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Donald Trump ou Hillary Clinton : de quel locataire de la Maison Blanche, la France et l’Europe ont-elles le plus à redouter ?
©Reuters

La peste ou le choléra ?

Tout semble indiquer que Hillary Clinton sera la candidate des Démocrates et Donald Trump celui des Républicains à l'élection présidentielle américaine. Le résultat de cette élection n'est pas sans enjeux pour la France et l'Europe, tant les programmes des deux candidats sont radicalement différents en matière de politique internationale.

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel est professeur à l'université de Stanford.

Il y enseigne les sciences politiques, à l'aulne des relations transatlantiques et des différences de systèmes politiques européens et français. Il collabore réguliérement au Wall Street Journal, Die Welt et CNN. Dans les années 90, il était conseiller politique dans plusieurs cabinets ministériels, à l'Industrie et auprès du Premier ministre.

 

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Yannick Mireur

Yannick Mireur

Yannick Mireur est l’auteur de deux essais sur la société et la politique américaines (Après Bush: Pourquoi l'Amérique ne changera pas, 2008, préface de Hubert Védrine, Le monde d’Obama, 2011). Il fut le fondateur et rédacteur en chef de Politique Américaine, revue française de référence sur les Etats-Unis, et intervient régulièrement dans les médias sur les questions américaines. Son dernier ouvrage, Hausser le ton !, porte sur le débat public français (2014).

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Entre l'interventionnisme affiché d'Hillary Clinton  et le programme économique guerrier de Donald Trump, la France et l'Europe risquent-ils de pâtir de l'accession au pouvoir de l'un ou l'autre de ces deux candidats ? Si oui, sur quels domaines les conséquences de l'élection de l'un ou l'autre pourraient être négatives ?

Roland Hureaux : La question de la paix en Europe est fondamentale. Elle dépend d'abord des relations de l'Europe occidentale avec la Russie. La politique américaine, spécialement celle d'Obama, a tendu à mettre en œuvre le programme défini par Zbignew Brezinski dès 1997 : enfoncer un coin entre l'Europe et la Russie, les empêcher de faire bloc pour que l'Amérique ne soit pas isolée. Inutile de dire que les Européens se sont jetés tête baissée dans le piège, en particulier en appliquant les sanctions à la Russie (alors que le commerce russo-américain est en expansion !). Les événements de la place Maidan qui furent, à l'évidence, un coup monté par Washington, comme l'a justement dit Valéry Giscard d'Estaing, ont entraîné une situation de guerre en Ukraine et une grande tension dans toute l'Europe de l'Est. Hillary Clinton ne propose rien d'autre que la continuation, voire l'aggravation de cette tension. C'est très dangereux.

Trump a prononcé il y a quelques jours un important discours de politique étrangère, démontrant qu'il maîtrise désormais le sujet. Il propose de tendre la main à Poutine pour essayer de trouver un terrain d'entente avec lui, sans lui faire naturellement de cadeau. On peut craindre que cette entente ne se fasse sur le dos des Européens, surtout si on prend en compte la forte personnalité de l'un et de l'autre qui contraste cruellement avec l'inconsistance de la plupart des dirigeants européens actuels. Mais qu'importe : l'enjeu de la guerre et de la paix est le plus important. A nous de nous défendre par ailleurs.

Trump veut faire contribuer davantage les Européens (et les Japonais) à leur défense. Je rappelle qu'on dit cela depuis trente ans sans résultat. Mais il offre une porte de sortie : si vous ne voulez pas payer (2% du PIB lui paraît un minimum, et il a raison), vous vous débrouillerez seuls. Je dirais : et pourquoi pas ? Il est clair en effet qu'il y a un lien direct entre la subordination des Européens au sein l'OTAN et leur refus de payer pour leur défense : ce lien est précisément ce que le général De Gaulle avait mis en avant en 1966 : un pays qui n'est pas indépendant ne veut plus payer pour une défense qui a cessé d'être la sienne, devenant inutile à ses alliés mêmes.

Je ne vois non plus rien de négatif quand Trump annonce la fin de la négociation du TAFTA qui n'est pas, selon lui, dans l'intérêt des Américains, mais qui n'est pas forcément non plus, à mon sens, dans celui des Européens. Pas davantage on ne saurait s'offusquer de son éloge de l' Etat-nation qui lui semble la seule réalité solide dans la sphère internationale : ça ne fait pas plaisir à Bruxelles, mais ce ne sont pas des idées très différentes de celles du général de Gaulle et en plus, c'est vrai.

