Attaque à Paris : les personnes souffrant de troubles psychiatriques sont-elles plus violentes que les autres ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Armand Rajabpour-Miyandoab, un Franco-Iranien de 26 ans, a été interpellé après l’attaque qui a causé la mort d’un jeune touriste germano-philippin et blessé deux autres personnes
Armand Rajabpour-Miyandoab, un Franco-Iranien de 26 ans, a été interpellé après l’attaque qui a causé la mort d’un jeune touriste germano-philippin et blessé deux autres personnes
©DIMITAR DILKOFF / AFP

Santé mentale

Ce samedi 2 décembre, un homme a été tué lors d’une attaque au couteau perpétrée à proximité du XVIè arrondissement de Paris. L'assaillant, fiché S et connu de la justice pour son islamisme radical, est atteint de troubles psychiatriques.

Michel Debout

Michel Debout

Michel Debout est professeur émérite de Médecine légale et de droit de la santé, et psychiatre, au CHU de Saint Étienne. 

Il est membre associé du CESE et membre de l'Observatoire national du suicide, spécialiste de la prévention du suicide et des eisques psycho-sociaux au travail. Il est auteur de nombreux ouvrages dont "Le traumatisme du chômage"  (editions de l'Atelier, 2015) et "Le Renouveau démocratique : placer la santé au cœur du projet politique" (éditions de l'Atelier, août 2018).

 

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David Masson

David Masson

David Masson est psychiatre au Centre psychothérapique de Nancy, où il est responsable du département ambulatoire du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie d’adultes et d’addictologie du Grand Nancy.

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Atlantico : Ce samedi 2 décembre, un homme a été tué lors d’une attaque au couteau perpétrée à proximité du XVIè arrondissement parisien. L’assaillant présumé, qui a été interpellé, est “traité pour des troubles psychiatriques” importants, a-t-on appris de source policière. Dans quels cas les individus souffrant de pareils troubles peuvent-ils s’avérer violents ? 

David Masson : La dangerosité est une notion complexe, subjective et évolutive. Elle correspond à la probabilité d’un passage à l’acte en lien avec le risque de violence, c'est-à-dire l’acte d’exercice d’une force. Par exemple, une agression contre les personnes ou les biens altérant l’intégrité de la victime.

La dangerosité psychiatrique est une manifestation symptomatique directe d’une maladie mentale. Dans ce cas, l’acte de violence est directement un symptôme d’une maladie active au moment de l’évènement. Il faut noter que la dangerosité psychiatrique n’est pas superposable à la dangerosité criminologique, et que tout acte de violence, même dramatique, ne signe pas automatiquement un trouble psychique. Le niveau d’horreur d’un drame n’est ni le reflet ni le révélateur d’un trouble psychique. Même s’il n’est pas question de nier l’existence de la dangerosité psychiatrique, elle reste toutefois rare. Elle est par définition multifactorielle, entre des facteurs propres à l’individu, les éléments de son environnement et la particularité de la maladie. Les facteurs de risque de violence identifiés pour une personne atteinte de trouble psychique sont une maladie non stabilisée, un défaut d’accès aux soins, des conduites addictives (alcool, substances psychoactives), des traits de personnalité pathologique de type dyssociale, un statut social précaire, des antécédents de maltraitance ou de discriminations… Il y a corrélation mais pas relation causale avec un trouble psychique par rapport à la dangerosité, il est possible de souffrir d’un trouble psychique et réaliser un acte violent sans aucun lien avec le trouble.

Michel Debout : Ils peuvent s’avérer violent à chaque fois qu’ils font face à une tension psychique spécifique qui les poussent à se sentir agressé, mais c’est alors une violence appliquée par défense. Quand il y a un sentiment d'insécurité, l’impression que le monde extérieur projette sur eux une menace, alors oui, la violence devient une réponse possible. Il importe toutefois de comprendre que, dans le cas de l’individu dont on parle depuis samedi soir, c’est que le passage à l’acte survient parce qu’il y a des facteurs de risque. Chez cet assaillant, on peut en relever deux en particulier. D’abord, il y a la radicalisation – rappelons en effet qu’il a été condamné à de la prison pour des faits relevants du terrorisme – et ensuite sa personnalité, qui a pu être qualifiée de difficile ou de psychotique. Naturellement, je n’ai pas le dossier médical en main, ce qui rend difficile de se prononcer cliniquement… Mais on voit bien qu’il s’agit d’une personnalité instable, influençable en somme.

