100 milliards d’euros et 15 ans pour finir de déglinguer notre système électrique<!-- --> | Atlantico.fr
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"Au début des années 70, relever un tel challenge aurait été à la portée d’une administration Pompidou dont la lucidité et la compétence n’auraient pas traîné à faire un sort au ruineux délire éolien", affirme André Pellen.
"Au début des années 70, relever un tel challenge aurait été à la portée d’une administration Pompidou dont la lucidité et la compétence n’auraient pas traîné à faire un sort au ruineux délire éolien", affirme André Pellen.
©GEORGES GOBET / AFP

A quand les décisions qui s'imposent ?

La politique énergétique à toute épreuve ourdie depuis plus de 15 ans par les pères spirituels de nos téméraires gouvernants constitue sans doute la pierre angulaire de l’économie de guerre avec laquelle ils envisagent d’affamer l’ours redevenu soviétique.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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En mars 2022, notre Président et son ministre des Finances, de l’économie et de la souveraineté industrielle disaient vouloir mettre à genou une Russie que le premier a récemment qualifié de nain économique. La politique énergétique à toute épreuve ourdie depuis plus de 15 ans par les pères spirituels de nos téméraires gouvernants constitue sans doute la pierre angulaire de l’économie de guerre avec laquelle ils envisagent d’affamer l’ours redevenu soviétique.

Dans son dernier ouvrage « La voie française » – la voie souveraine française aurait-on aimé lire –, un Bruno Le Maire écrivain à ses heures n’aura pas manqué de décliner par le menu les audacieuses modalités de la transition énergétique française dont la plus permanente vient à nouveau de défrayer la chronique : recueillir à la petite cuillère et à prix d’or les KWh erratiques et diffus du vent et du soleil au moyen d’une argenterie aussi envahissante qu’incommode, fastidieuse et fragile d’usage. D’ici à 2040, en effet, RTE programme d’investir 100 milliards d’euros dans le réseau électrique national, pour lui permettre de collecter et de distribuer la production des innombrables fermes éoliennes et photovoltaïques déjà planifiées.

Lancé sur les traces l’Energiewende, le RTE partisan de François Brottes est à la manœuvre sans discontinuer depuis 2012

En novembre 2012, RTE publiait sa stratégie d’investissement dans le réseau de transport découlant de l’évolution du mix énergétique devant émerger du débat national – la mascarade DNTE à nouveau d’actualité – programmé pour le printemps 2013. Non seulement la validation dès juillet 2012 de cette stratégie par la CRE ne faisait guère peser d’œil critique sur son contenu et sur ses motifs – considèrant que ce schéma décennal de développement du réseau couvrait les besoins en matière d’investissement et qu’il était cohérent en termes de projets avec le plan décennal européen réalisé par ENTSO-E (le RTE de l’Union Européenne) –, mais la suite montra que le zèle mis à l’exécution d’une LTECV imminente dépasserait les espérances.  

Jusque récemment, ce programme et sa planification dont nous n’avons guère de raison de douter qu’ils ont été réalisés au moins partiellement étaient téléchargeables au lien suivant aujourd’hui invalide. À commencer par le plan de développement à 3 ans concernant des mises en service allant de 2013 à 2015 et prévoyant la création de 63 liaisons souterraines d’une longueur cumulée de 700 km, pour un total de 73 lignes électriques. Ce plan comportait en tout 170 projets majeurs en liaisons souterraines, lignes aériennes, postes et autres équipements programmés sur la période.  

De 2012 à 2020, les investissements de RTE devaient représenter de l’ordre de 15 milliards d’euros destinés à financer les infrastructures suivantes : 800 à 1 000 km de nouvelles routes en courant continu souterraines et sous-marines, avec les stations de conversion associées ; 1 000 à 2 000 km de renforcement de réseau électrique existant ou de nouveaux circuits en courant alternatif aérien 400 Kilovolts en substitution d'ouvrages existants ; environ 400 km de liaisons souterraines 400 et 225 Kilovolts ; 15 à 20 nouveaux postes d'aiguillage et de transformation 400 Kilovolts ; plus de 10 000 MVA de puissance de transformation additionnelle entre le réseau 400 Kilovolts de grand transport et les réseaux de tension inférieure.

De 2012 à 2030, selon les scénarios, RTE estimait que 35 à 50 milliards d'euros d'investissements sur le réseau de transport seraient à réaliser. Sur ce montant, 5 milliards d'euros portaient sur le renforcement des interconnexions électriques avec les pays voisins et 5 à 10 milliards d'euros sur l’accompagnement de la transition énergétique.

En septembre 2019, c’est avec beaucoup de précautions que, lors d’une conférence de presse à Paris, François Brottes lâcha le montant des investissements prévus pour rénover notre réseau électrique et l’adapter sous 16 ans à l’absorption des énergies renouvelables et à la connexion des parcs éoliens offshore : 33 milliards d’euros. Sa crainte était alors que ce montant soit intégralement imputé à l’intégration des énergies renouvelables par les nucléocrates de tous bords.

À l’heure ou RTE porte ses prétentions de dépenses réseau à 100 milliards d’euros, l’accroissement déjà constaté des longueurs de lignes très haute tension (THT) a probablement rapproché les pertes énergétiques de ce réseau de celles des réseaux de distribution plus denses et plus maillés, les passant de 4 % de la production électrique totale à quelque 8 %, soit environ 40 TWh. À lui seul, l’éolien offshore impose la construction de lignes THT pouvant aller jusqu’à 1000 Km cumulés. Or, non seulement il ne fait aucun doute que ces pertes énergétiques supplémentaires et l’inévitable augmentation du péage acquitté par les producteurs usagers du réseau THT – le TURPE – sont à la charge des clients, mais il convient de donner à ces derniers et aux contribuables une idée de ce que leur ont déjà coûté les kilomètres de réseau THT et MT (moyenne tension) nécessaires à l’installation de nos actuels 19 GW éoliens, avec ceci : entre 2006 et 2015, le passage de 20 à 40 GW du parc éolien allemand a coûté 850 kilomètres de câbles supplémentaires au prix de quelque 5 milliards d’euros, ce qui, aux dires de la Bundesnetzagentur, ne semble qu’une mise en bouche en regard du programme annoncé !

