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Sans doute même les plus chauds supporters des Bleus étaient un peu gênés, et surtout frustrés : la partie venait de perdre subitement et rapidement le sel du grand affrontement annoncé, le choc des titans, la superbe affiche de gladiateurs placardée sur tous les écrans depuis trois jours : Cristiano contre Antoine, le champion consacré contre le champion naissant, le roi multi-couronné contre le petit prince, l&rsquo;âme du Portugal contre l&rsquo;âme de la France. Des commentateurs, plus embarrassés, évoquaient l&rsquo;hypothèse dérangeante d&rsquo;un &laquo; contrat sur Ronaldo &raquo; comme il en existait, paraît-il, jadis au football : éliminer d&rsquo;emblée le meilleur joueur adverse est évidemment une solution tentante dans un match aussi capital qu&rsquo;incertain. Mais, juré-craché, ces temps sont révolus&hellip;&nbsp;Et la version &laquo; footballistiquement correcte &raquo; s&rsquo;est imposée très vite, tant les enjeux commerciaux et nationaux étaient considérables : &laquo; Ronaldo sorti sur blessure à la 25ème minute &raquo; ; &laquo; coup dur pour Ronaldo &raquo; etc. Et de verser des larmes de crocodile sur la &laquo; sortie prématurée du meilleur joueur du monde &raquo;. A entendre ces commentaires, si l&rsquo;on n&rsquo;avait pas vu le début de la première mi-temps, l&rsquo;on pouvait croire à une glissade malheureuse, à un genou tordu dans un crochet manqué, à une chute mal amortie sur ces maudites pelouses&hellip; Ah oui certes, il y avait eu un &raquo; &laquo; gros contact &raquo; (sic) avec Payet (et Evra, coutumier des chocs rudes et curieusement oublié dans le récit) à la 8e minute. Un accident sans responsable en somme. La fatalité pour tout dire. En rhétorique cela s&rsquo;appelle un euphémisme ou plutôt un déni. Déni d&rsquo;image aussi, tant l&rsquo;action coupable sera la grande oubliée des innombrables &laquo; replay &raquo; : toujours et partout le spectacle d&rsquo;un Ronaldo en larmes ; mais rien sur ce qui les aura causées.&nbsp;Les images - qu&rsquo;il fallait aller chercher sur les chaînes étrangères - &nbsp;ne laissent hélas aucun doute sur l&rsquo;agression caractérisée contre Ronaldo. Le football en donne encore trop souvent l&rsquo;exemple. Mais l&rsquo;on croyait au moins que l&rsquo;arbitre était là pour sanctionner. Eh bien non, rien. Ni carton, pas plus jaune que rouge, ni même coup-franc. L&rsquo;on ne comprend toujours pas le refus têtu de la vidéo, qui rend tant service au tennis et plus encore au rugby où &laquo; les gros contacts &raquo; ne manquent pas. A moins que cette absence ne permette justement les grands et les petits arrangements ? L&rsquo;arbitraire en lieu et place de l&rsquo;arbitrage, en somme ? En tout cas l&rsquo;on ne s&rsquo;y prendrait pas autrement si l&rsquo;on voulait revenir au calamiteux catenaccio d&rsquo;autrefois, dont cet Euro 2016 semble d&rsquo;ailleurs annoncer le triste retour. L&rsquo;affaire laisse un goût d&rsquo;autant plus amer que la France est hantée depuis plus de 30 ans par le souvenir d&rsquo;un autre &laquo; gros contact &raquo;, lui aussi non sanctionné : celui de Schumacher avec Battiston lors de la coupe du monde 1982. De ce choc-là, les images continuent à tourner en boucle.En tout cas la fête a été gâchée, comme le match, qui a perdu, dès la sortie de Ronaldo, son rythme ; et l&rsquo;équipe de France elle-même, l&rsquo;allant et la fraîcheur juvénile qui nous avaient tant réjouis. Certes, dans les dernières minutes du temps réglementaire un vent de folie est revenu souffler sur le stade de France. Mais le beau football n&rsquo;est pas revenu avec lui. Comme parti en même temps que l&rsquo;un de ses héros. Comme si les Dieux du sport se détournaient d&rsquo;un match qui ne respectait pas les règles. Il est vrai, dira-t-on, que le football n&rsquo;est pas vraiment un sport mais une forme adoucie de la guerre : l&rsquo;aveuglement chauvin qui s&rsquo;est emparé du public et de certains commentateurs pour qui &laquo; ce qui est arrivé à Ronaldo fait, hélas, partie du jeu &raquo; n&rsquo;en est-il pas la preuve ?&nbsp;Mais même la guerre a ses règles : Achille ne faisait pas de croche-pied à Hector et David, de tacle par derrière à Goliath. Les Dieux ont donc fini par se fâcher contre la France : en prenant un malin plaisir à dévier les tirs les mieux cadrés ; en accordant leur toute-puissance au gardien portugais qui ne touchait plus terre. Et en donnant in extremis le but de la victoire à l&rsquo;équipe victime.&nbsp;

