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Pour son deuxième jour de déplacement à Marseille, le pape François a tenu un discours dans lequel il a abordé plusieurs sujets, notamment ceux de l’immigration et de la fin de vie.
Pour son deuxième jour de déplacement à Marseille, le pape François a tenu un discours dans lequel il a abordé plusieurs sujets, notamment ceux de l’immigration et de la fin de vie.
©Handout / VATICAN MEDIA / AFP

Leçons à retenir

Pour son deuxième jour de déplacement à Marseille, le pape François a tenu un discours dans lequel il a abordé plusieurs sujets, notamment ceux de l’immigration et de la fin de vie.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Pour son deuxième jour de déplacement à Marseille, le pape François a tenu un discours dans lequel il a abordé plusieurs sujets, notamment ceux de l’immigration et de la fin de vie. Il a affirmé que les migrants qui « risquent leur vie en mer » pour gagner l’Europe « n’envahissent pas ». « Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter ; si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons », a-t-il clamé. Qu'est-ce qui relève de l'évangile et du discours traditionnel de l'église ? Et qu'est-ce qui relève de sa vision spécifique du sujet ?

Bertrand Vergely : Dans l’Évangile de Matthieu, chap. 25, versets 31 à 46, figurant ce qu’est le jugement dernier, le Christ explique que celui-ci réside dans le Fils de l’Homme  séparant les brebis et les boucs,  les brebis désignant la partie noble de nous-mêmes, les boucs la partie basse. Ainsi, ceux qui seront sauvés seront ceux qui auront accueilli le Fils de l’Homme quand il était étranger. Ceux qui ne le seront pas  seront ceux qui ne l’auront pas accueilli. « Tout ce que vous aurez fait au plus petit d’entre vous, c’est à moi que vous l’aurez fait », dit le Christ. Phrase qu’il importe de comprendre.  Le Fils de l’Homme désigne ce qui se passe quand le Père, source ineffable de toute chose, se fait Fils ou manifestation visible. Dans le monde, depuis longtemps, le Fils de l’Homme ou invisible devenant visible est étranger. Ignoré, il n’est pas reçu. On est sauvé, quand on le reçoit. Qui plus est, on est sauvé quand on révèle son existence à tout le monde y compris au plus petit d’entre les hommes. Qu’il n’y ait donc pas de confusions. Quand l’Évangile parle d’accueillir l’étranger, il s’agit du Fils de l’Homme et non de la terre entière. Ainsi, créer une humanité universelle consiste à créer une humanité dans laquelle tout le monde vit la découverte de l’invisible devenant visible et pas simplement le vivre ensemble, aussi sympathique soit il.  Privons l’humanité de la connaissance de l’invisible et du visible.  On la rend étrangère à elle-même, indigente, malade et prisonnière.

Dans son appel à accueillir les migrants, le pape n’a nullement évoqué une telle vision. Pensant à l’avenir de l’Église dans le monde de demain, il a parlé de façon à plaire à la politique, aux jeunes et aux medias. Pour toute une partie de l’Église catholique, le message du Christ est avant tout un message politique, le sens de l’Évangile résidant dans le fait d’ordonner le monde politiquement en se servant du religieux. Dans cette optique, le message du pape est clair. Il faut être lucide. Le christianisme en Occident est mort et va encore davantage mourir. Si on veut que l’Église survive demain, il n’y a qu’une solution : s’appuyer sur l’Afrique qui a encore la foi. Aujourd’hui, elle ne peut pas venir en Europe. Si on veut qu’elle y vienne, il n’y a qu’un  moyen : ouvrir largement les frontières au nom de l’amour du prochain et de la fraternité en faisant de Marseille la porte d’entrée  de cette arrivée massive.  Le pape n’a pas dit ouvertement qu’il est favorable à une africanisation de l’Europe. En revanche, en se prononçant pour l’immigration, s’installant dans le sujet de prédilection de la droite et de l’extrême droite,  il a séduit l’aile gauche de son église. 

Politiquement, le discours du pape est un chef d’œuvre d’intelligence jésuitique. Ce n’est pas son seul avantage. Depuis quelque temps, notamment depuis son encyclique Fratelli Tutti, Tous frères, le pape parle des croyants et des non-croyants. Il s’agit d’un  tournant. Fini le temps où l’athéisme était vu comme un danger voire le danger. Comme l’a dit le pape un jour, mieux vaut un athée sincère qu’un croyant hypocrite. Ce discours plaît aux jeunes. Dieu n’est plus indispensable pour vivre et devenir homme ? L’important est d’être humain et fraternel ? Les jeunes n’hésitent pas. Ils prennent. D’où l’apparition d’un nouveau type de croyant : le croyant athée, croyant pour des raisons sociales, athée pour des raisons idéologiques.

Enfin, dernière opération très réussie. Quand il est question de religion aujourd’hui, les medias se contrefichent de Dieu. En revanche, la politique les passionne. En apparaissant comme un pape de gauche pour une église progressiste, le pape a fait exactement ce que les medias attendaient : politiser l’Église en remplaçant la dualité croyant-non-croyant par la dualité droite-gauche. Politique et non religieux, il est apparu comme le pape médiatiquement idéal.

Jean Petaux : Les propos du pape François sur les migrants ne sont pas surprenants à plusieurs titres. En premier lieu parce qu’il a constamment parlé et agi en leur faveur depuis son élection au trône de Pierre. Sa première visite de Souverain pontife a été pour l’ile de Lampedusa qui est une des « portes d’entrée » du continent européen, dans la Méditerranée. C’était il y a plus de dix années désormais puisqu’il a été intronisé le 19 mars 2013. En deuxième lieu parce que cet homme, né en Argentine il y aura 87 ans à la fin de l’année, appartient, comme nombre de ses compatriotes, à une famille d’immigrés, en l’occurrence originaire du Piémont, arrivée en Argentine (pour la famille de son père) neuf années avant sa naissance, autrement dit en 1927. Sa mère, elle aussi, appartient à une famille italienne (de Ligurie), même si elle est née en Argentine. La conscience de l’état d’immigré est très présente dans la compréhension que peut avoir du monde le pape François. En troisième lieu, et ce n’est pas mince, Jorge Mario Bergoglio, avant d’être évêque puis cardinal, est, d’abord un jésuite. Cette appartenance à ce qui est, depuis Ignace de Loyola, l’un des principaux ordres missionnaires au monde, au point que certains spécialistes nomment cet ordre « d’Internationale noire », fait du pape actuel un excellent connaisseur non seulement des relations internationales mais aussi un intellectuel parfaitement au fait des échanges entre continents, entre Etats, entre sociétés. Non seulement un « expert » mais sans doute un partisan des échanges entre peuples. A condition que ces échanges soient, évidemment, consentis et surtout respectueux des individus qui « migrent » d’un pays à un autre, ou d’une rive de la Méditerranée à une autre. Et puis, enfin, en quatrième lieu, « last but not least », le « successeur de Pierre » est aussi fidèle à la lettre et à l’esprit des Evangiles. L’accueil des plus pauvres, des plus démunis, des persécutés, est bien un message central des Ecritures. Pas seulement d’ailleurs du Nouveau Testament, même si c’est ici que le message se fait le plus fort puisqu’il est au cœur de la démarche de Jésus, mais aussi dans l’Ancien Testament qui ne cesse de raconter des histoires de « mouvements de population », de « migrations » voire de métissages. Aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, la parole de Dieu, qu’elle passe par les Prophètes ou par son Fils, se veut attentive à toutes celles et à tous ceux qui apparaissent comme des « parias », des « étrangers » voire des « ostracisés ». Ainsi Moïse épouse-t-il Séphora la Madianite. Ainsi Boaz (que l’on écrit aussi « Booz » et dont le grand Hugo nous décrira dans un de ses plus célèbres poèmes la rencontre avec Ruth), riche propriétaire terrien de Bethléem épouse-t-il une jeune et belle veuve, Ruth, une Moabite, qu’il rencontre alors qu’elle vient « glaner » dans ses champs car elle est dans une pauvreté extrême. Ruth, l’une des femmes fortes de l’Ancien Testament, pauvre parmi les pauvres, va être aimée de Boaz, elle va se convertir au judaïsme et deviendra même la grand-mère du grand David. Elle est citée dans la généalogie de Jésus au tout début de l’Evangile selon Saint-Matthieu.

