Pourquoi la politique familiale du gouvernement est anti-sociale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement veut rendre les allocations familiales plus progressives.
Le gouvernement veut rendre les allocations familiales plus progressives.
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Le Nettoyeur

"Je suis très attaché à la politique familiale, qui est une grande réussite dans notre pays", a déclaré François Hollande lors de sa conférence de presse hier jeudi. Mais comme la France doit trouver 2 milliards d'économies, certaines prestations familiales seront "modulées" pour que "les ménages les plus aisés n'aient pas les mêmes prestations que les autres".

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Une des propositions les plus anti-sociales du gouvernement est l'idée de rendre les allocations familiales plus progressives.

A priori c'est un paradoxe : moins d'aides pour les plus riches, et peut être un peu plus pour les moins riches, où est le mal ? Quoi d'anti-social ?

Mais si on y réfléchit, on voit que le gouvernement se tire une balle dans le pied, renie les valeurs de la gauche, et n'atteindra pas ses objectifs.

Explications.

  • Tout d'abord, il faut remarquer le seuil évoqué est 5000 euros de revenus mensuels par foyer pour une famille de deux enfants—et il faut remarquer que dans une grande ville, 5000 euros par mois pour un ménage avec deux enfants ne correspond pas à un niveau de vie très aisé, mais plutôt de classe moyenne.
  • Dissonance entre les objectifs : une idée serait de raboter le complément familial au mode de garde, mais de compenser par une augmentation des places de crèche. En plus du fait qu'il est très douteux que les places de crèche seront là (en tous les cas à temps pour les parents concernés), c'est contraire à l'objectif affiché de faire des économies : soit l'argent sera récolté pour faire des économies, soit pour faire plus de places de crèches. Pas les deux. On nous enfume.
  • Le Gouvernement remet en question un principe fondamental de la politique familiale, accepté à la fois par la gauche et par la droite depuis une centaine d'année que la politique familiale existe, et est un des grands succès de l'Etat-providence français, nous donnant une natalité supérieure à nos voisins. En effet, le principe de la politique familiale est d'égaliser le coût des enfants entre ménages de même revenu. La politique familiale marche, c'est-à-dire ne pénalise pas le fait d'avoir des enfants, si elle le rend peu coûteux pour un revenu familial donné ; c'est-à-dire qu'un ménage donné ne soit pas pénalisé par le fait d'avoir des enfants par rapport à un autre ménage de même niveau de revenus. Les autres piliers de l'Etat-providence—progressivité de l'impôt et redistribution—servent à égaliser les conditions entre ménages de revenus différents; mais un principe fondateur de la politique familiale est d'égaliser les conditions entre ménages de mêmes revenus mais de situations familiales différentes. (Tout comme il est légitime que l'assurance maladie aie une progressivité puisque l'objectif est d'empêcher que la santé consomme une part trop importante des revenus du foyer.) Les inégalités ne sont pas seulement les inégalités de revenus. C'est une nuance subtile et visiblement oubliée, mais fondamentale. Avec trop de progressivité, la politique familiale n'a plus vraiment de sens en tant que telle. On décrie si souvent le “modèle français”, mais la politique familiale est un vrai modèle qui marche bien, et cette proposition le remet en question.
  • Mais la pire idée évoquée est la remise en question du complément de mode de garde, qui en plus d'être inefficace et absurde est antisociale. Tout d'abord il faut réitérer que même si les nouvelles places en crèches promises sont créées, ce qui est très douteux, il est encore plus douteux qu'elles arriveront à temps et en nombre suffisant pour compenser. Ensuite et surtout, ce complément du mode de garde existe pour compenser le travail au noir (lui même une conséquence des charges sociales très élevées). La conséquence de ce mode de garde sera simple : les employeurs de gardes d'enfants baisseront leurs salaires et/ou les mettront au noir. Autrement dit, cette politique précarisera encore plus ceux parmi les plus précaires de notre société, ce qui est absolument anti-social—et l'Etat ne récoltera pas un euro de plus, puisque cette activité passera au noir au lieu d'être plus imposée. Autre conséquence contraire aux valeurs de la gauche : les foyers qui ne pourront pas ou plus engager de gardes d'enfants seront poussé à avoir un parent qui réduira sa charge de travail pour garder les enfants—et si on ne se leurre pas, on se rend compte qu'il s'agira en très grande majorité de femmes. C'est ce qu'on constate en Allemagne, où la proportion de femmes travaillant à plein temps est bien plus faible que chez nous (et où la natalité est bien plus faible), parce qu'elles ont moins d'options de garde. C'est donc une mesure rétrograde du point de vue de l'égalité des sexes. Injustice et inefficacité totale.

Le gouvernement est obsédé par l'idée de faire des économies, et une mesure qui touche (en apparence uniquement) des familles dites aisées peut sembler avoir un attrait politicien. Mais cette mesure met en danger la politique familiale, est inégalitaire et, en plus, ne marchera pas. Il faut chercher ailleurs.

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