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L’autre Euro 2016 : qui soutient qui en Europe quand son équipe nationale n’est plus en lice (et ce que ça nous dit des affinités et divergences actuelles au sein de l’Union) ?
©Reuters

De la convergence aux divergences

L'Euro a commencé sur les chapeaux de roue vendredi 10 juin. La compétition qui voit s'affronter les nations d'Europe pose la question des rapports internationaux au sein de l'Europe et de la question en creux de la citoyenneté européenne.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Olivier Costa

Olivier Costa

Olivier Costa est directeur de recherche au CNRS au Centre Emile Durkheim de Bordeaux et directeur d’études au Collège d’Europe. Il a publié avec Nathalie Brack Le fonctionnement de l’Union européenne aux Editions de l’Université de Bruxelles, 2° édition, 2013

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Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : L'Euro 2016 a débuté vendredi 10 juin 2016. Dans une telle compétition, qu'est-ce que peut dire l'opposition sportive des nations de la réalité des rapports et tensions en Europe aujourd'hui ? Quelles nations les Français seraient par exemple le plus enclin à soutenir si la France venait à perdre (comme on peut l'observer à l'Eurovision par exemple) ?

Viatcheslav Avioutskii : Je pense que les rapports affectifs parmi les supporters de football reflètent les relations géopolitiques, historiques, et sont donc fondées sur des affinités culturelles et historiques qui dépassent le football. Si les Français par exemple venaient à perdre, leurs supporters reporteraient leur attention et soutien sur d'autres équipes, comme cela se fait traditionnellement. A mon sens, les équipes soutenues seraient alors l'équipe belge (dont un grand nombre de joueurs parlent très bien français et sont connus du public français), l'équipe espagnole, malgré un style un peu différent, puis l'équipe portugaise, qui est très appréciée, ne serait-ce que du fait d'une immigration importante en France et l'Italie, dont les liens avec la France ne sont plus à démontrer.

A côté de cela, nous aurons un intérêt ambigu pour l'Allemagne, qui est un partenaire certes, mais les supporters auront du mal à se retrouver dans le style beaucoup plus puissant et rigide de la Manschafte. 

Nous ne soutiendrons évidemment pas les Anglais, du fait d'une opposition historique, et ce, mêm si l'on a pas besoin de le rappeller, depuis Jeanne d'Arc.

Quand à la Russie, il y a un écart culturel trop important, et les sanctions à l'encontre de ce pays devraient être renouvelée dans le stade, même si le pays de Poutine a quelques supporters : les Français devraient être majoritairement opposés à la Fédération de Russie. 

Les Français soutiendrons donc d'abord les pays qu'ils connaissent bien et dont ils sont proches : la Belgique, les pays latins. Et auront une attitude plus réservée contre les nations saxonnes, germaines ou slaves. Il y a donc plus d'affinités pour les pays proches culturellement, économiquement et historiquement.

Différence de langues, de modèles politiques, de courbes démographiques, de valeurs, de structures familiales... Ces spécificités nationales ne font-elles pas pas apparaître une Europe plurielle, faite de divergences plus que de convergence ? Quelles en sont les manifestations les plus éloquentes à l'heure actuelle ? 

Olivier Costa : Il y a des divergences entre les pays européens. Il y en a toujours eu, il y en a toujours et y en aura toujours. Le but du projet européen n'a jamais été de nier ces divergences. D'ailleurs, quand on avait réfléchi à un slogan à l'époque du traité constitutionnel, on avait choisi "Unis dans la diversité". On pourrait pousser la réflexion plus loin en disant que dans les Etats-même, il est nombre de divergences que l'on ne peut nier et qui font que se distingue nettement un Corse, un homme du Nord-Pas-Calais et un Basque. C'est donc faire une mauvaise interprétation du projet européen que de faire croire qu'il y a déjà eu la volonté de faire disparaître toute différence entre pays membres ou d'harmoniser les façons de vivre des gens.

Mais de fait, les modes de vie européen ont beaucoup convergés depuis 50 ans. Ce n'est pas tant le fait de l'Europe que de la mondialisation. C'est le fruit de la modernité telle qu'on la connait aujourd'hui. En cela, l'Europe se distingue par sa capacité à créer une certaine homogénéité au sein de son territoire. 

