"Le Bureau des légendes", une plongée dans la géopolitique française et au coeur de la mission des agents de la DGSE<!-- --> | Atlantico.fr
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Virginie Martin et Anne-Lise Melquiond publient « J’assure en géopolitique grâce aux séries » aux éditions De Boeck Sup.
Virginie Martin et Anne-Lise Melquiond publient « J’assure en géopolitique grâce aux séries » aux éditions De Boeck Sup.
©Xavier Lahache / Canal+ / DR

Bonnes feuilles

Virginie Martin et Anne-Lise Melquiond publient « J’assure en géopolitique grâce aux séries » aux éditions De Boeck Sup. Chute du communisme, mondialisation, changement climatique, suprématie américaine… Vous ne verrez plus ces concepts de la même manière après les avoir (re)découverts à la lumière des séries. Extrait 1/2.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Anne-Lise Melquiond

Anne-Lise Melquiond

Anne-Lise Melquiond est docteure en études cinématographiques et chercheuse rattachée au laboratoire HAR à l’Université Paris Nanterre. Elle enseigne l’histoire et la géographie au CNED et est l’autrice d’articles et d’un essai.

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Le Bureau des légendes (ou BDL) est une série télévisée française en cinq saisons créée par Éric Rochant (2015-2020). Elle relate l’histoire d’un département situé au cœur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ce service guide les officiers de renseignement, en immersion dans des pays étrangers, ayant pour fonction de détecter les individus capables d’être recrutés comme agents, c’est-à-dire comme sources de renseignements. Ces hommes de l’ombre, «sous légende», se trouvent être loin des stéréotypes de l’agent secret véhiculés dans les fictions mettant en scène le travail de contre-espionnage.

Dans le vocabulaire du monde du renseignement, un agent est une source et non un fonctionnaire de la DGSE. L’espion de la DGSE s’appelle un officier de renseignement. Il faut manipuler un agent pour obtenir des renseignements. Une légende est une vraie fausse vie et non seulement un passeport maquillé pour passer une frontière.

La série décrit de manière assez réaliste la géopolitique française contemporaine et l’actualité du monde, comme la question syrienne, le nucléaire iranien ainsi que Daech (avec son financement, ses moyens de communication ou encore l’embrigadement des djihadistes français). Le Bureau des légendes expose également les relations avec les gouvernements étrangers ainsi qu’avec les autres services de renseignements, notamment le Mossad (services secrets israéliens) et le FSB (services de sécurité de la fédération de Russie, héritiers du KGB), dont on nous apprend qu’enfants «ils crachent par terre et apprennent à être saouls dès l’école primaire ».

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Le Bureau des légendes témoigne du rayonnement culturel de la France à l’étranger dans une mise en abîme vertigineuse puisqu’elle est la première série française à avoir connu un succès planétaire. Elle est considérée comme la meilleure série française et le renouveau de la création en France. Elle va d’ailleurs être adaptée aux États-Unis : intitulée The Department, la série, produite par la chaîne câblée Showtime, sera réalisée par George Clooney. 


Par sa culture, son histoire, sa langue, son héritage politique (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et son influence diplomatique et culturelle, la France a toujours joué un rôle important à travers le monde en ayant une portée universelle. Pourtant, si la France n’est plus considérée comme une grande puissance mondiale, elle reste une puissance de premier ordre : sixième produit intérieur brut, un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU (avec un droit de véto), membre du G8, détentrice de l’arme nucléaire et de l’une des armées les plus performantes du monde, ainsi que d’une image de marque culturelle et patrimoniale. 


Le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde et la langue officielle de 32 États, la carte de la francophonie se confondant avec celle de la domination coloniale. En outre, c’est la langue de travail (avec l’anglais) de plusieurs organismes internationaux, comme l’ONU, l’UE et le CIO. De fait, le français est diffusé dans le monde entier par un important réseau d’écoles, de lycées et d’associations comme l’Alliance française. C’est donc un idiome important pour la diplomatie internationale. 


Malotru, un des personnages du Bureau des légendes, participe de la question du rayonnement français à l’étranger puisque sa légende (son identité secrète) a été pendant six ans celle de Paul Lefebvre, un professeur de français au lycée de Damas. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il va rencontrer Nadia El Mansour, une Syrienne qui tombe amoureuse de lui. C’est pour elle que Malotru mentira en rentrant en France au début de la série, des mensonges qui entraîneront crise sur crise au sein du BDL.

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Dans le monde post-guerre froide, les deux blocs ont disparu au profit d’un monde multipolaire. Même si la France reste une puissance diplomatique dans ce monde éclaté, elle est loin derrière les États-Unis, toujours leader de la gouvernance mondiale.

Depuis les indépendances, de nombreux liens complexes sont noués avec l’Afrique, c’est la «Françafrique», terme péjoratif désignant une relation qualifiée de néocoloniale entre la France et d’anciennes colonies en Afrique subsaharienne sur les plans économique, monétaire, diplomatique ou militaire. Ces dernières années, ces liens se sont distendus, comme en ont témoigné les révolutions arabes ou la guerre en Syrie.

