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Les biographies d'hommes célèbres ne se sont jamais aussi bien vendues.
Les biographies d'hommes célèbres ne se sont jamais aussi bien vendues.
©Reuters

Atlantico Lettres

Proust, Lawrence d’Arabie, Henri III, Guillaume II, et plein d’autres, ils sont tous bios comme des camions ! Une chronique, comme chaque semaine, du journal "Service Littéraire".

Jacques Aboucaya

Jacques Aboucaya

Écrivain et journaliste, dernier ouvrage paru : “Éloge de la trahison” au Rocher.
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Niveleuse, égalitariste. Telle est, chez nous, la pensée dominante. Le héros la hérisse. Son idéal, que pas une tête ne dépasse. Sa phobie, le particulier. Elle le noie dans le général, le dissout, l’anéantit. Lui dénie toute influence. Elle raisonne par catégories. C’est la faute de l’École des Annales qui a déclaré la guerre à l’histoire événementielle. Et, par voie de conséquence, à ses acteurs. Il est aujourd’hui question de faire passer à la trappe, dans les programmes scolaires, certains d’entre eux, et non des moindres : Jeanne d’Arc, Napoléon. On les remplacera par des abstractions grandioses. Des mouvements d’idées. Ainsi va le progrès de l’intelligence. Pourtant, la biographie remonte à la plus haute antiquité. Parmi les premiers champions du genre, Suétone et Plutarque, l’auteur de la Vie des hommes illustres (« Mieux vaut Plutarque ? Jamais ! », dicton latin résolument apocryphe, attribué à ses détracteurs). Elle a prospéré au fil des siècles. Les Américains s’en sont fait les champions méticuleux. Ils en nourrissent d’impressionnants pavés. De la moindre note de blanchisseuse, ils tirent un chapitre entier. Nombreux, chez nous, ceux qui tentent de les égaler. C’est que les peuples ont besoin d’admirer. Et même de s’identifier à un modèle. La vie des grands les fascine. Des grands et des moins grands, pourvu que la célébrité les ait effleurés de son aile. D’où le succès actuel des vies de stars, du cinéma ou du sport. Le genre ne s’est jamais mieux porté. Il embrasse les plus vastes domaines. Avec des bonheurs divers. Parfois, une complaisance certaine envers le voyeurisme. C’est pourquoi, parmi les productions récentes, on ne retiendra ici que la fine fleur.

Et d’abord Michel Erman. Il n’en finit pas d’explorer Proust, en tout sens, sous toutes les coutures. Il voit en lui « un être terrifiant et tragique », subit de sa part une fascination qu’il fait partager à son lecteur. Le centenaire du “Côté de chez Swann” lui fournit l’occasion de donner une nouvelle édition, revue et corrigée, de son Marcel Proust” paru chez Fayard en 1994. Entreprise en tous points louable. Elle replace l’homme et l’œuvre dans le contexte social et politique (l’affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale), montre l’originalité de l’une et de l’autre, insiste sur le sentiment du tragique qui animait l’auteur de la “Recherche”.

Peu de points communs entre Proust et Lawrence d’Arabie, sinon un penchant pour les éphèbes et les garçons de bains. À la vie confinée du premier, s’oppose l’existence aventureuse, voire tumultueuse de l’autre. Michel Renouard consacre à ce dernier un essai qui vient grossir la copieuse collection Folio Biographies de Gallimard. Encore une réussite. Le biographe ne cèle rien de « cet homme discret, compétent, généreux, toujours souriant, d’humeur égale et humble ». Il a le mérite de faire litière d’un certain nombre de légendes et, surtout, de ne pas chercher à élucider les zones d’ombre lorsque rien ne lui permet d’étayer ses hypothèses. Autant dire qu’il ne tente pas de percer à jour un personnage dont subsiste une bonne part de mystère.

On ne cèdera pas à la tentation facile d’enchaîner avec la biographie d’Henri III, amateur, comme on sait, de bilboquet et de mignons. Cette mauvaise langue d’Alexandre Dumas n’est pas étranger à la fâcheuse réputation qui lui reste attachée. Dieu merci, Michel Pernot rétablit la vérité historique. Son “Henri III, le Roi Décrié” est une réhabilitation brillante, érudite, précise jusqu’à la minutie, d’un souverain « épris de paix (...), doté d’une réelle intelligence politique. »

Même acuité d’analyse chez Charles Zorgbibe. Même capacité de replacer son sujet dans un vaste contexte.Guillaume II, le dernier empereur allemand”, apparaît sous sa plume comme un être plein de contrastes. Une intelligence rapide, une inclination à la paix, mais une fragilité à la fois physique et nerveuse. En toile de fond, le rêve hégémonique de l’Allemagne que viendra briser le premier conflit mondial. Un essai qui fera, à coup sûr, référence.

Références : Marcel Proust, une biographie, de Michel Erman, la Table Ronde, 374 p., 8,70 €. Lawrence d’Arabie, de Michel Renouard, Folio biographies, 312 p., 8,70 €. Henri III, le Roi Décrié, de Michel Pernot, de Fallois, 478 p., 25 €. Guillaume II, le dernier empereur allemand, de Charles Zorgbibe, de Fallois, 398 p., 24 €.

Source :Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Eric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc. Pour vous abonner,cliquez sur ce lien.

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