Front du Nord social, Front du Sud libéral : ces lignes de fracture entre Marine et Marion Maréchal Le Pen<!-- --> | Atlantico.fr
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Sol ouvert après un tremblement de terre.
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Si les questions d'immigration et la peur de la mondialisation mettent les électeurs du front national d'accord, les questions économiques marquent une ligne de fracture avec un Front du sud plus libéral.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Plusieurs articles récents (et même la couverture du Nouvel Observateur) ont fait état de dissensions croissantes entre Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen. Poids des entourages, jalousie de la leader du FN vis-à-vis du succès médiatique de sa nièce, relations familiales complexes au sein du clan Le Pen, autant d’ingrédients qui expliqueraient les tensions entre les deux figures frontistes. Ne disposant pas d’éléments objectifs permettant de valider ce scénario, nous préférons avancer une autre hypothèse, plus sociologique. D’après nos données, la différence de tonalité et de positionnement des deux héritières Le Pen, qui s’est notamment manifestée lors du débat sur le mariage gay, s’expliquerait d’abord ou aussi par la géographie électorale : Marion Maréchal-Le Pen et sa tante adaptant chacune leur message politique à leur électorat respectif. Car si, comme nous allons le voir, l’électorat méditerranéen du FN partage et communie avec l’électorat d’un grand quart nord-est sur les fondamentaux du parti, des différences de sensibilité existent également et sont parfois même assez spectaculaires. Loin de constituer une faiblesse, les divergences qui peuvent exister entre Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen (et même avec Louis Alliot, qui a souvent des positions assez proches de la jeune députée du Vaucluse) constituent sans doute pour le FN un atout lui permettant de s’adresser aux différentes composantes d’un électorat assez composite.

Par-delà un socle commun, des divergences idéologiques existent entre le "FN du Nord" et le "FN du Sud"…

Afin de disposer d’effectifs statistiques suffisants, nous avons travaillé auprès d’un échantillon national représentatif de 6000 personnes, interrogées par Internet entre mai et juillet 2013. Au sein de cet échantillon, nous avons filtré les électeurs de Marine Le Pen et avons ensuite procédé à un tri géographique en isolant :
  • l’électorat frontiste méditerranéen (région Languedoc-Roussillon et Paca)
  • l’électorat frontiste septentrional ou du quart nord-est constitué des régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute-Normandie, Champagne-Ardenne et Lorraine.
Lorsque l’on analyse les réponses de ces deux segments de l’électorat "mariniste", on observe tout d’abord, et c’est assez logique, une très grande homogénéité de points de vue sur un certain nombre de thèmes centraux du discours frontiste. C’est le cas notamment de la dénonciation de l’assistanat et de l’insécurité comme on peut le voir dans le tableau suivant.

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Ces deux segments de l’électorat frontiste (mais également ses autres composantes régionales) sont également très rétifs à la mondialisation et émettent avec la même intensité une très forte demande de protection.

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Dans l’esprit des électeurs lepénistes, cette demande de protection revêt une dimension économique (un "protectionnisme intelligent" pour reprendre le vocable frontiste, pour lutter contre les délocalisations et la concurrence des pays à bas coûts de main-d’oeuvre) mais elle vise aussi et surtout à stopper les flux migratoires. Sur cette question de l’immigration, qui constitue rappelons-le la première préoccupation de cet électorat, nos deux pans de l’électorat lepéniste sont une nouvelle fois sur la même longueur d’ondes. 97% des électeurs méditerranéens et 95% de ceux du quart nord-est adhèrent ainsi à l’idée qu’"il y a trop d’immigrés en France".
Cependant, si l’on regarde dans le détail, une première différence de degré se fait jour puisque 82% des électeurs méridionaux se disent "tout à fait d’accord" contre 75% pour leurs homologues septentrionaux, un peu moins polarisés donc que dans le sud du pays sur cette thématique. Les différences de sensibilité sont en revanche un peu plus marquées sur deux autres dimensions et notamment sur la question du droit au mariage et à l’adoption pour les couples gays. Si dans les deux composantes de l’électorat frontiste, une large majorité d’opposants à ces nouveaux droits se dessine, on constate néanmoins que c’est dans le Sud, où est élue Marion Maréchal-Le Pen, que la base frontiste était le plus hostile et qu’à l’inverse, l’opposition était un peu moins vive dans le quart nord-est, ce qui pourrait partiellement expliquer la moindre implication de Marine Le Pen sur ce dossier, alors que sa nièce participait à toutes les mobilisations de la Manif pour Tous.


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Les différences de sensibilité se manifestent également sur les questions économiques entre des électeurs frontistes méridionaux au tropisme droitier plus marqué et leurs homologues du quart nord-est moins libéraux. Ainsi, quand 70% de ces derniers se disent d’accord (dont 25% tout à fait d’accord) avec l’idée selon laquelle "il faut que l’Etat donne plus de libertés aux entreprises", ces propositions sont significativement plus élevées dans les départements du Midi (avec 86% d’accord et 39% de "tout à fait d’accord"). On notera que sur cette question le positionnement des électeurs frontistes méridionaux est assez proche de celui des sympathisants UMP (93%).

