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Concernant son état de santé, Joe Biden a des défaillances cognitives depuis quasiment le début de son de son mandat.
Concernant son état de santé, Joe Biden a des défaillances cognitives depuis quasiment le début de son de son mandat.
©Mandel NGAN / AFP

À côté de la plaque

La dernière gaffe de Joe Biden, ayant paru confondre Emmanuel Macron et François Mitterrand, relance les doutes sur ses capacités cognitives.

Olivier Piton

Olivier Piton

Olivier Piton est avocat spécialisé en droit public français, européen et américain. Il a collaboré auprès de trois ambassadeurs de France aux Etats-Unis sur les questions liées aux affaires publiques et aux relations gouvernementales. Il a créé et dirigé la cellule de stratégie d’influence de l’ambassade de France à Washington DC de 2005 à 2010. Il est le président de la Commission des Lois à l’Assemblée des Français de l’Etranger. Il est l'auteur de La nouvelle révolution américaine : la présidentielle américaine à la lumière de l'histoire (Plon, mai 2016).

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André Kaspi

André Kaspi

André Kaspi, est agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire des États-Unis. Il a été professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de recherches d'histoire nord-américaine (CRHNA). Il a présidé notamment le comité pour l'histoire du CNRS.

 

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Atlantico : Lors d’un meeting dans la course à l’investiture démocrate, Joe Biden a évoqué un souvenir avec le président français. Mais au lieu de parler d’Emmanuel Macron, il a cité François Mitterrand, qu’il a associé à l’Allemagne au lieu de la France... Au regard du nombre d’erreurs et de gaffes qu’il connaît, de sa posture dans les sondages, comment expliquer que Joe Biden soit encore le candidat démocrate ?

Olivier Piton : Concernant son état de santé, Joe Biden a des défaillances cognitives depuis quasiment le début de son de son mandat. La question est devenue récurrente évidemment au fur et à mesure que les problématiques s'additionnaient. Le dernier exemple en date étant effectivement le fait d'avoir confondu François Mitterrand et Emmanuel Macron.

Depuis très longtemps, les Américains, y compris les démocrates, se posent la question de l'âge du « capitaine » et de la capacité de Joe Biden à gérer les affaires du pays et naturellement à se représenter pour quatre années supplémentaires.

Si l'on écoute les médecins qui se succèdent au micro des médias de droite et conservateurs, ils estiment que les temps de veille active de Joe Biden sont relativement faibles tous les jours et qu'il a besoin de longues plages de repos, ce qui est normal à son âge puisqu'il approche de ses 82 ans. En politique étrangère notamment, où le temps court peut être nécessaire, la question de savoir qui dirige se pose effectivement. Est-ce que c'est Antony Blinken, le secrétaire d'État et son administration ? Cela pose un réel problème car les tensions internationales ont tendance à augmenter. Il y a l'Ukraine, aujourd'hui la tension est au Proche-Orient, peut-être que demain la crise sera à Taïwan. Il y a également les frappes contre les Houthis en mer Rouge. Plus la tension augmente à l'international, plus la question récurrente de savoir si Joe Biden est en état de pouvoir gouverner un pays comme les Etats-Unis va se poser. La question commence à se poser aussi pour Donald Trump d'ailleurs.

La tradition veut que le président sortant puisse se représenter et que les adversaires de son propre camp qui s'opposent à lui fassent purement de la figuration. C'est donc Joe Biden lui-même qui devra prendre seul la décision d'arrêter. Il n'en est pas encore là.

La question, en revanche, est forcément très compliquée pour les démocrates. 

