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Dissuasion nucléaire: pour les vingt prochaines années, le monde restera surarmé
Dissuasion nucléaire: pour les vingt prochaines années, le monde restera surarmé
©Reuters

Bonnes feuilles

Le livre "La dissuasion nucléaire" d'Edouard Valensi (L'Harmattant) divulgue les secrets de la force de frappe française : l'aventure technologique qui a donné à la France des forces stratégiques au premier rang mondial; le combat mené par l'Europe pour interdire à la France de se doter d'armes nucléaires ou encore le jeu ambigu des Etats-Unis. (2/2)

Edouard Valensi

Edouard Valensi

Edouard Valensi est l'auteur de "La dissuasion nucléaire, les terrifiants outils de la paix" aux éditions de l'Harmattan

Il est resté pendant dix ans à la tête de la cellule qui a programmé la force de dissuasion française au sein de la Délégation générale pour l'armement.

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La dissuasion, dans le futur, que sera-t-elle ? Tout peut être proposé. Aussi, pour ne pas se laisser emporter par les facilités de la divination, on veillera à rester au plus près des faits et à strictement cadrer la réflexion dans le temps. Le futur est un terme trop imprécis pour être une échéance de programmation. Si bien que l’on retiendra deux horizons pour discerner les formes que pourrait prendre le risque, donc les réponses à lui opposer : le moyen terme, stratégique : d’ici à vingt ans et le long terme : trente ans et plus. Mais d’abord, pour s’élancer à partir de bases solides, l’état des lieux

Le désarmement nucléaire n’est pas en vue

N’en déplaise aux États non nucléaires, pressés de voir réduire puis éliminer les armes atomiques et qui, année après année, multiplient à l’ONU les résolutions, il ne peut s’agir là que de vœux sans conséquence. En effet, les lois internationales prévalent :

  • la Charte des Nations Unies n’interdit pas le recours à la menace ou à l’emploi des armes nucléaires. Et toujours selon la Charte,
  • en matière de défense, seul le Conseil de sécurité a autorité pour interdire.

Pour mettre les armes nucléaires hors la loi internationale, l’accord des cinq principaux Etats nucléaires qui sont membres permanents du Conseil est donc requis. Il n’est pas attendu avant longtemps. 

Pour les vingt ans à venir le monde reste nucléaire

Le monde restera surarmé. Les chiffres imposent leur réalité. Depuis vingt ans, le nombre total d’armes n’a guère varié. On évoque, on espère le désarmement, mais les actes ne suivent pas ou restent insignifiants. Les chiffres affligeants du SIPRI sont du 1er juin 2012 :

Figure 102 : Les arsenaux nucléaires au 1er janvier 2011 (source : SIPRI)

Ces armes sont là dans la durée. « La Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis sont soit en train de déployer de nouveaux vecteurs d'armes nucléaires soit ont annoncé des programmes dans ce sens, et semblent déterminés à conserver leurs arsenaux nucléaires indéfiniment. Pendant ce temps, l'Inde et le Pakistan continuent de développer de nouveaux systèmes capables de livrer des armes nucléaires.424

Dans des relations du Faible au Fort, le Pakistan reste toujours menacé par l’Inde, qui, à son tour, subit la pression des armes chinoises, mais en amont, la Chine se voit ouvertement menacée par les États-Unis. Les forces nucléaires du Royaume-Uni, de la France ne progressent plus en nombre, mais les dispositions nécessaires ont été prises pour qu’elles demeurent opérationnelles longtemps. Les Etats-Unis et la Russie, toujours face à face font le marché : la Russie détient 53 % des têtes nucléaires dans le monde, suivie par les États-Unis avec 44 %.

Force est de constater que les États-Unis et la Russie entendent conserver des moyens stratégiques formidables. Le « New Start Treaty », signé le 8 avril 2010 par les Présidents américain et russe, leur permet de conserver déployés 700 vecteurs, ICMB, SLBM et bombardiers lourds. Attachés à ces vecteurs, environ quatre mille têtes nucléaires sont toujours là, opérationnelles.

Figure 103 : Le cimetière des B-52à Tucson Arizona

Mais pour quoi faire ? La dissuasion est un langage. Interrogeons-nous : quels types de messages 700 vecteurs permettent-ils de faire passer ? On est bien au-delà d’un avertissement, voire d’un engagement limité qui découragera un agresseur. Sept cents vecteurs déployés permettent de concevoir des plans d’emplois qui vont jusqu’à la destruction de pans entiers d’un grand pays, de son industrie pétrolière pour le réduire à la famine, par exemple. 

Donner toute leur signification aux armes nucléaires de la France

Aucune perspective de désarmement ne se dessine. Ainsi, la France n’a pas le choix. Il lui faut conserver des forces nucléaires crédibles. Son organisation de défense le demande car c’est autour de l’atome que s’organisent ses armées. C’est ce que constate le Sénat : «L’existence de la force de dissuasion structure la quasi-totalité de l’outil de défense français. L’existence de la dissuasion nucléaire a permis de rehausser le niveau capacitaire et de renforcer la cohérence de notre outil de défense. … Le fait est qu’aujourd’hui, sans les forces mettant en œuvre la dissuasion nucléaire, nos armées ne seraient vraisemblablement pas capables de repousser ou de dissuader une agression majeure d’origine étatique. »425

Cette force est dimensionnée selon un principe de stricte suffisance. Par des initiatives unilatérales, ne subsiste qu’un noyau nucléaire. Les sites d’essais ont été démantelés tout comme les usines de production de matières fissiles militaires. La France déclare en toute transparence le nombre de ses têtes nucléaires.

Doit- elle poursuivre, désarmer, puisque aucun risque majeur n’est à redouter dans le moment, tout en conservant la possibilité de réarmer en cas de malheur ? L’initiative serait exemplaire. Malheureusement ce va-et-vient est impossible. Comme il a été montré tout au long de ces pages, les forces stratégiques françaises résultent d’une prodigieuse conjonction de talents et, sur des dizaines d’années, d’une succession continue d’investissements. S’il fallait repartir de rien, des dizaines d’années seraient à nouveau nécessaires pour reconstituer cette force.

Aussi on ne peut pas aller plus loin. Et, puisque la France a pris de l’avance dans une logique globale de réduction de la chaîne nucléaire, et qu’elle n’a pas été imitée, il n’y a pas lieu de prendre en compte ses têtes restantes, dans un éventuel processus de négociation multilatérale de désarmement nucléaire avant qu’elle n’ait été rejointe.426

424 SIPRI, Communiqué de presse, http://www.sipri.org/media/pressreleases/press-release-translations-2012/ybprlaunch12fre

425Avenir des forces nucléaires françaises, http://www.senat.fr/rap/r11-668/r11-6681.pdf ,Base\Avenir_des_forces_nucléaires_françaises.pdf

426 La dissuasion nucléaire française et le nouvel environnement stratégique http://www.senat.fr/rap/a10-112-5/a10-112-57.html#toc88 Base\La_dissuasion_nucléaire_française_et_le_nouvel_environnement.pdf

Extraits de "La dissuasion nucléaire", d'Edouard Valensi, publié aux éditions L'Harmattant. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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