Ensuite, si on regarde l'Europe des 28 en tant que tel, il est vrai qu'il y a peu de chose en commun entre un Finlandais, un Slovène, un Portuguais et un Chypriote. Mais si on compare l'Union Européenne avec des pays d'Afrique, d'Amérique, d'Asie, on se rend compte de ce qu'il y a de commun entre les différentes nations européennes. On le voit du point de vue des valeurs, du point de vue de l'équilibre entre social et économique. Il y a un attachement commun à la démocratie et aux Droits de l'Homme, au progrès social et humain, aux questions environnementales. En ces points on se distingue très nettement des points de vues tenus en Russie, en Chine ou aux Etats-Unis par exemple. 

Si on s'en tient aux pratiques et modes de vie des Européens, la polarisation en espaces distincts au sein de l'Union ne s'accroit pas. Elle s'est accrue mécaniquement avec l'élargissement de l'U.E., certes, mais il est compréhensible qu'il y ait plus d'uniformité dans une Europe des 7 que dans une Europe des 28. Cependant, il est vrai qu'on est aujourd'hui dans une situation où les divergences s'accroissent politiquement. Et ce parce qu'on est en crise, et que de tous temps les crises économiques et sociales engendrent des tensions politiques, et ralentissent les dynamiques de coopération. On voit donc des replis nationaux et discours nationalistes. 

Il est donc plus difficile d'avoir un discours européen sur le terme de la concorde et de l'intégration aujourd'hui qu'il y a vingt ans. 

Gérard Bossuat : Oui c’est vrai ! Même si nos étudiants possèdent maintenant deux langues en plus de leur langue maternelle, cette diversité linguistique contribue plus à séparer qu’à réunir. Comment créer, par exemple, un sentiment commun d’appartenance ? Comment animer la scène européenne par des médias tournés exclusivement sur l’opinion nationale ? Les évolutions démographiques divergentes, par exemple entre la France et l’Allemagne ou avec l’Italie ont déjà généré des politiques migratoires contradictoires. Le coup de force de Mme Merkel dans l’été dernier a montré que les intérêts nationaux allemands l’ont emporté. Il n’y a pas eu préalablement de décision commune européenne. Elle est venue après. La question des valeurs est plus délicate, car officiellement nous partageons tous les mêmes valeurs, exprimées dans  le préambule et des articles du traité de Lisbonne. Tous les Etats membres veulent une démocratie politique, une solidarité intereuropéenne, une justice indépendante, la protection des minorités, la sauvegarde des droits individuels, l’égalité entre les hommes et les femmes. Or on vient de voir comment le chef du gouvernement hongrois, un conservateur extrême,  en limitait la portée ou même les foulaient au pied et comment le gouvernement polonais, de droite dure, refusait tout compromis sur les migrants établissant une ségrégation fondée sur la  religion.

Une autre divergence européenne touche à l’économie ou plutôt aux règles économiques et sociales ; Le débat actuel en France sur la "Flexsécurité" semble d’un autre temps pour d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves. Les grèves qui ont suivi donnent aux étrangers proches qui nous connaissent bien la désagréable impression d’un pays qui s’accroche à des modèles de société, économiques et culturels passés. Il n’y a pas de politique commune de l’emploi  ni de politique fiscale commune. Même en politique extérieure la France n’emporte pas le respect des autres membres de l’Union, sauf peut-être de la Grande-Bretagne, quand elle intervient pourtant pour une cause juste et conforme aux valeurs européennes, telles que la lutte contre Daesch en Afrique sub-saharienne. Il n’y a pas de politique étrangère commune sauf évidemment sur des généralités concernant  la protection des minorités ou l’instauration de la démocratie. Le tableau peut paraître inquiétant. L’Europe de la divergence saute aux yeux. Il ne faut pas le cacher. Mais tout dépend du point de vue où l’on se place. Par rapport au grand rêve de l’unité européenne fantasmé dans les années 50 jusqu’à la monnaie unique, le décalage est énorme. Comment faire rêver ensemble plus de 500 millions de personnes ? L’URSS avait utilisé des moyens insupportables pour construire le nouvel homme communiste. Il est hors de question que l’Union impose des solutions contraignantes. Nous sommes divers plus que divergents. Nous partageons quotidiennement des règles économiques, commerciales et même juridiques qui nous différencient des pays non membres de l’Union. Il faut vérifier cependant que nous avons tous le même but, l’unité, condition d’une adaptation réussie au monde global.