Ceci étant dit, il faut bien expliquer que nous avons encore beaucoup de mal à identifier pourquoi le passage à l’acte survient à un instant T. On connaît les facteurs de risque, on sait les  prendre en charge mais on ne sait pas très bien anticiper les passages à l’acte.Tout au plus peut-on repérer des éléments d'impulsivité chez certaines personnes. Ce qui démultiplie ce risque.

Il va de soi que l’état actuel de la psychiatrie – et tout particulièrement de la psychiatrie publique – est proprement déplorable, ce qui n’est pas sans conséquence sur la situation que nous évoquons. Cette déshérence entraîne un manque de praticiens, des tensions réelles quand des personnes nécessitant des soins ne peuvent pas être prises en charge. Cela peut se transformer en réaction d’incompréhension, en sentiment d’injustice, ce qui est toujours propice à des réactions de violence, en retour. 

En 2006, ainsi que l’indique le CAIRN sur son site, certains chercheurs travaillaient sur la violence dont peuvent faire preuve les personnes atteintes de schizophrénie. Les chercheurs évoquaient une prévalence de 19,1% des comportements violents, avec 3,6% de comportements violents graves. Cela suffit-il à dire que les personnes souffrant de troubles psychiatriques seraient mécaniquement plus violentes que le reste de la population (et cela justifie-t-il le portrait qui peut parfois être brossé d’eux) ?

Michel Debout : Rappelons d’abord qu’il est difficile d’identifier avec précision les taux de violences et de violences graves dans le reste de la population, ce qui ne facilite pas la comparaison. A ma connaissance, aucun indice de cet ordre n’a été publié par une source officielle. Ceci étant dit, nous savons que les violences qui s’expriment dans la population globale le font de façon segmentée. On parle beaucoup, par exemple, des violences faites aux femmes. Récemment encore, le ministère de l’Intérieur évoquait quelque 244.000 victimes de violences conjugales enregistrées en 2022. A ces violences-là, il faut évidemment ajouter les violences psychologiques au travail, le harcèlement moral ou sexuel de même que celles qui se jouent dans la rue, sans oublier celle dirigée contre les élus… L’expression de toutes ces violences représente un nombre de cas très important et, dans ce total, le nombre de violences relevant de troubles psychiatriques apparaît évidemment réduit.

Il m’apparaît également important de rappeler que pour beaucoup de personnes souffrant de telles pathologies, la violence est d’abord dirigée contre soi. On compte plus de 10 000 morts par an, environ, dus à des suicides en France. A titre de comparaison, on compte environ 1 000 morts par homicide (toute forme confondue) à l’année. Il y a donc dix fois plus de chances de retourner contre soi cette violence.

Le portrait que l’on brosse de personnes souffrant de troubles psychotiques  correspond à l’une des expressions de leur pathologie, c’est indéniable. La possibilité de bascule dans la violence est réelle. Mais elle n’est pas la règle et ne doit pas justifier une forme de stigmatisation. D’autant plus que la bascule dans la violence se porte davantage, encore une fois, vers l’auto-violence plutôt que vers l’hétéro-violence.

 Le passage à l’acte violent est le plus présent, le plus dangereux, pendant des moments de crise. Il faut donc que nous puissions développer des réponses médicalisées à ces situations pour éviter l’aboutissement des crises menant à la mort du malade lui-même ou de son entourage. Ce n’est pas systématique et surtout, il nous est possible d’intervenir quand bien même certains échapperont toujours, comme l’assaillant de samedi soir. Cela ne doit pas nous faire croire que la prévention est impossible.

