Claude Durand : un agent de Soljenitsyne au cœur des pavillons de banlieue <!-- --> | Atlantico.fr
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Une zone pavillonnaire aux Etats-Unis.
Une zone pavillonnaire aux Etats-Unis.
©Reuters

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Toutes les semaines, le journal Service Littéraire vous éclaire sur l'actualité romanesque. Aujourd'hui, retour sur "Le Pavillon des Écrivains" de Claude Durand.

Frédéric Vitoux

Frédéric Vitoux

Frédéric Vitoux est écrivain et journaliste pour le journal Service Littéraire. Dernier ouvrage paru : “Voir Manet” chez Fayard.

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On s’épargnera ici la peine de rappeler la carrière de Claude Durand qui a compté parmi les éditeurs les plus importants – et les plus courageux – des dernières décennies, du Seuil à Fayard. On ne devient pas l’agent de Soljenitsyne par hasard. Longtemps, ces années-là, il avait mis son activité d’auteur en sommeil, sachant d’expérience à quel point il est difficile de concilier les deux rôles. Aujourd’hui il a pris du recul avec l’édition. Ou repris sa liberté, ou sa plume, comme on veut. Soucieux de son seul bon plaisir – et par conséquent du nôtre. Pour preuve ce “Pavillon des Écrivains”, avec les bonheurs, les impertinences, les sarcasmes, l’humour, les colères, les désabusements, les coups de sang de ses innombrables digressions. En un sens, il n’y a rien de stendhalien chez Claude Durand, au sens où le romancier privilégie la vitesse d’énonciation, promène son fichu miroir le long du chemin, au galop si possible, et basta ! Lui, il baguenaude au contraire, s’arrête, se retourne, s’engouffre dans tous les chemins de traverse pour humer l’air du temps (même si cet air lui semble nauséabond).

Son héros-narrateur, un jeune historien en résidence dans le pavillon d’écrivains d’une banlieue dont le maire vient d’être assassiné, le dit fort bien, à sa manière, quand il emprunte les transports en commun. « À l’heure où des haillons de rêve s’accrochent encore à la conscience, une partie de moi prête cas à ce qui m’entoure et à ce qui défile de part et d’autre du parcours, mais une autre se laisse porter par les associations d’idées, et raconter ce qui se passe dans ma tête quand je crois ou prétend croire que je ne pense à rien serait comme laisser tourner une caméra après le clap de fin de séquence (…) ». Voilà ! Claude Durand laisse toujours tourner sa plume, entre deux péripéties. Mais attention toutefois ! Il ne néglige pas pour autant son histoire ou le trajet de son roman, qui demeure des plus savoureux : le récit de cet assassinat, les zones d’ombre autour de la victime, les revirements de ces hommes politiques du xxe siècle, qui sont passés par toutes les couleurs du spectre, par tous les reniements opportuns, d’un totalitarisme à l’autre, jusqu’au confort de l’embourgeoisement centriste.

Claude Durand n’est pas d’une indulgence excessive pour ses contemporains. Mais encore une fois, il y a, autour de son intrigue, tout ce qui l’étoffe, la drape ou la rend plus significative encore. Il y a, chez Claude Durand, une façon de se saisir du moindre incident, j’allais dire du moindre mot, pour se lâcher, pour pester contre les répondeurs téléphoniques, les gosses qui jouent dans l’ascenseur, les conducteurs d’autobus trop brusques, les employés de mairie qui n’en fichent pas une rame, les fonctionnaires qui fonctionnarisent, mais aussi, plus gravement, pour démasquer la médiocrité envahissante d’une France engluée dans ses renoncements. Ce qui, d’un côté, ralentit l’action, est aussi ce qui donne à ce livre sa tonicité, sa vigueur, sa capacité d’indignation – le regard de Claude Durand, pour tout dire. Allons ! Tout n’est pas à désespérer, qui permet à un tel livre d’exister…  

A lire : Le Pavillon des Écrivains, de Claude Durand, éditions Bernard de Fallois, 332 p., 20 €.

Source :Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Eric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc. Pour vous abonner,cliquez sur ce lien.

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