Il met par ailleurs l'accent sur la lutte contre l'islamisme et la maîtrise de l'immigration. Là aussi, qui pourrait s'en plaindre en Europe ? Il dit que Hillary Clinton est, elle, partisane de l'accueil des réfugiés et, par là, dangereuse, ce qui est peut-être vrai mais peut être aussi tenu pour un propos électoral. Sur ces deux chapitres, il taxe de faiblesse Obama. Mais il ne va pas assez loin : non seulement la politique étrangère des Etats-Unis sous Obama - et même sous ses prédécesseurs - a été faible vis-à-vis de ce que les Américains appellent ISIS (en arabe Daesh), mais Trump ne dit pas qu'elle a même tendu à le promouvoir : les Etats-Unis ont fourni des armes à Daesh. Encore, ces derniers jours les Etats-Unis ont envoyé des armes sinon à Daesh, du moins à d'autres groupes islamistes de la même eau. Si Trump avait voulu faire une critique radicale de ses prédécesseurs, il aurait du dire qu'ISIS est une créature des Etats-Unis.

Pour parler brutalement, la politique américaine était jusqu'ici une alliance de fait avec l'islamisme contre la Russie (Afghanistan, Tchétchénie, Bosnie, Syrie) et tant pis pour les dommages collatéraux infligés aux Européens ; tandis que Trump propose quelque chose comme une alliance avec les Russes contre les islamistes.

Dès lors qu'il annonce une politique claire fondée non sur des idéaux prétendus universels (en réalité fondée sur idéologie), mais sur des intérêts partagés entre les Etats-Unis et leurs alliés, on ne peut que s'en réjouir... s'il tient parole. Les idéaux ne se prêtent à aucun compromis et conduisent à se mêler des affaires de la terre entière - et en définitive à mettre le feu partout. Les intérêts sont nécessairement circonscrits et se prêtent au compromis. Une politique des intérêts est finalement beaucoup plus morale qu'une politique des idéaux.

S'il y a quelque chose à redouter de la part de Trump, ce ne sont pas ses idées mais la force de sa personnalité qui laisse craindre que sur les sujets, notamment économiques, qu'il considérera être d'un intérêt vital pour les Etats-Unis, il ne doive pas être un interlocuteur facile.

J'ajouterais que la force de l'appareil washingtonien est telle qu'il n'est pas exclu que, malgré ses intentions affichées, il ne soit conduit à revenir à un impérialisme classique de type néoconservateur car il est possible qu'on ne lui laisse pas le choix. Ce sera là probablement l'orientation du Sénat.

Yannick Mireur : Hillary Clinton est ce que l'on appelle aux Etats-Unis une "Cold War Liberal", expression qui désigne les démocrates qui se sont montrés résolus contre l'ennemi communiste et n'ont pas hésité à recourir à la force pour contrer l'avancée soviétique et communiste. Rappelons que les conflits de la Guerre froide ont été déclenchés par des démocrates, Truman en Corée, JFK et LBJ au Vietnam, JKF à Cuba avec la Baie des cochons en 1961- et interrompues par des républicains, Eisenhower et Nixon. La militarisation de la position américaine au Moyen-Orient a été enclenchée par Carter suite à la révolution iranienne et ne s'est pas démentie ensuite. Reagan, ancien démocrate, a adopté une posture de confrontation avec l'URSS, mais pour rechercher la paix in fine, et a le premier souhaité la dénucléarisation (accords SALT d'abord initiés par Nixon en 1972). Ce thème a été repris d'ailleurs par Obama qui est un démocrate d'un autre type, pourrait-on-dire. Clinton, elle, est assez classique, elle hérite de cet esprit de Guerre froide dont l'aspect positif est une certaine fermeté américaine. Mais contrairement à Obama elle manque d'une vision originale des affaires internationales. On peut douter qu'elle eût jamais prononcé le discours du Caire de 2009, et qu'elle ne présentera jamais une vision comparable si elle devait succéder à son ancien concurrent.

