Euthanasie : en marche vers un désastre législatif français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi sur la fin de vie inquiète de plus en plus les soignants.
Le projet de loi sur la fin de vie inquiète de plus en plus les soignants.
©SIMON WOHLFAHRT / AFP

Projet de loi sur la fin de vie

Les amendements et rédactions retenus lors de l’examen du texte sur le suicide assisté par l’Assemblée nationale suscitent l’inquiétude grandissante des soignants comme des experts.

Raphaël  Gourevitch

Raphaël Gourevitch

Raphaël Gourevitch est psychiatre, chef de Pôle au GHU Paris Psychiatrie et neurosciences site Sainte-Anne et co-pilote du groupe « Accès aux soins, parcours de soins et territoires, soins non programmés, urgences, suicidologie » de la Commission Nationale de la Psychiatrie.

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Erwan Le Morhedec

Erwan Le Morhedec

Erwan Le Morhedec est avocat, auteur de "Fin de vie en République, avant d'éteindre la lumière" (Cerf, 2022) et bénévole en soins palliatifs. 

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Atlantico : À l’heure actuelle, en commission, le débat parlementaire sur la fin de vie créé l’inquiétude chez les soignants et les experts. Quels sont les différents amendements apportés, et pourquoi suscitent-ils des craintes ?  

Raphaël Gourevitch : L’intégration dans le code de la santé publique de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide à mourir, ou protocole de mort programmée (l’expression est de ma collègue Faroudja Hocini) est, peut-être pas le plus important en pratique, mais l’un des plus emblématiques de ces amendements. J’adhère absolument à l’idée selon laquelle donner la mort n’est pas un soin. Je dirais même que la seule existence du dispositif va gravement pervertir la relation que nous avons avec tous nos patients, y compris ceux qui n'y auront pas recours : c’est parce qu’il est interdit de favoriser la mort, parce qu’il nous est interdit de renoncer en somme, que nous sommes bien obligés de rester inventifs même dans les situations qui nous mettent en échec.

D’ailleurs, c’est assumé par le législateur, il ne s’agit plus seulement de mettre un produit à disposition, mais « d'accompagner les personnes décidées à̀ abréger leurs souffrances dans un acte fraternel et solidaire ». On dirait le Ministère de la Vérité d’Orwell : il ne suffit pas de qualifier un geste de fraternel pour gommer le fait qu’il s’agit de donner la mort. Mourir entouré et sans souffrance excessive est une demande bien légitime et c’est bien aux médecins d’y répondre. Mais pour cela il faut des soins, dans le registre des affections chroniques, médico-psychologique ou palliatif, or aujourd’hui ils sont inaccessibles au plus grand nombre. Et comme le législateur est bien incapable de résoudre ce problème, il se propose de supprimer les malades pour supprimer le problème.

Je suis également très choqué par la possibilité d’inclure ce dispositif dans les directives anticipées. C’est un exemple typique de ce qu’il faut redouter, sous le masque du respect de l’autonomie. On a vu chez nos voisins belges, des personnes devenues démentes mais désormais non-demandeuses, se voir imposer l’absorption d’un produit mortel, subrepticement ou par la force. Est-ce cela le rôle qu’on souhaite donner à des soignants qui perdront ce beau nom par cette seule action, ou aux proches ?

Autre amendement : l’euthanasie, c’est-à-dire le fait que le produit létal soit administré par un tiers, était présentée au départ comme une alternative par exception en cas d’incapacité physique, ce sera désormais un choix qui peut conduire à toutes sortes de dérives très choquantes.

Encore un exemple : le critère du pronostic vital engagé à « court ou moyen terme », qui était déjà très inquiétant par son flou, est remplacé par celui d'une affection grave et incurable « en phase avancée ou terminale » : mais alors, toute maladie chronique potentiellement fatale sera éligible ! l’insuffisance rénale, l’infection par le VIH… il y a eu des humoristes pour dire que la vie elle-même est une maladie incurable !

Il y a également des modifications dans les délais qu’en outre le médecin a « la possibilité́ de réduire ou supprimer (…) s'il estime que celui-ci n'est pas nécessaire ». Quelle toute-puissance donnée au médecin, et quelle méconnaissance de l’ambivalence humaine !

Et on parle même maintenant de délit d’entrave, on voit bien la référence sophistique à l’IVG : si j’incite une personne qui demande la mort à solliciter des soins, je commettrai donc un délit ?

