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Les sondages montrent une défiance de plus en plus grande des Français pour leurs représentants politiques.
Les sondages montrent une défiance de plus en plus grande des Français pour leurs représentants politiques.
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Les sondages montrent une défiance de plus en plus grande des Français pour leurs représentants politiques. Famille, médias, entreprises, syndicats... Qui inspire encore un peu de confiance aux Français ?

Bruno Jeanbart et Guillaume Bernard

Bruno Jeanbart et Guillaume Bernard

Bruno Jeanbart est le directeur général adjoint de l'institut de sondage Opinionway.

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), Le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).
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Atlantico : Les sondages montrent une défiance de plus en plus grande des Français pour leurs représentants politiques. Qui, dans le cœur des Français, a tendance à remplacer l'homme politique, et chez qui les Français placent-ils maintenant leur confiance ?

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Bruno Jeanbart : C'est une question importante car on constate qu'il y a certes une méfiance dans les institutions mais pas dans toutes. Certaines s'en tirent mieux que d'autres comme l'armée, la police ou les hôpitaux, qui gardent une très forte confiance de la population française. Autre secteur où la confiance demeure et qui a tendance à récupérer celle que les hommes politiques ont perdu : les associations. Ce secteur est très dynamique en France avec une forte participation de la population avec un taux de confiance de 69%. Donc, ce qui tend à se substituer à la confiance perdue par les hommes politiques, c'est un mélange entre certaines institutions de l'État et d'autres institutions issues de la société civile.

Guillaume Bernard : Si les Français n’ont plus confiance dans leurs représentants politiques, il y a cependant des degrés dans leur répulsion. De manière générale, les élus locaux, en particulier au niveau de la commune, échappent un peu plus que les autres au sentiment de rejet des citoyens. Peut-être est-ce parce qu’ils peuvent mieux constater l’impact concret des décisions des édiles municipaux que des élus nationaux. Peut-être est-ce aussi parce qu’ils mettent plus d’espoir et sont donc susceptibles d’être beaucoup plus déçus par le président de la République et les parlementaires. Dans le fond, les Français ne mettent véritablement leur confiance que dans les personnes qui leur sont proches (en particulier leur famille) ou dans les organisations qui leur apparaissent comme désintéressées comme les associations caritatives.

Cette situation est-elle inédite, ou bien est-ce une habitude française d'avoir toujours un haut niveau de défiance vis-à-vis des institutions politiques ?

Bruno Jeanbart : D'abord, cette défiance est installée depuis maintenant au moins une vingtaine d'année. Ce qui change, c'est qu'elle s'aggrave, mais depuis les années 90, ce n'est pas une chose nouvelle. On le voit bien à travers les indicateurs de participation électorale, et les enquêtes d'opinion. Il y a donc un agrandissement qui n'est pas complètement nouveau. Une chose particulière cependant. La défiance politique a toujours historiquement en France touché certaines fonctions. L'antiparlementarisme par exemple a constamment été un phénomène important, les députés n'ont jamais fait partie des hommes politiques très aimés des Français. En revanche, il y avait une forme de protection sur les acteurs politiques locaux, les maires et les conseillers généraux notamment, qui étaient des élus appréciés. Or la défiance politique grandissante les touche aussi, c'est une vraie nouveauté dans l'histoire politique, même s'ils restent encore les élus les plus populaires.

Guillaume Bernard : Bien que nous ne disposions pas d’enquêtes d’opinion, il est probable qu’un comparable niveau d’écœurement ait existé à l’occasion des grands scandales comme ceux de Panama ou de Stavisky. Cependant, la gravité de l’actuelle situation est double. D’une part, ce n’est pas seulement une perte de confiance qui peut être constatée mais une véritable défiance. Autrement dit, les esprits sont sinon mûrs du moins ouverts à un bouleversement politique d’ampleur. D’autre part, contrairement aux situations passées, les Français ne disposent plus véritablement de fortes institutions sociales en qui se reconnaître ou de corps intermédiaires « naturels » vers lesquels ils peuvent se tourner pour s’y réfugier, y trouver aide et réconfort : l’armée, l’église, l’école, le syndicat pouvaient donner un sens à la vie et aux épreuves endurées. Pour diverses raisons, et avec différents moyens, la puissance publique les a soit sapés (pour les deux premiers) soit laissés se dégrader (pour les deux derniers). Le désespoir des Français n’en est que plus terrible. Là, les hommes politiques dans leur ensemble récoltent ce qu’ils ont semé depuis plus d’un siècle.

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Quelles peuvent-être les conséquences d'un tel niveau de défiance pour la vie politique et nos institutions ?

Bruno Jeanbart : Il y a plusieurs risques absolument majeurs à cette situation. Le premier, c'est évidemment une poursuite de la hausse de l'abstention. Elle pourrait même toucher l'élection présidentielle, qui a toujours échapper au phénomène, même en 2002, en gardant régulièrement des taux de participation très importants au regard des standards internationaux.