Quelles sont les divergences actuelles qui peuvent aboutir à une convergence, et celles dont il est peu probable qu'elle se produise ? Sur quels thèmes la convergence européenne est elle une utopie ?

Olivier Costa : Il faut distinguer deux choses. Si l'on regarde tout d'abord les grands objectifs de l'Union Européenne, qui étaient d'établir la paix des peuples, la prospérité économique et l'affirmation de l'Europe en tant que telle, il me semble que l'on est aujourd'hui en panne. Les gens trouvent que c'est trop abstrait. La paix est considérée comme acquise. La capacité d'apporter la prospérité est remise en cause. Le fait de faire l'Europe n'emballe plus en tant que telle, et on se rend compte (chose qui n'est pas fausse) qu'on peut avoir l'Europe sans l'Union Européenne. 

De ce fait, il faut reconnaître qu'il y a une certaine malhonneteté à considérer que si l'Union Européenne s'arrêtait, il n'y aurait plus d'Europe. C'est faux. Il y a d'autres organisations européennes comme le Conseil de l'Europe. Et l'Europe restera une zone culturelle, économique, géographique et politique, avec ou sans Union Européenne. 

Maintenant, ce qui peut tenir encore les européens ensemble, ce sont les inquiétudes qu'ils expriment par rapport à un certain nombre de dossiers. Une approche pragmatique de l'Union serait plus efficace : si on arrête de vendre de l'utopie et que l'on met l'accent sur l'utilité quotidienne de l'Union Européenne, les choses changeront. Les grands enjeux peuvent parfois être mieux gérés par l'Union Européenne : c'est le cas en matière de recherche, de puissance économique. Cela, les Européens peuvent le comprendre, surtout s'il s'agit de faire le poids face à la Chine ou aux Etats-Unis. De même quand on parle de lutte contre le réchauffement climatique, lorsqu'on parle de gestion des problèmes migratoires, ou de lutte contre le terrorisme, il me semble qu'on voit bien qu'une solution est plus envisageable à l'échelle européenne. Evidemment, il est assez compliqué de soumettre ce constat d'échec ou d'impuissance des Etats aux gens. Aujourd'hui, il faut pourtant voir qu'un Etat seul sur ces dossiers est très vite démuni. C'est donc sur ces questions concrètes (immigration, énergie par exemple) qui affectent les gens dans leur vie quotidienne que l'Europe doit convaincre.

Gérard Bossuat : Depuis le 9 mai 1950, des actes d’unité ont été posés qui jusqu’alors semblaient être des utopies. Qu’on se rappelle qu’en 1849, Victor Hugo qui présidait un congrès de la paix à Paris appelait de ses vœux les nations européennes à créer les Etats-Unis d’Europe. Utopie ? Non puisque l’Union européenne, qui n’est pas les Etats-Unis d’Europe alors que les Etats-Unis d’Amérique sont une réalité juridique, est tout de même née à Maastricht en 1992 et qu’un Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernements des pays membres donne les directions à suivre par l’Union. 

Il est paradoxal de se demander si des divergences sont porteuses de convergences ; Quelles sont les conditions pour que les premières évoluent favorablement pour mieux réunir les Européens. Il y a des divergences conjoncturelles et des divergences fondamentales : Malgré son acuité la divergence sur les demandeurs d’asile relève de la conjoncture politique qui fait une confusion entre migrants économiques et demandeurs d’asile persécutés ou insécurisés dans leur pays (Syrie, Irak, Ethiopie, Soudan etc…). La divergence sur les politiques de l’emploi et sur les politiques budgétaires relève plus de la conjoncture que du fond. En revanche il est très difficile d’aboutir sur les abandons de souveraineté demandés pour réussir une politique étrangère commune, une politique éducative, mettre en place effectivement des régulations pour égaliser les revenus entre l’Europe du Nord et celle du Sud, ou entre les régions de façon à éviter la désertification de certaines régions. 

