Chocolapocalypse en vue : les pénuries de cacao se profilent<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pour la première fois depuis 46 ans, le prix du cacao dépasse son niveau le plus élevé.
Pour la première fois depuis 46 ans, le prix du cacao dépasse son niveau le plus élevé.
©Helene Valenzuela / AFP

Plusieurs causes

Et elles relèvent largement d’un mal auto-infligé.

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

Voir la bio »

Atlantico :  Pour la première fois depuis 46 ans, le prix du cacao dépasse son niveau le plus élevé. De façon constante, la production est inférieure à la demande. Comment est-on arrivé à cette situation ?

Jean-Marc Boussard : En vérité, c’est assez simple : la demande a augmenté comme elle le fait depuis près d’un siècle (elle a quintuplé au niveau mondial entre 1960 et 2020.), alors que l’offre a plutôt tendance à stagner. La question, bien sûr, est celle des raisons de ces évolutions. Pour la demande, il n’y a sans doute pas d’autre raison que l’enrichissement d’une foule d’individus, même si, comme on peut le déplorer, cet enrichissement n’est pas forcément général.  Pour l’offre, c’est plus compliqué, comme on va le voir...

Des installations vétustes, une paupérisation des producteurs, un manque d’investissement, l’absence d’industrie du cacao. Est-on responsable du risque de pénurie ?

Bien sûr, c’est là que se trouve le cœur du problème. On peut évidemment mettre en cause l’industrie de transformation : mais celle-ci est très concurrentielle, et peut facilement s’adapter. Je ne crois pas qu’on puisse l’incriminer, d’autant que l’origine du problème se trouve dans la production du produit de base, le caco issu des plantations.

De fait, le prix de référence sur le marché à terme de New York est passé de 2500 à plus de 5000 $/tonne entre juin et décembre 2024. Ce n’est pas exactement le prix reçu par le producteur (ni même celui payé par l’industriel), mais cela indique une tendance : il est évident que, dans ces conditions, le prix pour le consommateur ne peut qu’augmenter. Dès lors, la question est de savoir pourquoi la production n’a pas suivi… Là, il faut incriminer plusieurs choses :  d’abord, il faut savoir que le cacao est produit par un arbre. Or un arbre a besoin de quelques années pour entrer en production. Par conséquent, même en supposant que les producteurs réagissent instantanément aux variations de prix, et augmentent les surfaces de cacaoyères en conséquence des hausses de prix, le résultat ne pourra se traduire en termes de production que dans 5 ou 6 ans au minimum.

Certes, il est possible d’agir sur les techniques de culture de manière à augmenter les rendements, par exemple, en utilisant plus d’engrais. Mais là, il faut se souvenir de ce que la vaste majorité des producteurs de cacao sont des paysans pauvres, qui n’ont en général pas le premier sou pour acheter le moindre kilo d’engrais. Certes, ils pourraient emprunter pour cela : mais pour emprunter, il faut tout de même une certaine « surface » que ces pauvres producteurs ont d’autant moins qu’ils ne sont jamais sûrs de l’augmentation des prix au moment de la récolte, avec le risque de ne pouvoir rembourser en cas de chute provisoire du prix. Et les institutions de crédit sont dans la même situation, ne pouvant prendre le risque de voir leurs clients en déconfiture.

De ce point de vue, il ne fait pas de doute que les politiques de « libéralisation » poursuivies maintenant depuis une vingtaine d’années, n’ont pas arrangé les choses : autrefois, au moins en Côte d’Ivoire - le principal producteur - le prix du cacao était fixé par le gouvernement et garanti jusqu’à la récolte.  Dès lors, l’agriculteur pouvait faire ses calculs, et, éventuellement, s’endetter pour accroître sa production.  Maintenant que le prix est fixé par le marché, même s’il tend plutôt à augmenter, il fluctue considérablement d’un mois sur l’autre. Et cela prive les producteurs des moyens en crédits qui seraient nécessaires pour répondre à la tendance.

Quels risques ferait peser une pénurie de cacao sur le marché du chocolat ?

Risque est peut-être ici un bien grand mot : On peut se passer de chocolat ! donc, si, comme il est probable, le prix augmente encore, les gens les plus pauvres devront restreindre leur consommation, mais cela n’ira pas plus loin...

À plus long terme, il faudra s’attendre à de gros bouleversement sur le marché : car si le prix continue à monter, des investisseurs voudront essayer de profiter de l’aubaine en augmentant la production… Ils planteront de nouvelles cacaoyères…  Mais le résultat n’apparaîtra que lorsque les arbres seront mûrs, dans quelques années… et alors, l’offre augmentant, les prix s’effondreront.  Cela punira les investisseurs trop confiants dans le fonctionnement du marché, mais aussi les agriculteurs pauvres qui n’auront profité de la hausse des prix que pendant un temps très court.  Entre-temps, des milliers d’hectares de forêt tropicale, replantés en cacaoyères, risquent de disparaître... 

Comment limiter les dommages d’une pénurie de cacao ?

Il faudrait sans doute éviter les fluctuations de prix et de production qui viennent d’être évoqués, et revenir au système qui avait porté ses fruits à la grande époque, celui des « prix garantis ». De fait, les politiques menées dans les années 1960-70 par des gouvernements comme celui de Houphouet Boigny en Côte d’Ivoire avaient réussi sans trop de heurts à faire augmenter la production parallèlement à la consommation. Il n’y a pas de raisons pour que cela ne se reproduise pas, en utilisant les mêmes procédés.  Ce n’est du reste pas une spécificité du cacao, car on pourrait en dire autant de presque tous les produits agricoles, pour lesquels il peut exister des différences importantes et imprévisibles de prix entre le moment du semis ou de la plantation, et celui de la récolte -raison pour laquelle de vieux économistes de l’époque de la « grande crise » de 1929 soulignaient la nécessité de « déconnecter l’agriculture du marché ». Espérons que cette vieille sagesse pourra revenir dans nos politiques…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !