Bidenomics : l’économie américaine pétarade mais les Américains n’en sont pas reconnaissants du tout à Joe Biden et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden lors du sommet de l’APEC (Forum de coopération économique Asie-Pacifique) à San Francisco. 17 novembre 2023
Le président américain Joe Biden lors du sommet de l’APEC (Forum de coopération économique Asie-Pacifique) à San Francisco. 17 novembre 2023
©BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Défiance

Alors que les chiffres de l'économie américaine sont encourageants, 59 % des électeurs de six États clés ont déclaré avoir plus confiance dans la capacité de Donald Trump à gérer l'économie que dans celle de Joe Biden, selon un sondage du New York Times et du Siena College

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Alors que les chiffres de l'économie américaine sont encourageants, une partie des citoyens aux États-Unis sont assez mécontents. Comment expliquer ce phénomène de mécontentement ?

Alexandre Delaigue : Il y a plusieurs facteurs qui peuvent l'expliquer. D'abord, il y a une dimension partisane. C'est quelque chose qui est d'autant plus présent qu'il y a une sorte de tension politique à l'intérieur d'un pays avec des aspects partisans assez marqués. Le camp minoritaire est toujours persuadé que la situation économique est très mauvaise quand ses opposants politiques sont au pouvoir. Il est donc probable que ce soit le cas de la fraction républicaine aux États-Unis. A l’inverse, durant la présidence Trump, l'électorat démocrate avait tendance à avoir une vision bien plus négative de l'économie et de l'État que ne l’aurait justifié la réalité. Cette dimension partisane amènera toujours une fraction de la population à être hostile à la politique du pouvoir en place en dépit de la réalité. Les sondages le montrent : ils interrogent les sondés sur la qualité de leur situation économique et, pour l’essentiel, ceux-ci répondent qu’elle est bonne. Ils estiment ensuite, quand vient la question suivante, que la situation économique du pays est très mauvaise. Ce type de décalage illustre bien la dimension partisane dans le rapport des uns et des autres à la politique du parti au pouvoir.

Il faut également souligner que l’inflation, bien qu’elle soit en train de ralentir aux Etats-Unis, a atteint des sommets jamais vu depuis 30 ans environ. Les ménages ne disposent pas de mécanismes suffisants pour s’adapter à une telle situation. Même si les salaires finissent par augmenter, les prix ont déjà augmenté, entre-temps, en particulier le prix du carburant. La situation économique a beau être plutôt positive, les ménages constatent tout de même qu’ils ont dû faire face à un appauvrissement face à la hausse des prix. Cela a commencé avec la crise sanitaire, puis cela a continué avec la guerre en Ukraine qui a fait monter le prix des matières premières. 

Or, pour beaucoup des ménages Américains, retrouver une situation normale consisterait à revenir à des prix comparables à ceux observés avant l’augmentation initiale. C’est en tout cas ce qui ressort de ces mêmes sondages. La perte de pouvoir d’achat, ressentie à juste titre par les citoyens américains, joue sur leur perception.

Ensuite, sur le plan macroéconomique, le niveau des salaires s’est adapté à l’augmentation des prix. Mais les gens ne raisonnent pas comme cela. Ils partent du principe que l'augmentation de salaire est normale et que l'augmentation des prix est anormale. 

Voilà, en somme, les deux facteurs principaux : le côté partisan d'un côté et la réaction vis à vis de l'inflation de l'autre côté. Les ménages n'y sont pas vraiment habitués et généralement, nous observons qu’ils n'apprécient guère l'inflation. Ce n'est pas spécifique aux Américains, et ce rejet est d’autant plus que nous ne sommes pas habitués à l'inflation actuelle. Une majorité d’entre nous n’avaient encore jamais connu une inflation similaire à celle que nous observons depuis quelques années. 

Est-ce que l'économie américaine est trop inégalitaire, car les catégories les plus pauvres ne bénéficient pas du tout des Bidenomics ?

C’est plutôt l'inverse. L’observation des effets des Bidenomics permet d’identifier que les bas salaires ont plutôt tendance à en profiter. Les inégalités ont justement eu tendance à diminuer aux Etats-Unis ces deux ou trois dernières années. Donc s'il est clair que l'économie américaine est très inégale, et que la pauvreté est malvenue aux États-Unis, le salaire minimum augmente dans un certain nombre d’Etats. Et cela n’a pas d'impact négatif sur l'emploi : celui-ci se porte très bien, y compris pour des catégories de population qui ont usuellement beaucoup de mal à se faire embaucher. Ainsi, c’est une vérité que l’on observe notamment pour les anciens détenus ou les chômeurs de longue durée.

D’une façon générale, il apparaît que le salaire minimum américain bénéficie plutôt de la politique économique de Joe Biden mais que le diagnostic global que l’on peut ériger de la société américaine (c’est-à-dire de son économie et des inégalités qui la traverse) ne change pas ou peu. Reste la question de la conjoncture : peut-on vraiment attribuer ces succès à la politique du gouvernement ou s’agit-il des effets liés à une période spécifique ? Pour l’heure, la conjoncture apparaît plutôt favorable aux bas revenus outre-Atlantique.

Est-ce qu'il n'y a pas une responsabilité de la monnaie américaine, le dollar, et est-ce que les entreprises pourraient faire plus d'efforts envers les travailleurs américains, notamment les plus pauvres ?

Votre question en cache une autre. Tout d’abord, il faut rappeler que le dollar a tendance à monter par rapport aux devises de nombreux autres pays. Il tend donc à profiter au pouvoir d’achat des Américains puisque lorsque le dollar grimpe comparativement au yuan, par exemple, les produits importés de Chine coûtent mécaniquement moins cher au consommateur américain. La valeur comparative du dollar est pour partie déterminée en fonction des anticipations en matière de politique monétaire. Concrètement, cela signifie que la valeur de la monnaie détermine l’évolution des taux et, jusqu’à présent, cela s’est avéré plutôt favorable aux consommateurs américains.

Est-ce à dire, pour autant, que les entreprises devraient faire davantage ? Force est de constater, au regard de la situation actuelle, qu'elles pourraient engager des efforts plus importants. Pour autant, je ne suis pas sûr que ce soit la préoccupation à avoir en ce moment. Il me semble plus important de se concentrer sur la question des monopoles observés sur le marché du travail ; ce qui n’est pas un sujet sur lequel les entreprises ont prise. C’est au politique qu’il revient d’intervenir à ce niveau.

Est-ce que ce mécontentement d'une partie de la population peut être en quelque sorte un boulet pour la campagne de Joe Biden ? Et est-il susceptible de faire évoluer sa politique économique face à ce mécontentement ?

Je ne suis pas stratège électoral pour le parti démocrate, donc je n’ai aucune idée de la manière dont il va vouloir orienter sa politique. Mais il est probable qu’il va essayer de faire du marketing sur son bilan. Celui-ci, il est vrai, est plutôt positif pour la population américaine, au moins sur les trois dernières années. Cependant, et comme nous avons pu l’évoquer tout à l’heure, la part de responsabilité de la politique engagée par son gouvernement reste encore à démontrer.

Les démocrates chercheront probablement  à donner plus encore de gage aux travailleurs par les biais politique et industriel. Cela peut passer par la création d’emplois dans l'industrie manufacturière, le soutien aux syndicats qui essaieront d’obtenir de nouvelles protections ou mesures pour les travailleurs, comme autrefois dans l’industrie automobile par exemple.

Mais il faut reconnaître que, pour l'instant, la situation est un peu difficile pour Joe Biden, compte tenu de la double réalité qui oppose un bon bilan à une si faible côte de popularité. Normalement, il y a un lien entre la performance électorale et la performance économique. En l’état, la situation économique apparaît un peu trop bonne par rapport à la côte de popularité de l’administration Biden.

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