Les divergences sur les frontières de l’Union (avec ou sans l’Ukraine, la Biélorussie, la Turquie ?), peuvent t être levées à condition que soit tranchée la question, très difficile, de la nature de l’Union. Est-ce un marché ou un espace de civilisation partagée ? Mais quels fondements civilisationnels partageons-nous et jusqu’où cette civilisation est universelle ?  Peut-on dépasser les particularismes religieux et civilisationnels induits par l’arrivée en Europe de populations non européennes ? La question n’est pas de savoir quelles politiques il faut mener pour faire l’unité européenne mais comment l’Union peut exercer une influence bienfaisante et pacificatrice  dans le monde. Animés par ces idées, les chefs d’Etat et de gouvernement devraient trouver les moyens de les réaliser. Monnet en proposant Euratom en 1957 songeait à unifier l’Europe dans des domaines nouveaux et porteurs d’avenir ; l’atome civil les transports par avion, dans ces années-là. Quels sont les secteurs d’avenir où l’Union européenne pourrait apporter un appui décisif parce que plus déterminant que celui des seuls Etats de l’Union ? On peut songer à tout ce qui concerne les nouvelles technologies civiles et militaires, l’éducation, l’océanographie, les énergies renouvelables, les transports, le brassage culturel des jeunes, l’éducation civique européenne. Un tel projet suppose que l’Union européenne accepte d’agir comme un Etat capable d’imposer des normes et de négocier avec les pays tiers les indispensables relations afin de ménager les intérêts de chacun.

Quel impact pourrait avoir un vote britannique en faveur d'une sortie de l'UE ? Ne s'agirait-il pas d'un important revers pour les défenseurs des idées originelles d'union et de citoyenneté européennes ? Comment ceux-ci pourraient-ils y faire face intellectuellement et politiquement ? 

Olivier Costa : Il y a deux façons de voir les choses. La vision pessimiste constaterait qu'il s'agit de la première sortie d'un membre l'Union Européenne. Et que le fait que les Britanniques aient fait le constat que l'Union avait plus de défauts que d'avantage pour eux serait le signe de la rationalisation du rapport des citoyens à l'Union Européenne, et qu'il n'y a plus du tout de dimension idéologique ou utopique. On craindrait alors que cela nourrisse l'euroscepticisme montant (qu'on pense à la Hongrie, la Croatie, la France ou la Pologne) et que cela encouragerait un désengagement du système politique actuel à la manière de Cameron. On verrait se multiplier en conséquence des demandes de négociation du statut de l'UE de la part des Etats mécontents (plus que des sorties à mon avis). 

La vision optimiste consiste à dire que de toute manière les Anglais n'ont jamais joué le jeu de l'UE. Ils avaient déjà tout une série d'exceptions, à commencer par leur refus de l'euro. Ils ont de fait mis beaucoup de coup de frein dans la dynamique d'intégration européenne. Et ce pour un certain nombre d'éléments historiques propre au Royaume-Uni. D'ailleurs, il y a quelques années, des sondages d'opinion montraient que nombre de Britanniques n'étaient pas au courant de leur adhésion à l'Union Européenne. Ils pensaient de fait que n'étant pas dans l'euro, ils n'étaient donc pas dans l'Union. D'une certaine manière, leur mauvaise réputation en temps qu'européen étant constatée, certains commentateurs vont jusqu'à penser qu'il s'agit de la solution pour relancer l'Union Européenne. On serait alors entre personnes de bonne volonté, qui ne pensent pas uniquement à la façon dont va marcher le business. Ce serait une façon de retirer l'épine de Bucéphale et de repartir sur des bases plus saines.