Petite anthologie du "footballistiquement correct"

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Certes, la langue de bois a une large place dans la rhétorique de nos footballeurs. C&rsquo;est le cas des sélectionneurs qui, comme les politiques, ne veulent pas dévoiler leur jeu à l&rsquo;avance. Tout comme un Président qui entretient le suspense sur le futur remaniement, le sélectionneur garde jalousement le secret de sa prochaine équipe (Ah ! le fameux &laquo; dispositif &raquo; !), quitte à meubler une conférence de presse entière de généralités et de tautologies : &laquo; quand un match n&rsquo;est pas joué il n&rsquo;est pas gagné &raquo; ; &laquo; il n&rsquo;y a pas de petits adversaires &raquo;, &laquo; ce qui s&rsquo;est passé, on ne peut pas le changer &raquo; etc. Didier Deschamps est sans conteste champion en la matière : celui qui lui fera avouer quel sera son choix, de Rami ou d&rsquo;Umtiti,, de Sissoko ou de Kanté, n&rsquo;est pas encore né. L&rsquo;interpellation, toujours souriante, des journalistes est un de ses tours préférés : &laquo; vous le ne saurez pas, même si vous insistez &raquo;. Fermez le ban. Mais l&rsquo;homme a plus d&rsquo;une balle dans son fusil rhétorique : il manie la litote avec aisance (&laquo; les Islandais ne sont pas en &frac14; de finale par hasard &raquo;) ; l&rsquo;euphémisme (&laquo; on s&rsquo;est dit des choses à la mi-temps &raquo;) ; et l&rsquo;image lui vient volontiers : &laquo; il a fallu secouer le cocotier &raquo;. Une telle panoplie devait nécessairement en faire un des personnages préférés de Nicolas Canteloup.Mais rien ne vaut les commentaires des &laquo; experts &raquo;. Les médias rivalisent de plateaux prestigieux où anciens internationaux débattent avec des journalistes sportifs ou même des &laquo; people &raquo; sur les mérites respectifs des joueurs et des équipes. Mention particulière doit être faite de la très populaire &laquo; Dreamteam &raquo; de BFM TV animée avec brio par Jean-Baptiste Boursier, qui passe aussi bien la parole que Payet le ballon, et qui lorsque le débat s&rsquo;étiole devient un grand relanceur comme le Pogba des meilleurs jours. Arbitre également à ses heures, lorsque ces garçons éternels que sont les &laquo; footeux &raquo; tombent dans une cacophonie de cour de récré. Assurer une telle fluidité de l&rsquo;émission dans de telles conditions relève du grand art.Car ils ne sont PAS d&rsquo;accord, les garçons, mais alors pas du tout : partisans du &laquo; 4-4-2 &raquo; contre fanatiques du &laquo; 4-3-2-1 &raquo;, supporters