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La "gamification" de l’info intronisée en France
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La minute "Tech"

Traiter l’actualité comme un jeu, CNN l’a fait en 2008. Mais voici que « Le Monde » s’y met. Alors, forcément, les polémiques qui font rage aux États-Unis vont traverser l’Atlantique…

Nathalie Joannes

Nathalie Joannes

Nathalie Joannès, 45 ans, formatrice en Informatique Pédagogique à l’Education Nationale : création de sites et blogs sous différentes plates formes ;  recherche de ressources libres autour de l’éducation ;  formation auprès de public d’adultes sur des logiciels, sites ;  élaboration de projets pédagogiques. Passionnée par la veille, les réseaux sociaux, les usages du web.

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Baston d’enfer chez les gourous yankees du web à propos de la gamification (prononcez : « guaimificaichioenn ») ; ça consiste à scénariser la guerre en Libye comme pour une Xbox, mais sur un site d’information.

Tout a commencé le 8 avril dernier à cause d’une conférence organisée par le Centre de Journalisme de l’Université du Minnesota. Thème du jus de crânes : « Mais pourquoi donc les rédactions sont-elles si réticentes à l’idée pourtant intéressante de faire jouer le public avec leurs informations ? » Réponse résumée par Chris O’Brien sur le blog du « Laboratoire à idées » de PBS : « Les journalistes sont trop intellectuellement constipés. Ils n’ont pas compris que l’écrasante majorité du peuple américain s’adonne aux jeux vidéo, et que donc, ils devraient s’y mettre, eux aussi... »

Si CNN s’y est mis…

« Fuck the gamification ! » vocifère Paul Carr dès le 10 avril dans le très influent TechCrunch. En réalité, il a écrit textuellement ceci: « Les crétins ont besoin d’une actu gamifiée ?  Well, fuck ‘em ». Et de citer un passage d’une épître de Saint Paul aux Corinthiens (13.11) : « Quand j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je comprenais et jugeais comme un enfant; quand je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant ». Traduction du grec: devenu adulte Paul de Tarse dont l’année jubilatoire était en 2008-2009, a renoncé aux enfantillages.

Alors que Chris O’Brien s’embourbe grave dans la crise de la presse et la nécessité pour les journalistes de suivre leurs lecteurs scotchés à leurs PlayStation, Paul Carr lui assène cet uppercut façon Joe Pesci dans « Casino »: « Fuck you !... ça me gonfle qu’on insulte la Réalité ».

Or, il appert – du verbe apparoir – que si le réel gifle parfois de prétentieux éditorialiste bouffis de suffisance, c’est bien parce que la réalité est depuis trop longtemps insultée par ce que les décérébrés de l’audiovisuel appellent « l’actualité sur un ton décalé ». Parangon de l’info continue dans les années quatre-vingt mais de plus en plus décalée face à la montée en puissance d’Al Jazeera, CNN a fait jouer ses internautes lors de l’élection présidentielle de 2008. Ne pouffez pas: c’était une partie de ping pong entre les différents candidats aux primaires.

Plus sérieusement, d’autres sites d’information ont essayé de conduire leurs audiences dans les arcanes de la complexité en les agrippant au porte-monnaie: « Pour savoir où va chaque dollar que tu paies en impôts, construis toi-même le budget de la Nation, p’tit gars… » Aucun héros budgétaire n’a pu rivaliser avec le Républicain Paul Ryan qui, rien que pour embêter Obama en taillant dans les dépenses fédérales, réussit à supprimer le Pentagone. Oups.

Il y a même eu un livre, publié en octobre 2010 par des penseurs de l’avenir de l’information, qui expliquent aux journalistes pourquoi et comment ils doivent se gamifier de toute urgence. Question de survie: attirer vers leurs sites d’information des jeunes adultes qui ne s’intéressent pas spontanément à l’actualité et les transformer, grâce aux jeux, en accrocs de l’info (newsjunkies)  Dans la foulée, pour les cas où les jeunes adultes volontairement sous-informés seraient encore réticents, une équipe de développeurs déploie un catalogue des jeux persuasifs. Carrément.

… « Le Monde » s’y met aussi

En France, le débat ludologique (de ludique = jeu) sera plus intellectuel puisque ce territoire abrite le peuple le plus intelligent de la Terre. On y soupèse déjà, avec une rare élégance cartésienne, les nouvelles dimensions de la narration polarisée par la fiction. Du storytelling, en quelque sorte. Comme cet adorable jeu de l’actualité, typiquement français, sur « La torture dans le monde ». Question : dans quelle démocratie relative arrache-t-on les yeux des opposants avec une petite cuillère trempée dans l’acide sulfurique ? Réponse, à tout hasard : le Krapulistan occidental ? Bingo ! Tu viens de gagner cinq points, p’tit gars… »

Le journal français de référence et du soir vient de lancer un innocent « jeu des nouvelles »  (newsgame) sur sa page Facebook. C’est un test de connaissances évènementielles avec un choix de réponses possibles dont une seule doit être cochée pour gagner des points ainsi que de merveilleux cadeaux. Genre « Et le militaire gagne une tringle à rideaux » (Coluche, œuvres complètes, à paraître dans La Pléiade) Ceux qui ne parviennent pas à se hisser au niveau du lot « Fourchette à barbecue pour vos vacances au camping des Flots bleus » se voient gratifiés d’un superbe diplôme de serial player de bronze, à implémenter en widget  (étiquette numérique) sur leurs blogs citoyens comme celui-ci qui reste à créer : «  A quoi je pense quand je réfléchis.com ».

Trève de digressions sardoniques. C’est vrai que les serious games ont des vertus pédagogiques. Notamment au cours moyen deuxième année quand il s’agit de jouer à identifier les espèces animales menacées de suppression. Problème: le lecteur moyen du « Monde » pourrait bien se sentir insulté par des questions sur un mariage dans la tribu d’Elizabeth II.

Des responsables du « Monde » s’expliqueront sur ce qui les a amenés à « ludifier » l’aura journalistiques de l’auguste et vespéral quotidien fondé par Hubert Beuve-Méry.  Ils évoqueront assurément les défis de la complexité en relation dialectique avec les usages émergents de l’immersion interactive.

Ce brainstorming « gamificateur » se déroulera le 11 mai à Marseille. Pourquoi Marseille ? Peut-être pour transposer l’actualité dans « La partie de cartes » de Pagnol. « Khadafi : « Tu me fends le cœur ! – Sarkozy : « Je coupe ! – Khadafi : « J’ai le cœur fendu par toi… ».

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