A mon avis, ce discours est un peu simpliste. Mais il y a une part de vérité : l'Union Européenne, ce serait désormais "soit on joue le jeu, soit on sort". Les gens seraient au pied du mur et devraient faire leur choix. Je pense qu'une sortie du Royaume-Uni pourrait être le prélude de la formation d'une Europe à plusieurs vitesses. Il me semble que cette Europe constituée de différents groupes d'Etats en fonction de leur volonté de développer des politiques ou pas est la solution. De sorte que débarassés des Britanniques qui ne voulaient pas en être mais ne voulait pas en entendre parler sans eux, les Etats volontaires pourront s'épanouir. D'autant plus que les autres Etats réticents n'auront pas la capacité de blocage des Britanniques. 

Gérard Bossuat : En 1961 la Grande –Bretagne d’Harold Macmillan, conservateur, mais européen, demande son entrée dans la petite Europe, non par europhilie mais par intérêt. Le Commonwealth s’affaiblit et les élites s’aperçoivent que la Grande-Bretagne fait plus de commerce avec l’Europe des Six qu’avec le reste de l’Empire. L’aventure européenne de la Grande-Bretagne commence peut-être sur un malentendu. Il faut dire aussi qu’entre 1957 et 1960 la Grande-Bretagne a créé une Association européenne de libre-échange pour essayer d’attirer les pays du marché commun en proposant une union douanière sur les produits industriels mais pas sur les produits agricoles. Elle espérait attirer les pays de la CEE réticents envers une politique agricole commune, discriminatoire vis-à-vis des pays tiers et des Etats-Unis et inquiets des velléités fédéralistes d’Hallstein. De Gaulle déjà repoussa cette offre fin 1958 et, comme on le sait aussi, repoussa la demande d’adhésion au Marché commun en 1963, puis en 1967 encore. Pompidou l’accepta contre un approfondissement de l’intégration européenne dans les domaines agricoles et monétaires. Monnet avait toujours milité pour une adhésion britannique, creusant ainsi le fossé avec de Gaulle et apparaissant à tort comme l’homme des Américains qui souhaitaient l’adhésion des Britanniques. Toutefois le comportement britannique n’a jamais relevé d’un enthousiasme ardent comme Mme Thatcher a su le montrer élégamment : "I want my money back", niant au passage une valeur de l’union, la solidarité entre Etats riches et plus pauvres. Depuis 1985 elle bénéficie d’un rabais de sa cotisation au budget européen.

Donc beaucoup d’observateurs pensent que la Grande-Bretagne est un frein à un approfondissement de l’unité : la Grande-Bretagne a émis des réserves sur l’Europe sociale, ne fait pas partie de Schengen et conserve sa monnaie et sa place financière internationale de Londres. Toutefois il est impossible de croire qu’un Brexit serait bénéfique pour les 28. L’image de l’Europe en sortirait affaiblie dans le monde, tandis que celle de la Grande-Bretagne en serait aussi affectée gravement. De nouvelles conditions seraient imposées à la Grande-Bretagne dans ses relations avec le continent. Mais les coopérations bilatérales existantes continueraient sans doute de fonctionner (coopération militaire franco-britannique). L’autorité de l’Union européenne, de l’Europe, pour faire simple serait affaiblie.

Il est sûr que pour Coudenhove-Kalergi, fondateur en 1926 de Pan-Europa, un mouvement d’unité confédérale de l’Europe, la Grande-Bretagne n’en ferait pas partie tout en l’appuyant. Monnet au contraire, et avec lui les responsables politiques européens, et singulièrement français s’attendaient à voir la Grande-Bretagne travailler avec les continentaux à partir de 1945. Le plan Schuman du 9 mai 1950 fut offert aussi à la Grande-Bretagne qui refusa avec hauteur de sacrifier sa souveraineté sur le charbon et l’acier. Il est très clair qu’un Brexit nous ramènerait à l’avant 1972 date de l’adhésion britannique avec, espérons-le, le mérite de clarifier les positions des anti et pro- fédéralistes s’il se produisait.

Face à la crise migratoire et aux autres problèmes rencontrés par l'UE récemment, la montée en puissance des partis populistes et des positions eurosceptiques semble battre en brèche l'idée d'une "citoyenneté européenne". Celle-ci est-elle seulement en perte de vitesse à cause de ces problèmes conjoncturels ou doit-elle être remise en question plus profondément ?