de l&rsquo;attaque &laquo; dans l&rsquo;axe &raquo; contre stratèges du débordement latéral, théoriciens de la &laquo; sentinelle &raquo; contre théologiens du milieu offensif, adeptes de la &laquo; folie dans le jeu &raquo; contre sages de la patience constructive ; sans compter les pour &laquo; Matuidi à gauche &raquo; et les pour &laquo; Matuidi à droite &raquo;, les pro et les anti Pogba, les Sissokophiles et les Sissoko-sceptiques, les inconditionnels de Griezmann et les inquiets pour Griezmann&hellip; Tous s&rsquo;envoient des escadrilles d&rsquo;arguments puisant dans la grande histoire du football (de la coupe du Monde 1958 au dernier match de Leicester) comme dans la psychologie individuelle et collective ; et bien sûr dans la technique invoquée tous azimuths, quitte à noyer le profane (que je suis) sous le calcul savant des &laquo; intervalles &raquo;, la sophistication des arrières &laquo; coulissants &raquo; et autres &laquo; dispositifs en losange &raquo;.&nbsp;Et, dans l&rsquo;empoignade générale, les contre-arguments se multiplient sur le plateau comme les contres sur le terrain :Réfutation factuelle : &laquo; Mais non, voyons, à Arsenal il joue à gauche &raquo;.&nbsp;Minimisation : &laquo; Oui, il a touché beaucoup de ballons mais il n&rsquo;en a pas fait grand-chose &raquo;Marginalisation : &laquo; Le talent c&rsquo;est bien, mais l&rsquo;essentiel c&rsquo;est l&rsquo;envie &raquo;&nbsp;Contextualisation : &laquo; Allons ! On ne peut pas comparer un match de Ligue 1 et un quart de finale de l&rsquo;Euro &raquo;Raisonnement par l&rsquo;absurde : &laquo; Si on suit ta logique, on sort Kanté que tu avais pourtant mis au centre de ton dispositif &raquo; &nbsp;Reformulation : &laquo; en football, il n&rsquo;y a pas de certitudes mais il y a des confirmations &raquo;Péjoration : &laquo; Ce n&rsquo;est pas un joker, c&rsquo;est un pis-aller &raquo;Antiphrase : &laquo; C&rsquo;est vrai que la France a rencontré jusqu&rsquo;ici des équipes de premier plan ! &raquo;Le procédé favori est celui de la substitution, car chacun tient à placer son idée ou son homme : &laquo; Et si on parlait du vrai problème : la défense ! &raquo; ; &laquo; Bon, on a beaucoup parlé de Pogba, mais le vrai sujet c&rsquo;est Matuidi &raquo; ; &laquo; On est bon face à l&rsquo;Islande d&rsquo;accord, mais ce qui compte c&rsquo;est face à l&rsquo;Allemagne etc. &raquo; &nbsp;&nbsp;Qui dira désormais que le football n&rsquo;est pas un sport savant ? Et que l&rsquo;homme n&rsquo;est pas décidément un animal interprétatif ?&nbsp;