Apprécier le coût de l’accessoire, la distribution, à l’aune de l’essentiel, la valeur en production ajoutée

En 2021, la thèse de Cécile Fraysse – école PSE d’économie de Paris – sur le plan Messmer cite la déclaration suivante datée de 1999 de Jean Bergougnoux, PDG d’EDF de 1987 à 1994 : sur les 231 milliards de francs de dettes qu’EDF comptabilisait au 31 décembre 1984, la réalisation du programme nucléaire français en avait nécessité 200, soit 65 milliards d’euros 2023. Ainsi, sans crainte de trop s’écarter de la réalité, peut-on considérer pour solde de tout compte que le coût de la mise sur le réseau français de 58 tranches nucléaires n’a pas dépassé les 75 à 80 milliards d’euros exclusivement financés par l’emprunt.

Cette première jauge étalonnée, la suivante ci-après consiste à apprécier la légitimité d’un investissement de 100 milliards d’euros en réseaux électriques, au regard du service réellement rendu par les outils de productions réputés le nécessiter tant en France qu’en Allemagne. L’incontestabilité des chiffres cités est garantie par leur source, l’Entsoe, et, plus parlante, l’unité de puissance installée retenue est celle, n, d’une tranche nucléaire de 900 MW ou 0,9 GW.

France : en 2023, sur une puissance électrique totale de 157 n, près de 22 n d’éolien ont couvert guère plus de 10 % de la consommation nationale, soit 50,8 TWh, et près de 15 n de solaire en ont couvert 4 %, soit 21,6 TWh.

Allemagne : en 2023, sur une puissance électrique totale de 248 n, 70 n d’éolien n’ont couvert guère plus de 26,8 % de la consommation nationale, soit 136,1 TWh, et plus de 64 n de solaire n’en ont couvert que 12,2 %, soit 62 TWh.

Ajoutons à ce surréaliste tableau d’une fuite en avant simili-industrielle que plus éolien et photovoltaïque occupent de la place dans les parcs de production national et européen, plus la stabilités des systèmes électriques concernés est mise en danger, jusqu’à se voir mise en péril quand des proportions prohibitives aujourd’hui largement ignorées sont franchies. Ceci tient au fait maintes fois démontré, y compris par votre serviteur, qu’éoliennes et panneaux solaires sont inaptes à maîtriser l’équilibre production-consommation de tout système électrique, aussi étendu soit-il géographiquement.  

Qui peut encore mettre un terme à cette folie économique aussi périlleuse que grotesque ?    

Il n’est guère contestable que l’État français n’a jamais été aussi exsangue et aussi incompétent. Ce qui ne l’empêche pas de prétendre présider à bon escient et sans partage aux destinées d’une EDF elle-même au bord de la banqueroute et dépossédée de son savoir-faire industriel en moins de 30 ans. Or, le cœur battant de l’économie nationale n’en continue pas moins de se voir enjoint de pérenniser à bon marché l’approvisionnement électroénergétique du pays, tout en modernisant l’outil de production hors de prix qu’il est par ailleurs tenu d’exporter et en s’efforçant de résorber au mieux son énorme dette de 55 milliards d’euros.  

Au début des années 70, relever un tel challenge aurait été à la portée d’une administration Pompidou dont la lucidité et la compétence n’auraient pas traîné à faire un sort au ruineux délire éolien dont il est ici question et même à tirer les enseignements du fourvoiement EPR dans lequel un pays dont l’expertise en déshérence de l’encadrement s’obstine à s’enferrer. Après les fiascos d’Olkiluoto 3 et de Flamanville 3, après l’estimation à 67,4 milliards d’euros de six réacteurs EPR2 vendu initialement à 51,7 milliards, après une dérive à la Flamanville du chantier Hinkley Point C, il y a en effet sérieusement et urgemment lieu de s’interroger.

Mais voilà, le pouvoir des années 2020 n’a plus rien à voir avec celui des années 70. N’ayons pas peur des mots : il est aujourd’hui le pouvoir personnel d’un monarque républicain assisté d’un parlement godillot ne craignant aucune opposition et prenant ses options exécutoires pour de l’omniscience. Récemment, il n’a pas craint de déclarer ceci à ses administrés : Il va coûter cher à la France d’augmenter la cadence de production d’obus destinés à une Ukraine que notre pays a déjà aidé à hauteur de 4,8 milliards d’euros auxquels 3 vont prochainement s’ajouter. Aussi, tout comme le « quoiqu'il en coûte » a permis de maintenir le pays à flot, va-t- il falloir continuer et, pour ce faire, ne pas exclure d’emprunter sur les marchés internationaux…

Ainsi, non seulement ce qui devient possible du jour au lendemain en matière d’alliance militaire de circonstance ne semble toujours pas l’être pour restaurer un appareil électroénergétique en piteux état, mais il en va désormais de ce dernier comme il en va du marché agricole français : la part léonine ménagée à un délétère réseaux de distributions guère regardantes assèche la production essentielle au pays.

Le temps n’a jamais aussi pressé et l’on réalise que la question ci-dessus est surtout celle de savoir s’il est encore possible d’enrayer ladite folie avant 2027.

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