Olivier Costa : Je commencerais par dire que la citoyenneté européenne a toujours été une espèce de citoyenneté au rabais. Il n'y a pas grand-chose dedans, les droits qui sont acquis par le citoyen européen ne sont ni nombreux ni très visibles et, surtout, ils n'ont pas connu le moindre développement depuis maintenant 20 ans. Cette citoyenneté européenne vaut donc surtout pour ses aspects économiques et sociaux : il est pratique d'être européen parce qu'on peut utiliser une seule et même monnaie dans plusieurs pays, que l'on peut aisément aller travailler à l'étranger, etc… Au-delà de ça, d'un point de vue politique, la citoyenneté européenne reste un concept assez creux.

La situation actuelle ne porte donc pas atteinte à cette citoyenneté. Ce à quoi elle porte atteinte, en effet, c'est à l'utopie de la citoyenneté européenne. Telle qu'on pouvait la concevoir dans les années 80, quand l'idée d'une Union Européenne se substituant aux Etats-membres étaient d'actualité. Ce projet-là, visant à la substitution des citoyenneté nationales en faveur d'une citoyenneté européenne, a du plomb dans l'aile. Cela dit, je pense qu'il a toujours été utopique en cela que les gens qui ont cherché à le promouvoir ne tenaient pas compte de de plusieurs aspects que voici :

1.       Les Etats européens sont extrêmement anciens et ont, par conséquent, des cultures et des langues très implantées, fortement enracinées. Dès lors, faire le parallèle entre la fédération qui a eu lieu aux Etats-Unis et ce qu'il se passe aujourd'hui en Europe est un contresens total. Intégrer les Etats américains était simple : ils s'agissaient d'Etats nouveaux, qui partageaient beaucoup de choses et demeuraient friables. Les identités des Etats Européens sont plus fortes, plus affirmées, de même que les institutions. On voit clairement que ces Etats ne déclinent pas, par ailleurs. Malgré la montée en puissance de l'Union Européenne (qui, dans certains cas, a redonné une certaine souveraineté à des Etats sortant du giron de l'URSS). Imaginer qu'on puisse sortir de cela d'un claquement de doigt est très naïf.

2.       Les partisans d'un modèle européen fédéraliste à la manière des Etats Unis avaient également tendance à confondre la temporalité politique et la temporalité sociale. La temporalité politique est courte, puisque les changements, les traités, les institutions, tout cela peut se faire de façon rapide, sur l'échelle d'une génération. En revanche l'évolution des mentalités prend beaucoup de temps. Changer d'échelle de société, de système politique ne se fait pas en 20 ou 30 ans. Il y a eu un malentendu à ce niveau et donc forcément des désillusions vis-à-vis de ce que l'on a réussi à mener.

Gérard Bossuat : Il serait totalement illogique de remettre en cause la "citoyenneté européenne" parce qu’il y a une montée de l’euroscepticisme. Le problème est de savoir si cette citoyenneté est proposée par le sommet des institutions ou est exigée par les citoyens européens.  Cette notion s’est imposée par suite de la liberté de circulation des travailleurs dans le Marché commun. La citoyenneté européenne est d’abord venue du rapport Tindemans de 1975, du conseil européen de Fontainebleau de 1984  puis de Felipe Gonzales en 1990. Enfin le traité de Maastricht de 1992 définit une citoyenneté de superposition à la citoyenneté nationale, une citoyenneté conférée par les Etats membres. 5 droits la caractérisent : droit de circuler et de s’établir librement, droits de vote aux élections européennes et municipales, droit de protection consulaire et diplomatique d’un citoyen de l’Union dans un pays tiers par n’importe lequel des pays membres de l’Union,  droit de pétition auprès du parlement européen. Le droit d’initiative citoyenne a été rajouté par le récent traité de Lisbonne.

Jusqu’à maintenant on suggère surtout de mettre en face des droits des citoyens européens, des devoirs. La citoyenneté européenne est une marque de reconnaissance d’une aventure commune. Si les citoyens des Etats membres n’accordent plus de valeur à cette aventure historique, la nécessité d’un élargissement des droits des citoyens européens s’estompe.

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