Et que dire de plus que les « Béatitudes » toujours chez Saint-Matthieu ? La quatrième : « Heureux les affligés, car ils seront consolés », suffit à justifier les propos du pape François en matière d’aide et d’accueil des migrants.

Le pape François, qui a choisi ce nom de Souverain pontife en référence à Saint François d’Assise, a toujours marqué sa proximité avec les plus faibles. Qui dira que les migrants, en proie à la déstructuration totale de leur environnement familial, social, économique ; coupés de leurs racines ; victimes de la cupidité des passeurs et du cynisme des dirigeants de leurs Etats d’origine, ne sont pas des victimes, des sacrifiés des temps modernes ? Des « pauvres » et des « plus petits d’entre les miens » au sens évangélique de l’expression ? Il n’est pas question « d’invasion » ici. Le pape François a tout à fait raison de rejeter ce terme. Nulle « invasion » dans les flots de migrants qui accostent sur les côtes siciliennes ou calabraises. Il faut avoir un rapport totalement biaisé à l’Histoire, totalement obsédé à l’égard des étrangers originaires d’Afrique et totalement vicié d’un point de vue analytique pour considérer les migrants comme des « barbares » qui accompliraient une mission, celle du « grand remplacement » de la race blanche en Europe. Heureusement qu’une parole comme celle du pape François remet la réalité au centre du village, tout comme l’église doit l’être…

Dans quelle mesure son discours relève d'une forme d'angle mort chez lui lorsqu'on regarde le contexte français, aussi bien politique, social ou encore par rapport au danger de l'islamisme ?

Bertrand Vergely : Il y a des migrants qui se noient en Méditerranée aujourd’hui. C’est malheureusement vrai. Mais, il y a d’autres noyades dont le pape n’a pas parlé. La France aujourd’hui est en train de se noyer. Depuis qu’elle s’est déchristianisée, elle est dans une détresse morale et spirituelle que rien n’est pas parvenu à soulager. Quand un pays bat des records de consommation de psychotropes et de drogue, qu’une part grandissante d’enfants et d’adultes fait la queue devant les psychiatres en criant à l’aide,  quand on assiste à des émeutes sociales d’une rare violence, quand toute une culture est en train de s’effondrer parce que la moitié des jeunes de 15 ans ne sait   ni lire correctement, ni écrire correctement, ni se concentrer, à quoi a-t-on affaire sinon à un pays en train de chavirer ? Depuis 2014, 28 000 migrants sont morts noyés en Méditerranée. Chaque année en France, 11000 personnes se suicident. Depuis 2014, ce ne sont pas 28 000 mais   100 000 morts que le suicide a provoqués, soit 4 fois plus.   Le pape a parlé d’accueillir les migrants. Mais n’est-ce pas la France qui a besoin d’être accueillie ? À Marseille, depuis le mois de Janvier, la ville compte 42 morts par balles.   Les cités du Nord de la ville sont rongées par le trafic de drogue et la violence exercée par des caïds qui terrorisent ces cités. Le pape souhaite que Marseille devienne le symbole mondial de l’accueil. Comment accueillir les autres quand soi-même on est incapable de s’accueillir ? Il  a parlé de politique. Il a parlé aux jeunes et aux médias. Il n’a pas pensé à la France et au malheur de la France. Il a fustigé l’Europe. Il n’a pas pensé au malheur de l’Europe. Il a parlé de fraternité. Il n’a pas parlé de Dieu. Il a parlé du frère. Il n’a pas parlé du Père.