En revanche, Clinton est peut-être plus consciente et plus militante dans le rôle de l'Alliance atlantique, chose abstraite pour Trump qui, bien que New Yorkais, incarne bien la vaste Amérique ignorante du monde. La provinciale Clinton, qui a fait ses classes dans les grandes universités de la côte Est et fut depuis toujours disposée à la chose publique, a appris ce que signifiait la dimension internationale de la puissance américaine. Sans doute l’Europe trouverait-elle en elle une alliée plus familière qu’un Trump, enclin au repli. Mais Trump peut réserver des surprises, il est une page blanche. On peut douter cependant que les responsables européens actuels, qui ont si peu de relief, lui inspirent beaucoup de considération. Quels que soient les reproches que l’on peut lui faire, y compris comme homme d’affaires, Trump est un Américain pur jus et voit les choses comme tel, avec la démesure de Las Vegas ou de New York ; il aurait face à lui des politiciens européens sans envergure, qui ignorent le risque et cultivent la prudence. Une grande incompréhension est à attendre, mais les grands intérêts stratégiques n’en souffriraient pas nécessairement car les appareils d’Etat, diplomatie en tête, sont là pour veiller à ce que les têtes d’affiche ne soient pas "lost in translation"…

Patrick Chamorel :Bien qu’Hillary Clinton soit donnée favorite dans l’hypothèse de plus en plus probable d’une confrontation avec Donald Trump, la perspective d’un président Trump suscite les plus grandes inquiétudes en Europe.  

Pour les Européens, Hillary Clinton est une personnalité familière et expérimentée qui incarne la continuité, même si ses positions sont plus musclées et interventionnistes que celles de Barack Obama. Un grand “ouf’ de soulagement accueillerait sa victoire face à Trump --ou Cruz et même Kasich-- dans les capitales européennes. Trump est moins connu et imprévisible, sans expérience en politique étrangère. Pour beaucoup d’Européens, il s’inscrit dans la lignée de Reagan (au début) et de George W. Bush (surtout après le 11 septembre). Comme eux, Trump se préoccupe des intérêts de “l’Amérique d’abord” dans un monde perçu comme largement hostile, et souhaite rompre avec les conceptions de politique étrangère qui dominent au sein de l’establishment washingtonien.

Il est cependant peu probable que la politique étrangère d’un futur président Trump reflète ses discours de campagne. Plus encore chez Trump que chez les autres leaders politiques, ces discours ne sont pas destinés à être traduits en politiques sonnantes et trébuchantes (ne serait-ce parce qu’ils sont imprécis), mais à séduire les électeurs en leur faisant écouter la musique qu’ils veulent entendre : par exemple, que l’OTAN coûte trop cher et que si ces ingrats d’Européens ne contribuent pas davantage à leur propre défense, les Etats-Unis les abandonnerait à leur propre sort. Or qui, à Washington ou ailleurs, voudra être associé à la politique d’un président visant à affaiblir l’OTAN, principal vecteur d’influence des Etats-Unis en Europe et au-delà ? En tout état de cause, les principaux pays européens vont devoir accroitre leur effort militaire, non pas pour faire plaisir aux Etats-Unis, ou même à l’OTAN, mais simplement parce que les menaces s’accumulent.

Une fois investi par le Parti Républicain, et plus encore s’il accédait à la Maison-Blanche, Trump va devoir s’assagir et se présidentialiser. Le temps viendra pour les experts (qui ne se précipitent pas vers lui en masse), le Congrès et les évènements eux-mêmes de redresser la barre dans une direction plus réaliste et conventionnelle. Fondamentalement, Trump est un réaliste (mais aussi un joueur, il est vrai), pas un idéologue.

Si les propos de Trump dans son discours de mercredi dernier sur la politique étrangère, selon lesquels “La guerre et l’agression ne seront pas mon premier instinct…contrairement à d’autres candidats (Hillary Clinton ?)” pouvait conjurer le spectre d’une nouvelle aventure irakienne, l’Europe ne pourrait qu’applaudir. Réalisme, ou isolationnisme attendu par ses électeurs ? Les Européens apprécient sans aucun doute que Trump, contrairement à une majorité de Républicains, s’oppose à une renégociation de l’accord nucléaire avec l’Iran, ou veuille éradiquer l’Etat Islamique. Mais ils décèlent deux penchants inquiétants chez Trump : d’abord son penchant isolationniste, anti-multilatéralisme et non interventionniste qui, s’il se concrétisait, irait évidemment à l’encontre des intérêts européens et notamment français. Ensuite, le fait que Trump veuille faire de l’imprévisibilité une vertu en politique étrangère (et pas seulement dans les négociations et a la veille des batailles), ce que les Européens férus de stabilité détestent par-dessus tout !

