Etat satellite comme l’est la Biélorussie, avec des dirigeants désignés par un simulacre de démocratie recouvrant la réalité totalitaire d’un état policier. Soit elle est méthodiquement détruite et sa population martyrisée par des bombardements systématiques sur toutes ses villes et ses infrastructures. C’est ce qui est en train d’advenir en raison de l’incapacité occidentale à soutenir effectivement le gouvernement ukrainien dans sa volonté de rejoindre le monde libéral et de se défendre efficacement.

On constate donc, aujourd’hui, la conjonction de ces trois grands systèmes totalitaires pour affronter le monde occidental et détruire son modèle libéral. Les différents régimes totalitaires ne s’en cachent d’ailleurs pas. Ils affichent clairement que c’est leur objectif et qu’ils sont prêts à utiliser tous les moyens pour y parvenir, moyens dissimulés de la cyber-guerre, de l’espionnage et de la désinformation, terrorisme des organisations non-étatiques comme moyens militaires de la guerre traditionnelle.

Cette alliance entre les trois systèmes totalitaires, communiste, islamiste et nationalisto-identitaire a pour ciment la volonté de détruire les pays occidentaux porteurs de l’idéologie libérale. Dans ce but, la Chine et son appendice nord-coréen, la Russie et l’Iran essaient par tous les moyens de mobiliser l’ensemble des autres pays du « Sud global ». Ils utilisent le sentiment de rancœur contre les anciennes puissances coloniales, notamment en Afrique, et exploitent toutes les situations de crise et notamment le conflit israelo-palestinien, pour s’opposer aux Etats-Unis et à l’occident libéral.

Cet affrontement est rendu particulièrement complexe par les liens d’interdépendance économique et financière qui se sont noués au long de la période de « globalisation »et qui font que les pays sont à la fois « des partenaires et des rivaux systémiques » comme l’écrit l’Union européenne. Mais la guerre engagée sans complexe par la Russie poutinienne contre l’Ukraine qui a conduit à rompre brutalement des liens économiques pourtant forts, montre bien que cette situation de partenariat/affrontement ne peut durer longtemps. On ne peut pas à la fois être partenaires et rivaux systémiques.

Les pays qui s’inscrivent dans le camp du système libéral ont du mal à prendre véritablement conscience de la gravité de cet affrontement global qui se joue sur tous les continents et dans tous les domaines.

Cela est d’autant plus difficile pour eux qu’ils doivent gérer, en leur propre sein, la contestation du système libéral par de nombreuses forces politiques.

Les discours nationalistes contestant la mondialisation libérale et l’universalisme des droits de l’homme, les discours communistes contestant le fonctionnement capitaliste de l’économie, les discours écologistes contestant la croissance économique, se conjuguent, en interne, pour dénoncer aussi le système libéral. Même la patrie du libéralisme, les Etats-Unis d’Amérique, voit se développer le discours purement nationaliste de l’América First, mêlant, dans la bouche de Donald Trump, un libéralisme économique frôlant le libertarisme et un nationalisme de puissance, mercantiliste, militaire et même religieux.

Les valeurs fondamentales de liberté individuelle, - dans toute son acception de liberté de pensée, de liberté d’opinion, de liberté d’expression, de liberté d’information et de liberté d’action, notamment économique – et d’universalité des droits de l’homme et du citoyen donc de démocratie sont totalement remises en cause par ces différentes idéologies.

 Il faut donc montrer que le système libéral n’est pas la caricature que certains veulent bien en faire. Le système libéral ce n’est pas l’individualisme débridé conduisant à la licence, aux inégalités et à la destruction des identités et des structures traditionnelles de la famille et de la société. Ce qui a fait la force et la réussite du système libéral c’est sa capacité à gérer l’équilibre entre la liberté individuelle et la défense de l’intérêt général. La liberté individuelle, source de créativité, d’invention et de production de richesse entraîne certes des inégalités mais elle s’exerce dans le cadre de lois, décidés démocratiquement, garantissant la défense de l’intérêt général et elle s’accompagne de l’égalité de droit, l’égalité politique, l’égalité des chances et la solidarité avec les plus fragiles. C’est cet équilibre qui fait la force du système libéral face à tous les autres systèmes idéologiques. C’est ce qui fait l’attraction qu’il exerce sur toutes les populations du monde au grand dam de tous les régimes totalitaires. Aucun d’eux ne peut se prévaloir d’être plus attractif que le système libéral.

Ils savent bien, de ce fait, qu’ils ne peuvent se maintenir que par la répression interne, la propagande et l’agressivité externe.

Face à l’alliance des régimes porteurs de ces idéologies totalitaires et à sa volonté destructrice et face au renouveau des égoïsmes nationaux, les pays qui ont la chance de vivre en système libéral doivent réaffirmer haut et fort l’ensemble de leur corpus de valeurs de liberté et d’universalité et s’organiser pour le défendre. Ils doivent démontrer que l’universalisme libéral est le mieux à même de piloter le développement durable de l’espèce humaine.

Le système socio-politique libéral a encore un avenir si les citoyens des pays qui en bénéficient veulent bien s’organiser pour le défendre.

Peut-être est-il encore temps pour l’Europe d’être l’acteur central de cette nouvelle étape de l’histoire du monde, au service de l’intérêt général de l’humanité.

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