Erwan Le Morhedec : La vive inquiétude relève d'un effet qui n'était pas trop compliqué à anticiper. Le gouvernement et la majorité parlementaire ont perdu tout contrôle sur ce texte. En conséquence, la commission spéciale est en réalité en train d'aggraver tout ce qui pouvait être aggravé et de faire sauter les maigres verrous qui figuraient dans le projet de loi du gouvernement. On est dans une situation où, en pratique, vous avez un élément fondamental. Le critère de l'engagement du pronostic vital a été supprimé hier. Le critère était déjà discutable parce qu'aucun médecin n'est en mesure d'apporter un pronostic fiable à moyen terme. Et donc la décision qui a été prise a été de supprimer ce critère pour le remplacer par une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale. Dorénavant, ce qui est envisagé, c'est une euthanasie sans engagement du pronostic vital. C'est déjà un point fort et grave, sachant que la phase avancée médicalement cela n'a pas de sens. On ne sait pas ce que c'est précisément. Donc très clairement, alors que le projet de loi qui est intitulé projet de loi sur la fin de vie, on aura des euthanasies qui pourront être réalisées alors que la personne n'est pas en fin de vie. Il n'y a simplement qu'une maladie grave. 

Un autre point important a été supprimé, c’est celui du délai. Emmanuel Macron avait dit dans son interview à La Croix et à Libération qu'il fallait 48 heures pour tester la solidité de la détermination. C'est déjà un délai qui, en pratique, est ridiculement court. En tant que bénévole en soins palliatifs, j'ai rencontré des personnes dont la détermination à mourir était indubitable dans une période de 48 heures et qui ont changé d'avis ensuite. La commission spéciale a supprimé ce délai de 48 heures. Donc il n'y aura plus besoin de délai de réflexion alors qu'on peut penser que deux jours pour confirmer ou ne pas confirmer une demande de mort, ça n'était déjà pas extrêmement exigeant. 

Je vous citerai un dernier point qui n'est pas le moindre. La commission spéciale a supprimé ce qui était présenté comme une exception française : en cas d’impossibilité de s’administrer le produit létal, elle se ferait par un tiers. Désormais, le patient choisira lui-même s'il veut un suicide assisté ou une euthanasie, ce qui signifie que dans 90% des cas, ce sera une euthanasie. Ce sont des statistiques qui ressortent des expériences étrangères. 

Comment le gouvernement et la majorité présidentielle ont perdu le contrôle de cette commission ? 

Erwan Le Morhedec : Simplement parce que la commission spéciale est composée par les groupes parlementaires en proportion de leur nombre de députés et la majorité présidentielle n'a pas de majorité absolue. Ensuite, sur ce sujet, les majorités se croisent dans les partis. Vous avez des députés communistes qui sont opposés à ce projet de loi, mais vous avez des personnes chez Les Républicains qui sont susceptibles d'y être favorables. Très clairement, hier, lorsqu'il y a eu la suppression du pronostic vital engagé, Agnès Firmin-Le Bodo a dit que ce n'est plus le texte d'équilibre de la majorité, ce n'est plus le texte du gouvernement. On est dans une surenchère à la permissivité et une surenchère où chaque député essaie de faire voter son propre petit amendement qui permet d'élargir à chaque fois pour pouvoir se prévaloir d'être à l'origine d'un élargissement. Le cumul de tous ces élargissements est en train de dessiner probablement le texte le plus permissif au monde sur le sujet. On est déjà clairement dans une situation où notre texte est plus permissif que le texte belge et probablement aussi que le texte canadien, qui sont pourtant déjà tous les deux des références.

Ce texte de loi qui se voulait équilibré devient de plus en plus radical. Sommes-nous en train de construire le texte le plus permissif du monde sur la fin de vie ? 

Raphaël Gourevitch : Équilibré, en fait, il ne l'a jamais été puisque dès le début l’objectif était fixé et que nous n’avons (rarement) été interrogés que sur les modalités d’application. Pourtant le principe même de donner ou de favoriser la mort aurait mérité un peu de réflexion, c’est bien le moins !

On a beaucoup entendu qu’il fallait aller « plus loin » que la loi Clayes-Leonetti, mais ce n’est pas plus loin que nous allons, c’est tout à fait ailleurs. Il n’y a strictement rien à voir entre, d’une part refus de l’acharnement thérapeutique ou sédation profonde au risque de hâter le décès, et d’autre part le provoquer intentionnellement : c’est une confusion trop souvent entretenue. Soulager jusqu’à la mort d’un côté, donner la mort de l’autre, ça n’est pas pareil !