Trump devrait comprendre assez vite la nécessité, pour l’Europe mais aussi les Etats-Unis, d’une Amérique fortement engagée au Moyen-Orient et en Afrique. La France, la Grande-Bretagne et quelques autres comme les Italiens, les Espagnols et les Polonais, savent parfaitement la difficulté qu’ils auraient à intervenir militairement sans l’appui, et le plus souvent le leadership, américains. Le risque d’un retrait américain, même partiel, accentuerait la vulnérabilité croissante de l’Europe au moment même ou les menaces s’aggravent. Les Européens pourraient se rassurer à l’idée que Trump veuille intensifier la lutte contre l’Etat Islamique, mais tout dépend de la façon dont il s’y prendrait et qui, s’il continue à s’aliéner les musulmans, pourrait s’avérer contre-productive. Et Daech est loin d’épuiser le creuset de l’islam radical…Les intérêts européens et français en particulier seraient sans doute mieux servis par Hillary Clinton, notamment en Syrie et en Libye, où elle a toujours été tentée d’intervenir. Elle comprend mieux les enjeux que Trump et est encline à travailler dans un cadre multilatéral avec des alliés européens qu’elle respecte. Quant aux pays d’Europe centrale, déjà inquiets du sort que Trump pourrait réserver à l’OTAN, ils craignent en outre le rapprochement souhaité de Trump avec Poutine. Hillary Clinton devrait mieux défendre leurs intérêts.

Sur le plan économique, l’Europe peut légitimement craindre les tendances protectionnistes de Trump…et Clinton. Les Allemands et les Britanniques se verront frustrés de l’enterrement (provisoire ?) des négociations en vue d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Mais la France, sous Hollande et un successeur possible dès 2017, sera soulagée de ne pas avoir à affronter une colère accrue des agriculteurs et autres professions et secteurs qui seraient négativement affectés par un tel traité.  

Qu'est-ce qui différencie fondamentalement les programmes de M. Trump et Mme Clinton dans leur vision des relations entre les Etats-Unis et l'Europe ?

Yannick Mireur :L'Europe n'est pas un enjeu majeur des relations extérieures des Etats-Unis, à tort sans doute. Mais Clinton connaît les rouages, elle bénéficierait d’un a priori favorable des élites européennes et pourrait réévaluer l’alliance avec l’Europe pour faire face aux défis qui se posent au leadership américain. Ce serait en théorie un meilleur choix pour l’Europe.

Un désengagement initié par un président Trump, qui ne remettra pas l’Alliance atlantique en question mais pousserait sûrement les Européens à augmenter leurs efforts budgétaires, pourrait avoir un effet bénéfique inattendu, celui d’amener les Européens à se prendre davantage en mains et se doter de capacités de sécurité et de défense plus importants – ce qui ne veut pas dire progresser vers l’Europe de la défense, qui est un schéma français sans plus de chances de se matérialiser dans un avenir proche qu’il ne s’est accompli depuis les années 1950. Ceci étant, in fine les questions budgétaires sont d‘abord un enjeu interne à l’Europe. La France est un cas à part ; napoléonienne et gaullienne, elle reste l’allié peut-être le plus fiable des Etats-Unis, comme la position du président Hollande sur la Syrie l’a montré. Mais pour trouver des moyens de défense nouveaux, elle doit adopter des réformes socio-économiques que ses dirigeants politiques n’ont pas le cœur à engager. Les autres Européens, qui se portent mieux économiquement, n’ont pas d’ambition internationale évidente et se contentent de l’héritage de l’Alliance atlantique. Ni Trump ni Clinton ne changera ces réalités.

Quant au traité de commerce transatlantique TAFTA, affaire largement politico-bureaucratique que l’on dissimule aux opinions publiques d’humeur anti-libre-échangiste, il ne serait pas embrassé avec ferveur par un président Trump. C’est là d’ailleurs le cœur du phénomène Donald Trump ;l’outsider sait saisir et exprimer avec une confondante franchise des sentiments largement partagés par l’opinion américaine quant aux affaires mondiales. Et la première cible de cette vision est le libre-échange. Cette méfiance populaire sur laquelle il bâtit son capital politique serait dommageable aux relations euro-américaines, car le sens de l’évolution mondiale exigerait une meilleure compréhension entre l’Europe et l’Amérique, or un Trump ajouterait au détachement, émotionnel d’abord, rationnel ensuite. A tout prendre donc, et par défaut, mieux vaudrait Hillary.