Jean Petaux : Il n’y a aucun angle mort dans le discours de François. J’invite les lecteurs à lire l’excellent ouvrage d’un des meilleurs spécialistes en Europe de la question migratoire, le sociologue François Héran, depuis 2017 professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « Migrations et Sociétés ». Pour situer ce grand expert on rappellera qu’il a dirigé l’Institut National des Etudes Démographiques (INED) pendant 10 ans, de 1999 à 2009 et qu’il a été chef de la division des enquêtes et études démographiques de l’INSEE. Le dernier ouvrage de François Héran s’intitule « Immigration : le grand déni » (Seuil, La République des Idées, 2023). J’invite ceux qui le souhaitent à visionner l’entretien que nous avons eus ensemble pour la Librairie Mollat, à Bordeaux, disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=OFBmo1UlfGs . Explicitant son travail, François Héran démontre très calmement que la France est un des pays européens qui accueille le moins de migrants en comparaison avec ses pays voisins, que l’évolution des statistiques migratoires en France est tout sauf exponentielle et, tout au contraire, d’une grande stabilité et, dernier élément, d’importance, que les partis politiques français ne cessent d’instrumentaliser la question migratoire, depuis 20 ans, dans toutes les directions d’ailleurs, à des fins de pure stratégie électorale à court terme… En particulier par un usage totalement cynique de faits divers mettant en cause une personne immigrée. Le Souverain pontife, dont j’ai montré qu’il n’est pas dans une posture « politique » (au sens anglais de « politician ») en tenant les propos qu’il a tenus (en fait « répétés ») à Marseille samedi, n’ignore rien de la situation française. Il sait fort bien que le contexte est rendu explosif tout autant par les « Docteurs Mabuse » de la politique française jouant sur les peurs, les sentiments et les contradictions sociales, que par une quelconque « invasion ». Au regard de l’histoire contemporaine française au XXème siècle qui a connu des vagues migratoires massives et concentrées dans le temps (migrants juifs d’Europe centrale et orientale, italiens, espagnols, polonais, portugais, puis, finalement, du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne) que pèsent les chiffres d’aujourd’hui par rapport à ceux du début du XXème siècle pour les Italiens, des années 20 pour les Polonais, de 1938-39 pour les Républicains espagnols et des années 60 quand de grands groupes industriels (Peugeot par exemple pour n’en citer qu’un) faisaient venir des hommes de villages entiers du Rif marocain ou du bled algérien pour les faire travailler en masse dans les usines de la région parisienne ou du couloir rhodanien ?

Sommes-nous sourds à ce qu'il dit et notamment pour tout ce qui ne relève pas de son discours sur les migrants ?

Bertrand Vergely : Le pape a fustigé l’indifférence en parlant des fanatiques de l’indifférence. Terme étrange. Comment peut on être fanatiquement indifférent ? Quand on l’est fanatiquement, c’est bien le signe qu’on ne l’est pas. À ses yeux, nous serions indifférents. Qu’on revienne sur terre. Depuis 50 ans, du fait de Jean-Marie Le Pen, on n’entend parler que de cette question. Aujourd’hui, en raison de la montée de l’extrême droite, on en entend parler tous les jours matin, midi et soir. Le pape dit que l’Europe ne fait rien. On peut toujours faire plus et mieux. Il n’empêche. Depuis 50 ans, l’Europe a accueilli des millions d’étrangers et elle continue de les accueillir.

Quand le pape a parlé de l’immigration, il a parlé amour, fraternité, accueil de l’autre, cœur qui tressaille devant le tragique.  Il n’a rien dit de pratique sur la façon de mettre en ouvre ces propositions. Il a voulu que la question qui se pose soit celle de la générosité. Est-ce la bonne question ? L’important n’est-il pas de savoir comment être généreux plutôt que de se demander s’il faut l’être ? À moins d’être une brute, qui défendra l’idée qu’il ne faut pas avoir de cœur ? En revanche, n’est il pas irresponsable d’inviter à accueillir sans indiquer comment le faire?  Quand on a affaire à une arrivée de migrants, on peut être généreux. Mais, quand on a affaire à des vagues successives de plus en plus nombreuses que l’on ne sait plus comment accueillir parce que l’on est submergé, que faire et comment faire ? Il ne faut pas avoir le sentiment que l’on est envahi, dit le pape. Quand on habite Lampeduza et que l’on voit arriver soudain 200 bateaux avec douze mille  migrants, comment ne pas avoir ce sentiment ?