Une fois ceci posé, il est parfaitement exact qu’on est en train de créer le dispositif le plus permissif et j’ose dire le plus incitatif du monde. En fait ce texte est une véritable injonction faite aux plus vulnérables de débarrasser le plancher, leur vie étant clairement désignée comme ne méritant pas d'être vécue, surtout si c’est aux frais de la princesse. Comment les sujets âgés, vivant dans la solitude ou nécessitant des soins coûteux et de longue durée, ne comprendront-ils pas que le message implicite est qu'il vaut mieux en finir ? En outre en présentant ces demandes comme « raisonnables », on méconnait que le grand âge, la maladie somatique ou la douleur chronique sont des facteurs de risque de dépression et d’idées suicidaires clairement identifiés par la littérature scientifique : le psychiatre que je suis est épouvanté qu’au lieu de diriger ces personnes vers les soins, physiques et psychiques, qui probablement les soulageraient, on leur suggère le suicide.

Plus globalement, pensez-vous que nous pouvons revenir à un texte plus équilibré ou est-ce que nous nous dirigeons vers un fiasco législatif ?

Raphaël Gourevitch : Selon moi, ce fiasco législatif a commencé dès la Convention Citoyenne : convenons que sa constitution a posé question, et que sa mission était téléguidée. Ensuite, la « co-construction » dont s’enorgueillit celle qui entre-temps est opportunément devenue présidente de la commission spéciale ad hoc, est une illusion : on ne sait pas qui était convoqué ni sur quels critères, il n’y a jamais eu de comptes-rendus, et les voix dissonantes disparaissaient des mailing lists, on fait mieux en termes de transparence ! Plus tard, faire figurer dans la même loi le développement des soins palliatifs qui est une priorité absolue, et ce dispositif qui est leur négation, est profondément malhonnête. Enfin si on nous oppose la volonté populaire c’est-à-dire celle des bien-portants, rappelons que l’abolition de la peine de mort s’est faite contre l’opinion publique laquelle n’est pas toujours le meilleur guide. Le rôle du politique n’est-il pas de guider et de faire des arbitrages ? Se contenter de flatter le peuple, cela a un autre nom.

Demander l’invraisemblable pour obtenir l’inacceptable, c’est une tactique vieille comme le monde, mais dans le cas présent les promoteurs demandent l’invraisemblable et obtiennent l’inimaginable.  De toute façon, retrouver l’équilibre quand on marche sur la tête c’est difficile. Renoncer à l’interdit de tuer, et même s’en glorifier sous de faux prétextes, c’est une véritable rupture anthropologique comme très brillamment énoncé par Leonetti lui-même. Une fois franchi cet interdit fondamental, l’abandon de tous les pseudo-gardes-fous est inéluctable: il s'agit, non d’une dérive, mais d’une évolution naturelle et prévisible. Une fois qu’un verrou a sauté, la porte s’ouvre en grand, quoi de plus attendu ? C’est ce qui a été constaté partout dans le monde où ce dispositif est déjà à l’œuvre. Ce qui est frappant chez nous c’est que cette évolution a lieu en accéléré et avant même la première application.  Nous sommes assez nombreux à l’avoir prévu, mais pas si vite. Finalement, paradoxalement, c’est peut-être une raison ou même la seule raison d’espérer : si le loup sort du bois avec si peu de précaution, on verra son vrai visage dès à présent, et peut-être que cela fera changer d’avis des personnes jusque-là trop peu informées ? C’est ce que je veux croire.

Erwan Le Morhedec : Ma propre appréciation de ce texte est qu'il est mauvais par essence. Donc il ne peut rien ressortir de bon du débat parlementaire, parce qu'à part écarter ce texte, il n'y a guère de solution favorable. Mais aujourd'hui, nous sommes au début du processus législatif. Il va y avoir une discussion en séance publique à l'Assemblée nationale, puis cela partira au Sénat, qui pratiquera de la même manière, donc avec une commission spéciale et une discussion. Puis le texte reviendra en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Donc il y a encore un parcours assez long du texte. Mais c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot. Et compte tenu de ce que l'on voit, il y a assez peu de raisons d'espérer que le texte final soit meilleur que ce qui est en train de sortir de la commission spéciale. Et de toute manière, le projet de loi du gouvernement en lui-même était déjà un projet de loi très permissif avant même l'examen dans la commission spéciale. Donc il est certain que ce texte va fracturer. Et quand on le compare avec les lois Leonetti qui avaient pu être votées à l'unanimité, nous serons évidemment très loin d'une telle unanimité sur ce sujet.

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