Faut-il se débarrasser de Proust et Céline ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
"Plus que de Proust, c’est de Céline, plutôt, modèle scriptural plus accessible, formellement plus consommable, dont il faudrait songer à se débarrasser."
"Plus que de Proust, c’est de Céline, plutôt, modèle scriptural plus accessible, formellement plus consommable, dont il faudrait songer à se débarrasser."
©Reuters

Atlantico Lettres

Toutes les semaines, le journal Service Littéraire vous éclaire sur l'actualité romanesque. Aujourd'hui et à l'occasion du centenaire "Du côté de chez Swann", retour sur la littérature contemporaine, qui n’a peut-être pas l’humilité de se donner des modèles majeurs.

Philippe  Vilain

Philippe Vilain

Contributeur du journal Service Littéraire et écrivain. Dernier ouvrage paru : "Pas son genre" chez Grasset, prix Jean Freustié.

Voir la bio »

Il me semble que le débat récent, réactualisé à l’occasion du centenaire de « Du côté de chez Swann », autour de la question relative à l’héritage proustien dans la littérature contemporaine - comment se débarrasser de Proust ? - repose sur une idée reçue, une perception erronée du rôle occupé par une œuvre comme « A la Recherche du temps perdu», peu lue en dehors de l’université, dont les quelques épigones demeurent en minorité visible dans le paysage littéraire de ce début de XXIème siècle. La question serait, à mon sens, de se demander pourquoi vouloir se débarrasser de Proust qui a cessé d’être un modèle pour les écrivains contemporains ? Un examen attentif montre bien, en effet, que la littérature dominant ce paysage est oralisante, célinienne, écrite au présent, singulative (qui raconte une fois ce qui s’est passé une fois), et qu’elle s’écrit contre la littérature itérative proustienne qui, synthétique, intellectuelle, analytique, soucieuse de capter l’essence du monde, raconte, elle, une fois ce qui s’est passé plusieurs fois : l’écriture ne s’est pas proustisée, elle s’est célinisée. On est passé d’une écriture rationnelle à une écriture émotionnelle, d’une écriture de l’intellection à une écriture de l’expression, de la musique à la chanson, du style à la voix narrative. Plus que de Proust, c’est de Céline, plutôt, modèle scriptural plus accessible, formellement plus consommable, dont il faudrait songer à se débarrasser.

Plus judicieux serait ainsi de se demander, sur la base de ce constat, pourquoi Proust continue de faire de l’ombre, et, en conséquence, pourquoi il dérange encore, étant si peu représenté. Les écrivains se sont débarrassés de Proust depuis qu’ils ont cessé d’envisager le style comme une valeur littéraire et qu’ils se contentent d’oraliser l’écriture, selon le procédé de ce que Roland Barthes nommait la « verbalisation immédiate ». On trouvera malhonnête de fustiger l’académisme hérité de Proust et l’esthétique du Beau qui en découle, sachant qu’il est toujours plus aisé de dé(cons)truire que de construire, d’esthétiser que d’inesthétiser, sachant surtout que, de même qu’il faut maîtriser le dessin pour s’abstraire de la forme en peinture, l’on ne saurait, en écriture, dépasser l’académisme sans se l’être d’abord approprié, le contester sans l’avoir assimilé. La littérature contemporaine n’a ni le temps d’apprendre l’académisme, ni l’humilité de se donner des modèles majeurs, littérairement les plus exigeants. Je souscris volontiers à l’écriture oralisée lorsqu’elle procède d’une évolution littéraire témoignant d’une assimilation de l’académisme (Duras), non lorsqu’elle est pratiquée d’emblée. A fustiger l’académisme, on s’en recrée un autre, marchand, formaté pour notre société de consommation, une litteraturacademy faite par ceux qui, prisonniers d’autres activités, n’ont guère le temps de se consacrer à la littérature, ou, peu formés à la littérature, font de l’écriture un hobby, non un travail patient. Prendre Proust pour modèle, c’est faire de la littérature une religion, c’est choisir l’excellence, l’exigence absolue, c’est vouloir écrire en mode majeur ; c’est préférer Mozart à David Guetta, la champions league à la ligue 2. Cette exigence est-elle si condamnable ? 

Source : Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Éric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc . Pour vous y abonner, cliquez sur ce lien.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !