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Défense nationale : la rigueur menacera-t-elle notre sécurité ?
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Vulnérable ?

Le récent point d’étape de la Cour des comptes sur la loi de programmation militaire est une nouvelle occasion pour pointer du doigt le budget consacré à la Défense. Beaucoup a déjà été fait pour le rationaliser et le réduire, mais il devra connaître des coupes supplémentaires, que cela soit comme variable d’ajustement ou au titre de la rigueur. Leur ampleur reste à déterminer.

Florent de Saint Victor

Florent de Saint Victor

Florent de Saint-Victor est consultant indépendant, spécialisé sur les questions de Défense. Auteur du blog d'analyse spécialisé Mars Attaque, il fait partie du collectif de blogueur Alliance Géostratégique.

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Les autorités militaires le rappellent inlassablement : après avoir attaqué la graisse, c’est aux muscles et aux os de l’appareil de défense que nous nous apprêtons à toucher. Gardons nous de réduire ces mises en garde à de simples pensées conservatrices de parties prenantes de cet outil de défense. Ces futures réductions conduiront indubitablement à des pertes de capacités, et non uniquement à des pertes d’échelles. Il ne sera plus alors possible de faire comme avant, c’est à dire autant avec moins, car cela était fait autrement. Différentes missions ne devraient plus être du domaine du possible. C’est déjà en partie le cas aujourd’hui avec certaines briques, comme l’incapacité française de réduire au silence des défenses anti-aériennes. Cela rend d’ailleurs caduque l’aptitude française affichée à entrer en premier, sans aide extérieure, sur un théâtre d’opérations. Il sera donc nécessaire de choisir. Des proches voisins ont connu des situations similaires. C’est le cas du Royaume-Uni qui, sans beaucoup de concertation avec d’autres États, a fait le choix de ne plus entretenir certaines capacités (en particulier pour des missions de service public ou pour les patrouilles de surveillance maritime).

Or, les forces armées sont un réel système où toute perturbation d’une variable conduit à des modifications liées les unes ou autres, avec des changements plus ou moins maîtrisés et prévisibles (« l’effet papillon »). Réduire les budgets consacrés aux équipements actuels ou futurs hypothèque ainsi les heures d’entraînement disponibles sur ces matériels, donc leur meilleure maîtrise. Cela affecte les compétences humaines, les structures les utilisant, rend incertain leurs doctrines d’emploi, sclérose l’innovation. En somme, tous les capitaux qui, mis bout à bout, forment un tout cohérent. Aussi, il ne faudrait pas oublier que les hommes et les femmes de la Défense, civils ou militaires, composent bien un corps social vivant. Il est donc nécessaire de faire attention aux discours les pointant du doigt, tout en étant honnête pour ne pas miser uniquement sur leurs capacités d’adaptation. Bien que des marges de progression existent encore que cela soit dans la manière de procéder, les structures, etc. Les récentes réformes, en éclatant les cadres traditionnels, ont déjà grandement entamé le capital immatériel « confiance et moral ».

Ainsi, après avoir été une armée de petite série pour différents matériels, le risque est de devenir une armée spécialisée avec, en conséquence, une perte d’autonomie stratégique. Cela sans réel palliatif. En effet, dans toute coalition (UE, Otan, bilatéral, etc.), la capacité de décider est de facto proportionnelle à ce que chaque actionnaire apporte au pot commun. De même, le palliatif de la remontée en puissance est plus qu’hypothétique. Le réapprentissage de compétences est un processus à la fois coûteux et long : l’environnement international nous autorise-t-il à miser sur de tels délais ? Nous allons aussi sans douter payer une professionnalisation inachevée, car menée, depuis le début, sans lui adjoindre vraiment le réservoir de compétences que sont les réservistes. Enfin, l’externalisation via les partenariats public-privé, bien qu’attirante et une voie à explorer, n’est pas exempte de reproches.

Sans volonté politique (et donc prise de conscience de nos intérêts en tant que puissance), il semble peu envisageable de ne pas assister à une baisse de notre ambition affichée et réelle. Il est donc nécessaire d’être prêt à en assumer les conséquences : déclassement stratégique, perte de notre clientèle via nos accords de partenariat, perte de notre liberté de manœuvre sur l’ensemble du spectre des opérations, possibles pénalités suite à des engagements contractuels passés mais non tenus, conséquences sur notre industrie de défense couvrant encore l’ensemble des filières stratégiques, etc. Parmi d’autres, le récent drame en Guyane nous le rappelle, la France est un archipel international et non un simple hexagone, en plus de ne pas être un sanctuaire à l’abri de toutes menaces. Sauf si nous nous cantonnons à l’hypothétique retour à des situations similaires aux deux guerres mondiales. La France a des intérêts dans les outre-mer, tout comme elle en a au moins autant à l’étranger, en particulier via ses ressortissants.

En trop montrant l’utilité de la Défense comme une réponse à des menaces (cf. le précédent Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale), nous avons sans doute sous-estimé les opportunités permises par cet outil. D’autant plus que les menaces devenaient de moins en moins tangibles et donc moins admissibles, bien que réelles, aux yeux des opinions et des décideurs. À trop subir la conjoncture actuelle, nous en serions presque arrivés à oublier qu’il était possible de la façonner ou de l’influencer, et d’en faire bénéficier une infinité d’acteurs. L’utilité d’une organisation (qui ne se décrète pas mais qui se construit et s’explique) étant central pour la prise de risque initial d’investissement, il est encore et toujours temps de l’expliquer et de faire comprendre le possible retour sur investissement. Et cela, malgré le fait que c’est rarement suite à un choix politique fondé sur des considérations autres qu’économiques que de telles décisions budgétaires sont prises. Gageons que cette fois ci cela soit le cas. Le ministre de la Défense l’a encore promis récemment.

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