Patrick Chamorel : La connaissance qu’ont Donald Trump et Hillary Clinton de l’Europe est fortement contrastée. Hillary connaît bien le Vieux Continent, ses contraintes de politique intérieure et sa politique étrangère, ce qui n’est pas le cas de Trump (à l’exception de ses investissements dans des golfs en Ecosse !). Comme la plupart des candidats républicains, il est enclin, en public, à brosser le portrait d’une Europe qui serait un contre-modèle pour les Etats-Unis : trop étatiste et règlementée, trop collectiviste et redistributrice, pas assez travailleuse et preneuse de risques. Au contraire, pour Hillary (moins il est vrai depuis que Bernie Sanders a repris ce thème a son avantage), la social-démocratie scandinave sert d’inspiration politique : système de santé de qualité à la portée de tous, droits des femmes, réduction des inégalités. Trump croit au système américain de la libre entreprise, celui-là même qui lui a permis de devenir milliardaire. Ses positions relatives à la tolérance culturelle et à la religion sont cependant minoritaires au sein du Parti Républicain (sans doute parce que sa vie privée est trop bien connue et qu’il est New Yorkais) sont davantage en phase avec celles de l’Europe…et d'Hillary. Jusqu’à présent, cela ne l’a pas empêché de remporter les primaires dans des Etats fortement religieux, dans le Sud par exemple.

Hillary Clinton s’était proclamée la première Secrétaire d’Etat dont la priorité était le Pacifique (obsession de Barack Obama) plutôt que l’Atlantique. Mais, pour Hillary, cela ne devait pas être au détriment de l’Europe. Simplement, le monde bascule vers l’Asie, de même que les grands défis stratégiques pour les Etats-Unis. En fait, Hillary est plus culturellement attachée au socle de l’Alliance Atlantique qu’Obama. Trump est lui aussi attaché aux valeurs occidentales (et à la défense des Chrétiens d’Orient par exemple), mais ne perçoit pas (encore ?) tous les atouts stratégiques de l’Alliance Atlantique. Il est enclin à “diviser pour régner”, comme pour remporter un “deal”, ce qui pourrait faire courir des risques à une Europe déjà désunie. Les opérations extérieures (Afrique, Moyen-Orient) associant les Etats-Unis à leurs alliés européens, pourraient s’en trouver compliquées. Sa priorité semble être de s’entendre avec un autre homme fort, Vladimir Poutine, au détriment si nécessaire des Européens, notamment ceux de l’Est. Il pourrait aussi traiter avec les Chinois en passant par-dessus le dos des Européens, la grande hantise de ces derniers. L’Europe, principale alliée et partenaire des Etats-Unis, et plus généralement les relations transatlantiques, ne pourraient que souffrir d’une administration américaine tentée par le protectionnisme, l’isolationnisme et l’unilatéralisme.  

Une fois présidente, Hillary pourrait revenir sur son opposition tactique au TTIP (traité de libre-échange avec l’Europe), surtout si elle obtient un second mandat. En revanche, cette opposition est au cœur du programme et de la philosophie protectionnistes de Trump. Tout dépendra aussi, pour le prochain président, quel qu’il soit, de l’équilibre idéologique et partisan au Congrès où le Parti Républicain est plus favorable au libre-échange que le Parti Démocrate.

Roland Hureaux : Tous les candidats pensent que les Etats-Unis doivent rester au premier rang et, n'en déplaise à la réputation d'isolationnisme qu'on lui fait, Trump n'envisage nullement de se détourner des affaires du monde. Simplement, il interviendra avec beaucoup plus de prudence et c'est très bien comme cela.

Ceci dit, les différences entre Trump et Clinton sont nombreuses, non seulement vis-à-vis de l'Europe mais aussi du reste du monde :

- Trump veut trouver un modus vivendi avec la Russie, alors que Hillary Clinton n'en parle pas et veut sans doute continuer la politique d'isolement voire d'agressivité à l'égard de la Russie.

- Trump connaît d'abord les Etats nationaux ; Clinton, par sa culture, privilégie le multilatéral, au moins pour les autres pays que les Etats-Unis : Union européenne et OTAN.