L’attitude vis-à-vis d’un des préceptes libéraux fait donc ressortir une différence de degré entre deux des composantes géographiques de l’électorat FN (les "moins libéraux", c’est-à-dire les électeurs du quart nord-est étant quand même favorables à 70% à davantage de libertés pour les entreprises…), mais la question du niveau d’imposition des personnes les plus riches laisse apparaître une vraie différence de nature. Une nette majorité, 60% (soit, et de loin, le pourcentage le plus élevé observé dans les différents segments de l’électorat lepéniste) des frontistes méridionaux estiment ainsi que "le niveau de fiscalité payé par les personnes plus riches est trop élevé ce qui les incite à quitter le pays" quand une majorité relative (42%) des électeurs lepénistes du quart nord-est pense au contraire "qu’il n’est pas assez élevé ce qui ne permet pas de corriger les inégalités".


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Ces deux composantes se retrouvent donc en opposition sur cette question renvoyant à la justice fiscale, avec un électorat méridional, qui une nouvelle fois, apparaît comme droitier, et un électorat du quart nord-est au sein duquel la demande d’un alourdissement de la fiscalité pour les plus fortunés s’exprime avec le plus de force. Par-delà les sensibilités personnelles, ce n’est sans doute pas un hasard si les différences de positionnement entre une Marine Le Pen au discours plus "social" et une Marion Maréchal-Le Pen au positionnement plus classiquement droitier renvoient aux divergences de tempéraments entre les électorats frontistes de leurs terres d’élection respectives.

… renvoyant à une sociologie et des comportements électoraux particuliers.

Ces divergences existant notamment sur les questions économiques et fiscales trouvent en partie leur origine dans la composition sociologique de ces deux segments de l’électorat frontiste. En effet, et comme on peut le voir sur le graphique suivant (1), l’électorat frontiste du quart nord-est présente le profil le plus populaire (avec 50% d’ouvriers et d’employés) alors qu’inversement, c’est dans le sud de la France que la proportion de milieux populaires est la plus faible (36% contre 45% en moyenne). A l’inverse, bien que minoritaires, les retraités et les CSP+ et indépendants (agriculteurs, commerçants, artisans, chefs d’entreprise, professions libérales et cadres supérieurs) sont nettement surreprésentés dans le sud par rapport à ce que l’on observe dans le quart nord-est ou au niveau national.

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On relèvera également qu’alors que le poids des salariés du public est identique dans ces deux composantes de l’électorat frontiste (16 et 17%), les salariés du privé, plus exposés, sont sensiblement plus nombreux dans le quart nord-est (47%) que dans le sud (37%).
Ces différences sociologiques et de positionnement sur certains sujets se sont également traduits par des comportements électoraux non uniformes au second tour de l’élection présidentielle. Sur l’ensemble des électeurs de Marine Le Pen du premier tour, d’après les données Ifop, 51% ont voté pour Nicolas Sarkozy contre 19% pour François Hollande, 30% s’abstenant ou votant blanc ou nul. L’inclinaison droitière de l’électorat frontiste du Midi méditerranéen s’est exprimée également à cette occasion dans la mesure où le taux de report sur le candidat UMP a été de 59% (soit le plus haut niveau enregistré) contre "seulement" 42% dans le quart nord-est (soit 17 points de moins). Cet électorat plus social et plus populaire s’est en revanche plus abstenu que celui du sud (38% contre 26%) et plus reporté sur le candidat socialiste (20% contre 15%). Et, au total, quand l’écart entre les reports sur Sarkozy et Hollande atteignait 44 points en faveur du candidat UMP dans le sud, il n’était plus que de 22 points dans le quart nord-est.


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(1) Données extraites à partir d’un cumul des enquêtes électorales de l’Ifop menées pendant la campagne présidentielle auprès de plus de 30.000 interviewés.

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A la lumière de ces chiffres, on comprend mieux notamment pourquoi Marion Maréchal-Le Pen, mais aussi Louis Aliot ou Gilbert Collard, tous implantés dans le sud de la France, s’expriment régulièrement en faveur d’alliances locales avec la droite pour les prochaines élections municipales, quand Marine Le Pen, élue dans le Pas-de-Calais campe sur une ligne beaucoup plus intransigeante. Plus globalement, on mesure également mieux les raisons du "virage social" que Marine Le Pen a fait prendre au mouvement pour coller au mieux aux préoccupations de son électorat "nordiste", quand les élus méridionaux du parti se montrent plus fidèles au discours anti-fiscal et assez libéral qui avait notamment permis à Jean-Marie Le Pen d’implanter durablement le FN sur le littoral méditerranéen dans les années 1980 et 1990.

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