André Kaspi : La véritable raison est qu'il n'y a aucun autre démocrate qui ose affronter le président des Etats-Unis. S’il y avait de la concurrence, cet autre candidat pourrait affirmer que Joe Biden n'est plus en état de gouverner. L'âge du capitaine suscite l’inquiétude. La question est de savoir si Joe Biden, qui a 81 ans, pourrait continuer à être président, à supposer qu'il soit réélu, jusqu'à l'âge de 86 ans. Mais son adversaire républicain, Donald Trump, a presque le même âge puisqu’ils ont quatre ans d’écart. Mais il semblerait que Donald Trump soit autrement plus vigoureux que ne l'est Joe Biden. Cela révèle que chez les démocrates il n'y a, pour l’instant, pas de choix et que la contestation qui pourrait s’exprimer à l'encontre de Joe Biden, par rapport à son âge, contribuerait à affaiblir le Président des Etats-Unis et non pas à renforcer un candidat démocrate concurrent de Joe Biden. C'est pour cette raison, en somme, que l'âge de Joe Biden, évidemment, pose problème. Les démocrates n'osent pas franchir l'obstacle en choisissant quelqu'un d'autre, en plébiscitant un candidat alternatif.

Joe Biden est-il encore réellement l’homme qui dirige les États-Unis ? Est-il en pleine capacité d’assumer ses fonctions ?

Olivier Piton : Cela dépend de son état de résistance face à la technocratie, ce qui est le cas dans toutes les démocraties où le rapport de force entre politiques et administration est une constante. Joe Biden, contrairement à Donald Trump a l’avantage de pouvoir compter sur une administration qui lui est extrêmement loyale. Mais ce n’est pas suffisant. La technocratie ne mène pas une politique avec une vision. La vertu de la démocratie est d'être capable de mettre à la tête des pays des élus qui sont censés avoir une vraie vision politique et personnelle et qui n'ont pas uniquement une vision technocratique des choses. Les semaines et les mois à venir vont être déterminants. Joe Biden a un calendrier tranquille jusqu’à la convention démocrate qui se tiendra à Chicago du 19 au 22 août prochain et qui désignera le candidat démocrate à la présidentielle du 5 novembre. A ce moment, s'il est officiellement intronisé comme le candidat démocrate alors il devra se confronter à une campagne intense et dure. Joe Biden devra enchaîner les meetings, multiplier les déplacements avec ce que cela comporte comme fatigue physique et il devra affronter le candidat républicain au cours de plusieurs débats.

En 2020, profitant du Covid, il était resté principalement dans son Etat du Delaware, avait réussi à éviter énormément de déplacements - ce qui lui avait été reproché - et avait pu échapper à l'un des trois débats contre Donald Trump. Or, sauf énorme surprise, pour cette campagne de 2024, Joe Biden sera obligé de se déplacer sur le terrain, enchainer plusieurs meetings par jour et affronter son adversaire républicain lors des trois traditionnels débats. Cette campagne sera extrêmement fatigante et stressante pour lui. La période d’août à novembre sera donc la vraie zone de danger pour Joe Biden et pour les démocrates car en cas d’effondrement physique, le parti n’aura sans doute pas le temps de proposer une alternative susceptible de l'emporter. 

André Kaspi : Les collaborateurs les plus proches de Joe Biden s'efforcent de montrer que le président prend les décisions qu'il faut et qu’il tient son rôle de dirigeant. Mais il est très difficile d'accepter cette thèse car Joe Biden commet très fréquemment des erreurs ou des inexactitudes. Il vient effectivement de confondre l’actuel chef de l’Etat français avec François Mitterrand. Joe Biden a ainsi fait une allusion remontant à plusieurs décennies. La carrière de Joe Biden a commencé en 1972. Il est dans la vie politique depuis plus de 50 ans.

Joe Biden n’est-il plus que le faux-nez de personnes au sein de l’administration, de l’Etat profond, de l’administration et de la bureaucratie, qui gouvernent en souterrain ? Joe Biden sera-t-il remplacé par Kamala Harris en cas de second mandat ?