La crise syrienne vue par Le Bureau des légendes

Dans le troisième épisode de la troisième saison, la série d’espionnage d’Éric Rochant relève le défi de résumer la crise en Syrie en une minute. La scène se déroule alors que le personnage de Nadia El Mansour prend ses fonctions à la Commission européenne à Bruxelles. Adjointe du commissaire chargé de l’aide humanitaire et de la protection civile, la Syrienne reçoit un cours de la part de son supérieur. Face à une grande mappemonde, le commissaire se lance dans un exposé :

« Hier, ma fille m’a demandé ce qui se passait en Syrie. Elle a 11 ans. J’ai essayé de lui expliquer. Ici... il y a Bachar El-Assad. Il combat les rebelles ici à Alep. Aidé par
les Russes et le Hezbollah* libanais. Ici... il y a l’État islamique*. Là, les Kurdes qui les combattent, aidés par des tribus sunnites, les Américains, les Français et quelques bataillons iraniens. Là, il y a des sunnites*, là les chiites*. Là... les Iraniens qui soutiennent El-Assad contre l’État islamique. L’Arabie Saoudite qui soutient des rebelles...
et les islamistes qui ne sont pas de l’État islamique.

– Elle a compris ?

– Non.»

Le rapide exposé du personnage est simpliste, les belligérants étant réduits à des caricatures : ce sont les gentils (les Kurdes) contre les méchants (l’État islamique), les sunnites contre les chiites... Éric Rochant pense, au moment du tournage de la première saison en 2014, qu’« il est encore question de pourparlers de paix entre le pouvoir syrien et l’opposition sous l’égide des Russes, pour préparer l’après-Bachar El-Assad. Nous sommes avant la guerre, on pense que Bachar va tomber, tôt ou tard, que c’est inéluctable ». Il partage alors la même position que Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et de la diplomatie française de l’époque.

Ainsi, dans la série, la France apparaît comme une puissance incontournable dans ce conflit. Cependant, dans les faits, elle a été mise à l’écart par son incapacité à convaincre les alliés étasuniens et britanniques d’intervenir militairement en Syrie en 2013 et a subi une défaite politique : le pouvoir syrien n’a pas été renversé.

La question kurde vue par Le Bureau des légendes

Lors de la saison 3, l’officier Sisteron part sur le terrain pour accompagner les Unités de protection du peuple (YPG), des forces armées kurdes, dans leur combat contre Daech. Formant avec les YPG l’aile armée d’une coalition kurde qui a pris le contrôle du Rojava*, dans le Nord de la Syrie, la brigade féminine (YPJ), née en 2013 d’un mouvement de résistance, comptait, fin 2016, plus de 24 000 combattantes.

C’est par l’intermédiaire du personnage de Sisteron, qui passe plusieurs jours aux côtés de ces combattantes, que nous comprenons le fonctionnement de ces groupes armés kurdes et le rôle très singulier des femmes à l’intérieur de ces mouvements. Alliés aux forces de la coalition internationale, ces groupes combattent Daech dans le Nord de la Syrie depuis la prise de pou- voir du groupe islamiste.

Sisteron a recruté Esrin, une combattante kurde extrêmement déterminée afin qu’elle communique des informations à la DGSE, en échange d’un soutien militaire et matériel. Finalement, cette jeune femme rejoindra le tableau des « martyrs » tombés pour la survie du Rojava quand le gouverne- ment français lâchera la révolte kurde, qui se fera bombarder par les forces turques. Dans cette séquence, il s’agit de la prise de Jarablous, sur l’Euphrate, mais n’oublions pas la bataille de Kobané qui opposa entre septembre 2014 et janvier 2015, en Syrie, les forces djihadistes de l’État islamique aux troupes kurdes.

En 2019, la France est au sixième rang mondial en matière de dépenses militaires. Depuis la fin du service militaire en 1995, le pays a beaucoup investi dans la professionnalisation de ses armées et dans le développement de leurs capacités de déploiement dans le monde, comme le montrent les opérations en Libye en 2011 et au Mali en 2013.

Entre 2015 et 2020, la France a été touchée en son cœur par des attaques terroristes commises par des membres de l’organisation État islamique Daech. C’est la nation la plus frappée par les attentats commis dans les pays occidentaux depuis la proclamation du « califat » de l’EI le 29 juin 2014. Ces attentats ont réorienté la politique diplomatique et militaire de la France : défensive et sécuritaire sur le territoire national, avec notamment la proclamation de l’état d’urgence en novembre 2015, et offensive dans les territoires contrôlés par l’organisation terroriste, comme en Syrie, en Afrique et en Irak.

(…)

Le Bureau des légendes met en scène « le service le plus secret des services secrets », comme l’annonce la publicité de la série de Canal+. Cette plongée au cœur de la DGSE avec des officiers du renseignement loin des stéréo- types du genre peut sembler réaliste. Pour autant, le traitement de la géo- politique française qui met en avant la place de la France dans le monde semble parfois éloigné de la réalité.

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Extrait du livre de Virginie Martin et Anne-Lise Melquiond publie « J’assure en géopolitique grâce aux séries » aux éditions De Boeck Sup

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