David Masson : 3 à 5% des actes violents seraient dus à des personnes atteintes de trouble psychique, et souffrir d’un trouble fait partie des facteurs de risque de violence identifiés. Pour mieux se rendre compte et mettre en perspective la dangerosité supposée, il y a environ 800 homicides et 200.000 tentatives de viol par an en France alors qu’il y a eu 58 cas d’irresponsabilité pénale notamment pour trouble psychique en 2019. De plus, la prévalence des troubles psychiques est importante : au moins 13 millions de français souffrent d’un trouble psychique dont 600.000 personnes atteintes de schizophrénie (1% de la population). Contrairement aux idées reçues, elles sont très loin de représenter un danger potentiel pour notre société. Mais d’autres risques de violence existent, largement méconnus et sous-estimés : les personnes atteintes de troubles psychiques sont 7 à 17 fois plus à risque d’être victime d’actes de violence par rapport à la population générale. De plus, le risque principal de violence dans cette population est le risque suicidaire, il y a encore en France 9000 décès par suicide et 200.000 tentatives de suicide par an. Le suicide est la première cause de décès prématurée dans la schizophrénie (10%), et le risque principal devant un épisode dépressif.

Ces mêmes chercheurs ont identifié différents facteurs de violence mineure ou majeure. Ainsi, les abus de drogues ou d’alcools, de même que les facteurs interpersonnels et sociaux sont généralement associés à des violences mineures. A l’inverse, les violences majeures sont plutôt associées à des symptômes psychotiques, dépressifs, ou à des troubles du comportement dans l’enfance. Quels sont, concrètement, les troubles les plus à risques ? La dépression et l’alcoolisme ne peuvent-ils pas également pousser vers la violence, par exemple ?

Michel Debout : Tout dépend, me semble-t-il, de quel type de violence on parle. Si l’on parle d’accès meurtriers qui font plusieurs victimes… Le lien avec une décompensation psychotique n’est pas nécessairement aberrant. A cet égard, la législation concernant l’accès aux armes à feu est très importante. La possession d’une arme à feu, dans ce genre de situation, peut rendre responsable d’une possible une tuerie de masse. Ce sont des phénomènes que nous avons pu observer dans certains pays. Pour prévenir de tels actes, il faut aussi se poser la question de la disponibilité des armes. La tuerie survenue à Dijon appuie mon propos.

Du reste, ne perdons pas de vue que le risque psychique se potentialise de la situation sociale ou relationnelle, mais aussi professionnelle. La même personne, vivant la même difficulté, pourrait réagir de façon violente comme il pourrait lui être possible de dépasser cette difficulté. Il va de soi que la consommation de produits toxiques peut provoquer des déchaînements de violence ou provoquer des effets psychotiques chez les consommateurs, y compris chez des personnes qui ne souffraient pas initialement de troubles psychiatriques. Chez certaines personnalités fragiles la consommation de tels produits peut engendrer une décompensation qui mène vers ce genre de troubles

On sait aussi que la violence subie peut déboucher sur de la violence agie. D’où l’importance du milieu familial, de l’éducation.

Comment se prémunir d’actes violents, d’une façon générale ?

David Masson : Il est impossible de prédire la survenue d’un passage à l’acte violent, mais juste analyser le risque à un moment donné chez un individu. La violence est loin d’être l’apanage de la psychiatrie. Les risques de passages à l’acte violents chez les personnes atteintes de troubles psychiques sont les mêmes que dans la population générale : personnes jeunes, de sexe masculin avec un statut socio-économique précaire caractérisé par la pauvreté, le chômage, le milieu défavorisé. De plus, l’abus de drogue et d’alcool majore par lui-même le risque de violence pour tous. Un des leviers principaux de prévenir la violence est clairement d’investir sérieusement ces déterminants pour toute la population.

Michel Debout : Pour se prémunir de la violence, il faut d’abord comprendre ce que signifie la violence, exactement. Nous employons ce terme sans toujours le définir et nous avons parfois tendance à confondre violence et colère, violence et conflit. Le conflit, c’est le désaccord sur un sujet donné, mais le respect de la parole d’autrui. On reconnaît à cet autrui le droit à la parole. Quand on tombe dans la violence, en revanche, on ne reconnaît plus à l’autre le droit à la parole. Soit on va le soumettre, et c’est alors une violence psychologique, une forme d’emprise, soit c’est une violence active (qui peut s’avérer chronique). “Je ne veux pas t’entendre et si tu ne te tais pas, je te détruis”. Pour prévenir ces violences, il faut convaincre chaque humain qu’il est humain parmi d’autres humains ; qu’il n’est pas là pour dominer ou soumettre. L’exemplarité des modèles (comme les parents, la figure de l’élu, etc), des pouvoirs publiques et des instances sociales m’apparaît être une condition indispensable.

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