- Trump voudra que les Européens contribuent davantage à leur défense : leur laissera-t-il pour autant plus d'autonomie ? Il semble laisser l'option du retrait de l' OTAN ouverte alors que jusqu'ici, les Américains diabolisaient tous ceux qui, en Europe, voulaient sortir ; mais il n'est pas sûr qu'il tiendra cette ligne.

- Hillary Clinton maintient que la politique des Etats-Unis doit été conditionnée par la propagation d'idéaux universels, auxquels les Européens doivent être naturellement associés sans qu'on leur laisse le choix. Trump parle d'intérêts partagés, laissant entendre que tous les intérêts ne sont pas communs, ce qui est après tout assez sain.

- Le protectionnisme de Trump gênera plus l'Allemagne qui exporte plus aux Etats-Unis que la France. Clinton est favorable au Traité transatlantique dont Berlin a plus à attendre, semble-t-il, que Paris.

- Sur un sujet qui nous éloigne de l'Europe mais la concerne au premier chef par ses effets (terrorisme, migrations), Trump critique de manière impitoyable la politique américaine au Proche-Orient de ces dernières années, non seulement celle des Démocrates mais aussi celle des Républicains, qui a conduit à de nombreuses interventions armées ou actions de déstabilisation pour y répandre la démocratie (la position de néoconservateurs). Il dit ce que la majorité des Européens pense : que ces interventions n'ont abouti qu'à des dépenses inutiles et à des destructions considérables. Au contraire, Clinton a été plus que quiconque associée à cette politique, même au temps de Bush dont elle a approuvé les entreprises militaires (Irak, Afghanistan).

- Trump est contre l'immigration incontrôlée aux Etats-Unis et, s'il est logique, en Europe aussi alors que Hillary Clinton est favorable à l'accueil des immigrés par les Européens. On peut même dire que le Gouvernement Obama a poussé de toutes ses forces pour faire entrer des réfugiés en Europe, dans le cadre de promotion délibérée du multiculturalisme et peut-être pour affaiblir le Vieux continent.

Hillary Clinton n'a pas hésité à souvent tenir des propos durs à l'égard de la Russie et de son président Vladimir Poutine. Elle défend également une diplomatie particulièrement offensive à leur égard. De son côté, Donald Trump est plutôt sur une ligne d'apaisement des relations américano-russes. Laquelle de ces deux politiques aurait un effet le plus positif sur les intérêts français et européens ?

Yannick Mireur : Hillary Clinton est comptable du recadrage ou "reset" des relations américano-russes qui a inauguré le mandat d'Obama. Ce redémarrage a échoué et les responsabilités ne peuvent être portées exclusivement sur la Russie. Plane sur les relations entre les deux ex-superpuissances de la Guerre froide un climat de défiance qu'aucun des deux n'a réussi à dissiper, les réflexes et les intérêts institutionnels de décennies de Guerre froide ne pouvant disparaître aussi facilement, en particulier avec un pays, la Russie, où l'esprit démocratique consubstantiel à l’ADN américain demeure étranger à la culture et à la trajectoire politiques du pays. Qu'on le veuille ou non, le président russe est le produit d'un appareil de sécurité soviétique, tout comme certains responsables américains sont le produit du leur - le fameux complexe militaro-industriel contre lequel Eisenhower a prévenu les Américains à son départ, car il menaçait de s’installer comme un Etat dans l'Etat. Fille d'un sous-officier de marine, anti-communiste convaincu, et femme politique expérimentée qui fut toujours intéressée par la chose militaire, proche de nombreux haut-gradés, Hillary Clinton s'identifie assez facilement avec l'élite américaine telle qu'elle a défini la politique extérieure des Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle est à la fois l'héritière de Truman, de JFK et de Reagan, voire de Bush Jr. dont elle a approuvé l'invasion de l'Irak - qu'Obama condamnait. Et puis il y a les épidermes. Il est certain que les relations personnelles Poutine-Clinton ne seront pas meilleures que celles entre le président russe et F. Hollande. Si rien ne présage d'un meilleur cours des choses sous une administration Trump, les personnalités pourraient s’accommoder. Trump n’aurait peut-être pas les mêmes réticences devant le nationalisme russe cultivé par Poutine, ou n’y verrait pas nécessairement l’incompatibilité que beaucoup de dirigeants américains y voient avec les intérêts des Etats-Unis. Cette disposition d’esprit, ou plutôt cette absence de schéma préétabli, pourrait ouvrir un nouveau chapitre.