Le deuxième risque c'est bien sûr la réduction de la légitimité des élus et de l'action politique. Une des difficultés depuis quelques années, c'est l'incompréhension de plus en plus grande que peuvent avoir les Français du système politique dans lequel nous fonctionnons. Nous sommes organisés autour de l'idée de démocratie représentative, où les Français délèguent le pouvoir à des élus, chargés de prendre durant leur mandat des décisions qui en leur nom. On voit bien que ce système est de moins en moins bien compris par la population, probablement aussi à cause de cette défiance. On se retrouve avec des situations où, quelques mois après une élection majeure comme l'a été la présidentielle, il y a des contestations extrêmement forte via des manifestations contre un certain nombre de mesures qui peuvent pourtant légitimement être mises en place par le pouvoir politique. C'est ce qui se passe aujourd'hui sur le mariage pour tous, où il y a une forte contestation, alors que la mesure était clairement dans le programme du président élu.

Il y a enfin une forme de défiance liée à la fonction de gouvernement qui, en rendant le travail des élus plus difficile, risque de renforcer ce rejet car la complexité à mettre en place des décisions nourrit le sentiment d'inutilité des hommes politiques.

Guillaume Bernard : Du point de vue de la politique, au sens électoral du terme, le plus vraisemblable est, d’un côté, la baisse de la participation et, de l’autre, une progression du vote protestataire. Mais, du point de vue politique, dans un sens plus large, bien des choses sont possibles, depuis l’émotion jusqu’à la révolution en passant par la révolte. Bien des régimes ne se sont-ils pas effondrés en quelques jours comme en 1830 ou en 1848 ? Plus récemment, la IVe République a été balayée quelques semaines entre le 13 mai et le 1er juin 1958, le coup de force des partisans de l’Algérie française portant De Gaulle au pouvoir. Il ne s’agit pas d’être alarmiste mais de regarder les choses en face. Le délitement du lien social est d’autant plus préoccupant que c’est parmi les classes moyennes – qui sont d’habitude plutôt dociles parce qu’elles envisagent et construisent une élévation sociale pour leurs enfants – que l’angoisse progresse le plus. Lorsque les classes moyennes perdent l’espoir, elles peuvent basculer dans le soulèvement. Pour que de tels événements puissent se réaliser, il faut, d’un part, la conjonction d’une exaspération et d’une organisation (souvent incarnée par un « homme providentiel ») pouvant la canaliser et, d’autre part, un mouvement social d’ampleur réunissant différentes couches de la population c’est-à-dire « transclassiste ».

Est-on arrivé à une cassure définitive, un point de non-retour dans les relations entre les Français et les hommes politiques, ou bien ces derniers peuvent-ils encore tirer leur épingle du jeu ?

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Bruno Jeanbart : Une des tendances que l'on peut voir dans les enquêtes d'opinion est qu'il est toujours beaucoup plus long de remonter que de descendre. Donc, je ne pense pas que l'on a forcément atteint un point de non-retour, mais pour regagner la confiance des Français il faudra énormément de temps et de travail de la part des élus.

Malgré tout ce n'est pas un combat perdu. Tout d'abord, un des reproches fondamentaux est que les hommes politiques ne peuvent plus changer le cours des choses, notamment sur les grands enjeux comme le chômage. Donc si demain des élus d'une majorité réussissent à avoir une action efficace dans le domaine de l'emploi, cela pourrait tout à fait inverser cette courbe de défiance.

Il ne faut pas non plus confonde un rejet des élus politiques d'un rejet de la politique. Les Français restent largement intéressés par la politique. C'est la manière dont elle est pratiquée qui est rejetée. On peut donc penser qu'un changement dans les pratiques inverserait la tendance, mais il faudra plus que deux ou trois petites annonces pour changer la donne. D'ailleurs avec ce qui se passe depuis un mois, je ne pense pas que la tendance va s'améliorer à court terme. 

Guillaume Bernard : Les mesures les mieux intentionnées du monde peuvent avoir un effet boumerang. Pensez, par exemple, à la publication du patrimoine des hommes politiques. Ceux-ci ont-ils un instant pensé que ces révélations – supposées prouver la transparence… – pourraient profondément choquer pour ne pas dire scandaliser leurs électeurs ? Il est fort probable qu’ils ne se rendent pas compte du décalage, souvent abyssal, entre bon nombre d’entre eux et les Français moyens. Les hommes politiques semblent ignorer que deux éléments concourent à la légitimité : d’une part, l’origine du pouvoir (le processus ou le principe ayant mené à sa désignation) et, d’autre part, l’exercice du pouvoir (la finalité et les réalisations effectives de celui-ci). Les Français attendent notamment deux choses de leurs élus : qu’ils leur tiennent un discours de vérité et qu’ils réalisent leurs promesses électorales. Mais les hommes politiques sont-ils prêts à prendre le risque de se soumettre à un mandat impératif ? Dans le fond, seule la compétence leur rendra la confiance des Français.

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Méthodologie :Etude OpinionWay réalisée auprès d'un échantillon de 1509 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus et inscrite sur les listes électorales. L'échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d'âge, de catégorie socioprofessionnelle, après stratification par région de résidence et taille de commune.

L'échantillon a été interrogé en ligne sur système Cawl (Computer Assisted Web Interview). Les interviews ont été réalisées du 5 au 20 décembre 2012.

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