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De la richesse rhétorique du football

Euro 2016 : petit debrief rhétorique de nos debriefeurs de matchs

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Euro 2016 : petite anthologie du "footballistiquement correct"

On ne sait pas toujours en France que les Britanniques sont des champions d&rsquo;éloquence. Leurs élites, éduquées à Oxbridge mais aussi dans bien d&rsquo;autres universités, ont droit, à la différence des nôtres, à des enseignements poussés en la matière, sans compter les innombrables clubs et concours que les meilleurs élèves fréquentent là-bas dès le secondaire. Il suffit de comparer un débat aux Communes et à l&rsquo;Assemblée nationale pour mesurer la différence de qualité oratoire entre les deux rives du Channel. Chez nous, les grands tribuns se comptent sur les doigts d&rsquo;une main (ce ne fut pas toujours le cas). On sera charitable en n&rsquo;établissant pas de liste comparative, mais l&rsquo;on se contentera de renvoyer le lecteur aux deux discours post-Brexit de nos responsables suprêmes : celui de David Cameron et celui de François Hollande.&nbsp;Mais voilà : pourquoi justement un aussi bon orateur que David Cameron a-t-il été si mauvais durant la campagne du référendum ? Un référendum qu&rsquo;il a lui-même décidé dans le timing qu&rsquo;il a lui-même déterminé ? Et pourquoi, plus généralement, le camp du Remain a-t-il été aussi inefficace ? Certes, le défi n&rsquo;avait rien de facile, compte-tenu de l&rsquo;euroscepticisme congénital du Royaume Uni (ou du moins de l&rsquo;Angleterre) et de la véritable europhobie qui s&rsquo;est emparée d&rsquo;une partie du pays depuis quelques années. Mais il y avait en face de non moins solides partisans du maintien dans l&rsquo;Europe, depuis les classes aisées londoniennes jusqu&#39;à l&rsquo;Ecosse europhile, en passant par une jeunesse acquise en grande majorité à la cause européenne (ce qui n&rsquo;est pas le cas partout). Or, c&rsquo;est justement quand les deux camps s&rsquo;équilibrent que les maîtres de la parole l&rsquo;emportent.&nbsp;De fait, la campagne du référendum a été une superbe démonstration de la validité des lois de la rhétorique, établies par Aristote il y a un peu plus de 2300 ans. Avis aux gourous de la &laquo; communication politique &raquo; !Tout d&rsquo;abord la &laquo; probité &raquo; de l&rsquo;orateur est décisive. Il faut être convaincu pour convaincre. En l&rsquo;occurrence le passé eurosceptique et le double langage de David Cameron sur l&rsquo;Europe en faisaient un très mauvais chef de son camp, comme Jacques Chirac le fut du sien en 2005. Bien sûr, la probité n&rsquo;est pas ce qui caractérise les leaders de l&rsquo;autre camp et l&rsquo;on commence à en mesurer les colossaux mensonges : mais leur conviction nationaliste, elle, ne fait aucun doute. Inversement, le référendum français de 1992 a dû le succès (ric-rac) du &laquo; oui &raquo; au talent oratoire de François Mitterrand, décuplé par une vraie foi européenne. Il faut rappeler ici, fait peu connu, qu&rsquo;à la veille de son débat historique avec Philippe Seguin, des sondages confidentiels annonçaient le &laquo; non &raquo; victorieux.Deuxièmement, les partisans du Remain ont oublié la leçon d&lsquo;Aristote sur les registres du discours : le caractère et les valeurs de l&rsquo;orateur (ethos) ; la raison (logos) et les émotions du public (pathos). Tout bon discours doit mêler les trois. Or deux erreurs ont été commises par le camp du Remain : l&rsquo;insistance sur la rationalité (voir tous ces &laquo; argumentaires &raquo; économiques fournis en masse par le FMI, la Banque d&rsquo;Angleterre ou la Commission européenne), rationalité qui pèse toujours peu face à la puissance des émotions collectives.&nbsp;Mais il faut aller plus loin : le camp du Remain (comme le camp du &laquo; Oui &raquo; français en 2005) a bel et bien, quoiqu&#39;on en dise, joué sur les émotions : en l&rsquo;occurrence, la peur. Peur de la fuite des cerveaux, de la perte de pouvoir d&rsquo;achat, de la fin de la City et des voyages en douce France et au soleil d&rsquo;Espagne ! Mais voilà : cette peur ne pesait guère face à une peur bien plus grande, agitée sans réserve et sans scrupule par le camp du Brexit : celle de perdre sa souveraineté et son identité. Surtout chez un peuple aussi fier et insulaire que les Anglais.&nbsp;Face à cela, comme dans la France de 2005, le camp du Remain n&rsquo;a pas su opposer le seul remède efficace contre la peur : ouvrir une perspective et susciter un espoir. F. Mitterrand avait ainsi &laquo; mis le paquet &raquo; en 1992 sur les chances que donnait l&rsquo;Europe à la jeunesse, d&#39;Erasmus aux voyages bon marché. Car l&rsquo;homme - et c&rsquo;est tant mieux- préfère toujours désirer que craindre.Leçon à méditer par nos propres candidats, aux primaires comme à la présidentielle.

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"Brexit" Britannia dixit ou le naufrage rhétorique du camp du "Maintien"

"Brexit" Britannia dixit ou le naufrage rhétorique du camp du "Maintien" dans l’Europe