Pour l’Europe et la France, dans les deux cas le scénario est assez neutre. C’est à l’Europe de définir sa position vis-à-vis de la Russie, or elle n’y parvient pas.

Pour résumer, un regain isolationniste américain incarné par Trump pourrait l’amener à se ressaisir, mais la crise migratoire a montré que même un enjeu intérieur aussi intense ne permettait pas de surmonter ni ses divisions, ni l’incapacité de ses dirigeants à présenter une vision convaincante de son propre avenir. Il ne faut pas compter sur le cow-boy Trump pour amener l’Europe à rompre avec l’auto-défaite européenne.

Patrick Chamorel :Donald Trump parie sur ses qualités de négociateur (et sa fascination pour Poutine et les hommes forts) pour sceller un nouveau “deal” avec la Russie et la Chine. En cela, il fait craindre à l’establishment washingtonien une remise en cause de la ligne dure suivie par Obama depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, ou celle plus dure encore de la majorité Républicaine au Congrès. Les Européens de l’Ouest, les milieux d’affaires en particulier, ont souvent ressenti les sanctions économiques comme excessives, voire contre-productives, au contraire des Européens de l’Est qui en demandent toujours plus. Il semble que Trump aurait plus à perdre qu’à gagner, dans ses relations avec les Européens, s’il ne les associait pas étroitement à la définition d’une nouvelle relation avec Poutine. Il risquerait aussi d’approfondir les divisions entre Européens et de s’aliéner une Europe de l’Est en principe pro-américaine. L’Europe centrale est plus encline à faire confiance à Hillary Clinton qui n’admire pas Poutine autant que Trump, et a toujours fait preuve de fermeté a son égard. Le risque pour les Européens de l’Ouest, dont la France et l’Allemagne, serait qu’elle veuille faire du zèle par souci de trouver des alliés dans la majorité républicaine du Congrès.

Roland Hureaux : Evidemment, la seconde ligne est meilleure pour nous. L'Europe n'a rien gagner à un affrontement avec la Russie et, au contraire, des perspectives de coopération considérables en cas d'apaisement.

De manière très cynique, les idéologues d'outre-Atlantique qui prônent une politique agressive vis-à-vis de la Russie disent que leur but est d'isoler la Russie mais aussi d'affaiblir l'Europe occidentale. Pour ce qui est d'isoler la Russie, ce n'est pas franchement une réussite : elle s'est rapprochée de la Chine et de l'Inde, mais aussi de l'Iran, du Brésil, comme jamais auparavant.

Il peut venir un jour où la Russie sera si forte qu'elle portera ombrage à l'Europe occidentale, mais nous en sommes loin. Pour le moment, c'est l'empire américain qui pèse de manière très lourde sur les pays de l'Europe occidentale jusqu'à leur donner le sentiment qu'ils ne sont plus indépendants.

Dans des décisions capitales comme le fait de forcer la Grèce à rester dans l'euro ou encore d'accueillir un million de réfugiés ou assimilés, Obama a pesé très lourd, de manière discrète mais effective, notamment en s'appuyant sur Merkel dont on peut se demander si elle est autre chose qu'un relais passif de la volonté américaine.

Si l'Europe, dans la perspective d'une élection de Trump, a le loisir de s'ouvrir à la Russie, il est clair que cet étau sera desserré. Ce serait une vision très étroite des intérêts des Etats-Unis que de penser qu'ils n'ont pas intérêt à la détente. Trump semble revenir à une vision plus traditionnelle des intérêts américains (celle qui a inspiré par exemple le plan Marshall), à l'idée que la promotion des intérêts américains ne passe pas nécessairement par l'affaiblissement de leurs alliés ou partenaires. Cette idée folle qu'il fallait, pour rester fort, affaiblir même ses alliés de toujours, Royaume-Uni compris, inspirée par les idéologues néo- cons, a prévalu au cours de ces dernières années, aussi bien avec les Démocrates qu'avec les Républicains et elle est aujourd'hui profondément ancrée dans le milieu washingtonien. C'est pourquoi les prises de position de Trump y font grincer les dents. Mais ce sont pourtant les plus raisonnables.

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