Olivier Piton : En démocratie plus qu'ailleurs, plus le politique est faible (y compris pour des raisons d'ordre physique, psychologique, physiologique), plus l’administration, ce que les marxistes appellent la technostructure, a tendance à se renforcer et à prendre du pouvoir. Concernant l’administration Biden, les centres de décision sont assez méconnus. Sous le mandat de Donald Trump, beaucoup de personnes et de conseillers avaient parlé et divulgué un certain nombre de secrets, très souvent à charge, sur la manière dont il gouvernait dans l'action de son mandat. Il n’y a pas le même phénomène avec Joe Biden qui, comme je le disais, dispose d’une équipe loyale et soudée. Mais cela ne veut pas dire pour autant que cette équipe loyale et soudée n'est pas en situation de quasi cogestion, voire davantage, en particulier sur les dossiers de politique étrangère. Quant à savoir si Kamala Harris pourrait succéder à Joe Biden, cette éventualité serait possible si et seulement si Joe Biden décidait de se retirer de lui-même ou si un accident physique grave l’empêchait de mener campagne. Nous n’en sommes absolument pas là.

En outre, les électeurs le soutiennent. En Caroline du Sud, lors la première primaire démocrate qui s'est déroulée le 3 février dernier, Joe Biden a obtenu 96,4 % des voix. 

André Kaspi : Kamala Harris ne sera pas automatiquement vice-présidente dans un second mandat de Joe Biden. Kamala Harris n'a pas le poids politique qui lui permettrait d'être la présidente des Etats-Unis. Si elle avait les capacités requises, si elle bénéficiait de la popularité qui est nécessaire, il serait facile d’imaginer qu'elle puisse prendre la place de Joe Biden. Mais ce n’est pas le cas.

Le vice-président des Etats-Unis ne peut pas jouer son rôle s’il n'a pas, en somme, la bénédiction du président, s’il n'a pas la bénédiction de l'administration présidentielle. Kamala Harris exerce malgré tout un pouvoir qui n'est pas négligeable car elle préside le Sénat des Etats-Unis. En cas de débat et d’opposition entre des forces contradictoires au sein même du Sénat, c'est elle qui a la capacité de trancher. Mais lors des années précédentes, les missions qui avaient été confiées à Kamala Harris, comme par exemple une mission sur l'immigration, n’ont pas été couronnées de succès. Cela a démontré qu'elle n'était pas en mesure de remplir les fonctions de présidente. C'est la raison pour laquelle personne ne songe aujourd'hui à confier à Kamala Harris le rôle de Joe Biden.

Il n’est pas exclu que des fonctionnaires de l’administration américaine ou que des conseillers du président prennent des décisions à la place de Joe Biden mais cela reste difficile à prouver car dans le système américain, le président des Etats-Unis tient une place primordiale. Il est possible d’imaginer que, derrière lui, des forces, disons cachées (comme le complexe militaro-industriel) essayent de prendre sa place.

Mais le système est construit de telle manière, en fonction du rôle que la Constitution accorde au président des Etats-Unis, qu’il n'y a pas de remplacement possible et en tout cas pas de remplacement clandestin qui puisse permettre de mettre à l'écart le président et de le cantonner à un rôle purement de représentation. 

Comment pourrait se passer la campagne de Joe Biden jusqu'à l’élection en novembre ?

André Kaspi : Dans les sondages actuellement, Joe Biden est derrière Donald Trump. La bataille et la course à la Maison Blanche ne font que débuter. Nous ne sommes qu’au mois de février. Les élections présidentielles américaines auront lieu le 5 novembre. Il peut se passer tant d’événements dans les mois qui viennent. Les pronostics sont plutôt favorables à Donald Trump.

Le grand rival de Joe Biden a aussi eu à faire face à un certain nombre de problèmes judiciaires.

Pour l'instant, Joe Biden est en position de faiblesse par rapport à Donald Trump. Joe Biden a quand même du souci à se faire. Et à travers les soucis de Joe Biden, toute la communauté des démocrates aux Etats-Unis et la population du pays peut craindre les conséquences politiques de l'âge de Joe Biden.

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