Le pape a parlé de lutter contre les trafics odieux à propos de l’immigration.  Lorsque  les migrants se noient en Méditerranée, il fustige l’indifférence des pays occidentaux. Or, pourquoi les migrants se noient ils ? À cause de l’indifférence ? Nombre d’embarcations ont coulé avec leurs occupants parce que, faites pour accueillir 50 passagers, elles en accueillaient parfois 200. Ou bien parce que les passeurs les coulaient afin d’obliger  les navires grecs, italiens et français  à venir les secourir. Enfin, le pape  accusé la dureté de cœur des occidentaux. Mais qui a un cœur dur ? Quand, en Tunisie, des passeurs  lancent  des navires avec à leur bord uniquement des enfants et des femmes enceintes afin de faire ainsi davantage pression sur l’Europe pour obliger à l’accueil, qui a le cœur dur ? Qui est cynique ?

Jean Petaux : Certainement … Sur les migrants son discours semble hermétique aux Français parce que ce qui est cause ici c’est une irrationnalité collective qui s’oppose à une réflexion éthique et philosophique mais aussi objectivée par les statistiques officielles pourtant fiables et reconnues comme telles. Pour les autres sujets qu’il a pu aborder, tels que la fin de vie, le Souverain pontife fait du « Souverain pontife ». Là encore il parle « ne varietur ». On imagine mal un pape défendre le suicide assisté ou d’autres formes d’accompagnement actif à mourir. Sur ce point, son discours ne manque pas d’intérêt non plus d’ailleurs. Même si l’on ne partage ni son analyse ni ses conclusions et son refus. Ce que François dit du traitement des personnes âgées dans nos sociétés post-modernes mérite réflexion. Quid de la solidarité intergénérationnelle ? Quid du rapport à la mort dans un contexte sociétal qui l’a pratiquement évacuée ? Quid de l’immense solitude d’une part désormais importante de la population française, âgée de plus de 80 ans ? Ce n’est certainement pas un hasard si notre société tend à ne pas entendre ces questions-là, dans la mesure où elle ne peut vraisemblablement pas en supporter les réponses.

Comment comprendre les différentes dimensions des réactions politiques en France ?

Bertrand Vergely : Face à la venue du pape, les partis politiques ont été silencieux. Si Emmanuel Macron a traité celui-ci come un chef d’État qu’il se devait d’honorer en tant que tel, les partis politiques ont préféré s’abstenir de tout commentaire, une chose étant à leurs yeux le traitement politique de l’immigration, une autre son traitement religieux. Ils ont voulu ainsi laisser à la politique le soin de régler cette question et non à la fraternité ainsi qu’à l’amour. Ils ont donc laissé le pape parler de l’accueil en se réservant de revenir sur la question de fond laissée en suspens de savoir comment accueillir.

Jean Petaux : Pour demeurer dans le répertoire biblique précédemment ouvert, on se permettra de citer ici le livre le plus « laïque » de l’Ancien Testament : « L’Ecclésiaste » (« Qôhelet »). Celui que l’on considère comme le vieux roi Salomon a cette phrase : « Ce qui fut sera, Ce qui s’est fait se refera, Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil ». Les partis politiques français ont ressorti leurs éléments de langage avec constance et permanence. Il n’y a rien d’étonnant ici. Les formations de gauche ont apprécié les propos du Souverain pontife sur les migrants, sur la crise climatique et environnementale mais ont nettement moins goûté son discours sur la fin de vie. Positionnement exactement inverse dans le camp d’en face, à droite ou dans la majorité macroniste. Cela démontre, s’il était nécessaire, que le discours papal échappe aux catégories ordinaires de la vie politique française.

C’est sans doute ici l’occasion d’une dernière leçon à la fois évangélique et républicaine. Pour la partie des Evangiles, la parole de Jésus s’exprime sans ambiguïté en Luc  20 :25 : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Pour la partie républicaine : depuis la loi du 9 décembre 1905, en France, la séparation entre l’Etat et les Eglises est actée, elle a été réitérée dans l’article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La République française est indivisible, laïque, démocratique et sociale ». En d’autres termes, autorité spirituelle et temporelle, chef de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, le pape François est parfaitement dans son rôle quand il aborde des sujets sociaux et sociétaux. L’exécutif français à la tête d’un état souverain et indépendant fonctionnant selon un certain nombre de principes républicains, est totalement dans son droit le plus strict quand il ne prend pas en compte tout ou partie des propos du pape.

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