Filières d’immigration : voilà pourquoi les entrées en France ne se font pas nécessairement là où on croit<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers montent la garde à l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle de Roissy, le 1er janvier 2023.
Des policiers montent la garde à l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle de Roissy, le 1er janvier 2023.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Entrées illégales

Une « vaste association criminelle » liée à l’immigration clandestine a été partiellement démantelée mardi 12 mars à Roissy. Alors que les investigations se poursuivent, 19 individus ont été interpellés et huit commerces liés à l’organisation criminelle ont été sujets à des perquisitions administratives, selon le JDD

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : Une filière d’immigration clandestine africaine utilisant de vrais passeports français pour de faux porteurs a été démantelée cette semaine à Roissy. Que sait-on de l’ampleur de ce type de filières ?

Jean-Paul Gourévitch : L’exemple que vous citez n’est pas isolé. En novembre 2020, une enquête sur un trafic de faux documents entre Marseille, Montpellier et les Yvelines avait permis de saisir plusieurs milliers de papiers d’identité dont les faussaires avaient changé les photos en fendant les cartes et qui, selon l’AFP, étaient revendus « entre 1000 et 3000 euros à des candidats à l’immigration ». En mars 2022, un ressortissant comorien était poursuivi par la justice pour le même motif qui concernait 81 passeports frauduleux. Le 17 janvier 2023, 14 Sri-Lankais ont été condamnés par le parquet de Beauvais pour leur implication dans un trafic de migrants irréguliers Le 9 mai 2023, sept personnes d’origine malienne étaient arrêtées pour avoir monté une filière dont auraient profité 250 de leurs compatriotes originaires du Mali, du Cameroun et de la Côte d’Ivoire qui auraient payé chacune autour de 7 000 euros…

On en sait aujourd’hui plus sur le mode opératoire de ces trafics.  Des Français issus de l’immigration ou des étrangers en situation régulière « prêtent » contre rémunération leurs documents d’identité qui sont « traités » en France ou réexpédiés en Afrique. La photo est simplement changée pour correspondre au nouveau « porteur ». 

Quelle est l’importance de cette fraude documentaire et son coût ?

Dans notre opuscule sur La Fraude dans tous ses éclats (éditions Etre humain 2021), nous avons préféré utiliser l’expression « fraude identitaire » car elle porte sur les objectifs et non sur les moyens.

L’usurpation d’identité permet au nouveau possesseur de commettre des délits rémunérateurs ou d’échapper à des sanctions pénales ou fiscales. Ainsi grâce à des faux papiers ou des visas détournés, monnayés par des filières professionnalisées et parfois avec la complicité de certaines associations,  le porteur  peut bénéficier de fausses cartes vitales pour accéder à des droits indus en matière médicale  (CMU, CSS, CNAM, AME…) ou sociale (CAF, RSA, URSSAF…), s’inscrire sous plusieurs identités fictives pour multiplier les prestations, obtenir de vraies cartes d’étudiant…Selon la Mission Interministérielle de Coordination Anti-Fraude (MICAF), 7% des documents d’identité présentés sont des faux dont la moitié ne peut être détectée.

Les estimations du coût annuel pour l’Etat de cette fraude sont contradictoires : 117 à 139 millions d’euros selon la CNAV en 2018, entre 290 millions et 1,7 milliard  pour la Commission des affaires sociales du Sénat, 14 milliards selon  Charles Prats (Cartel des fraudes Ring 2020), alors que, pour l’Inspection Générale de l’Administration, elle représentait déjà 20 milliards d’euros en 2010. Le rapport détaillé de Pascal Brindeau en 2020  pour l’Assemblée nationale sur la lutte contre les fraudes sociales souligne qu’en 2019, cette  seule fraude « constatée » comptait pour 1,98% dans les faits de délinquance sociale (74 000 sur 3,8 millions ) et  met en cause notamment la sécurité insuffisante de l’immatriculation à la Sécurité Sociale des personnes nées à l’étranger.
En fait la fraude identitaire est en quelque sorte la « mère » des toutes les fraudes. Nous avons pu établir qu’en ventilant ses coûts sur les autres fraudes et en ne conservant que les frais d’études et de structure - contrôleurs et agents chargés de la répression- elle atteindrait environ 1,2 milliard d’euros. 

Le débat public donne parfois l’impression que les arrivées clandestines en France se font principalement via la Méditerranée ou nos frontières terrestres avec l’Espagne ou l’Italie. Que sait-on des points d’entrée les plus importants en France : aéroports ou voies terrestres ? 

Selon nos études, la grande majorité des personnes en situation irrégulière en France, à l’exception de celles qui ont indûment prolongé leurs titres de séjour, y sont parvenues par voie terrestre, après avoir débarqué ou atterri dans un pays voisin ou avoir été convoyées en camion ou en train jusqu’à nos frontières.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés rappelle régulièrement que la majorité des arrivées clandestines en Europe se fait par les trois routes de la Méditerranée : la route centrale vers l’Italie à partir de la Libye et de la Tunisie, la route orientale vers la Grèce via la Turquie, la route de la Méditerranée Occidentale via le Maroc et l’Espagne.

Mais il faut y ajouter des routes secondaires : celle des Balkans Occidentaux  depuis l’Est de l’Europe vers la Grèce, la Croatie et la Slovénie, celle de la Mer Noire depuis la Turquie vers la Roumanie et la Bulgarie puis vers l’espace Schengen, la route de l’Arctique depuis la Russie via la Norvège. 

Comment expliquer que les aéroports français puissent être aussi poreux alors même que la technologie (biométrie notamment) permet désormais d’être beaucoup plus rigoureux sur l’identification des individus et que les failles dans nos dispositifs sont identifiées par Interpol notamment ?

Une arrivée directe par voie aérienne ou maritime expose de fait à un contrôle de plus en plus efficace en raison des techniques biométriques utilisées, du recours éventuel au Laboratoire de Police Scientifique et des bases de données aujourd’hui disponibles : STLD pour les vols ou  la perte de pièces d’identité valides ou forclos et de  documents vierges, FIELDS pour la détection de documents contrefaits ou falsifiés, Edison TD et DISCS pour les documents d’état-civil authentiques enregistrés.

Si on met à part les complicités ou le laxisme d’agents chargés du contrôle, on peut pointer plusieurs failles du dispositif : le manque de personnel  compétent ou disponible dans les aéroports de province ou à l’occasion de l’afflux massif  de voyageurs ,, et  la mauvaise coordination entre les différents pays de l’espace Schengen au niveau de leurs pratiques d’identification des individus malgré les efforts déployés par Interpol. Mais surtout le fait que les ressortissants des pays de l’Union Européenne et des états associés n’ayant pas besoin de visa pour entrer en France, une personne qui dispose d’une fausse identité obtenue dans l’un de ces pays peut franchir les frontières françaises sans grand problème.

Cette porosité reste toutefois limitée d’autant plus que l’Union Européenne parait aujourd’hui déterminée à lutter contre la fraude identitaire dont elle a perçu les conséquences néfastes en matière d’économie, de législation et de concorde sociale. 

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