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Libye : la décision d'ouvrir le feu
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Arrêt sur idées

Considérée comme « l’Histoire en train de se faire », l’actualité offre, avec l’intervention militaire en Libye, un exemple de confrontation cruciale entre la prise de décision et le facteur Temps.

Parmi toutes les expressions utilisées par les médias pour souligner l’importance du timing - soudaineté, urgence, accélération, course contre la montre – une seule présente un intérêt dès lors que l’intervention a été décidée : le choix du moment

Si cette question ne se pose pas dans l’inaction et intervient modérément dans l’attentisme, elle détermine la portée historique de l’option guerrière. La France ayant donné l’impulsion, il est utile pour comprendre la suite de caler les faits dans une temporalité à double effet. D’une part, l’ordre d’ouvrir le feu donné par Nicolas Sarkozy le 19 mars s’inscrit dans une logique inspirée par une succession de faits dont certains sont très anciens. D’autre part, les faits qui découlent de l’ordre d’attaquer la Libye sont eux-mêmes façonnés par cette temporalité, qui peut conduire au succès ou à l’échec une accumulation de choix dont la cohérence n’est pas évidente.

Le poids culpabilisant des massacres passés

Le modèle de simulation connexionniste aide à comprendre comment se produit une prise de décision. Des faits anciens – Rwanda, Bosnie, Kosovo, Irak – sont les premières données à faire entrer (inputs) dans un « logiciel » qui produit en sortie (outputs) des actions. Celles-ci se déclenchent lorsque différentes données interagissent jusqu’à atteindre un potentiel d’activation. Ce ne sont pas les souvenirs culpabilisants de non assistance aux peuples massacrés qui ont fourni la motivation principale, mais bien les échecs de la diplomatie française en Tunisie et en Egypte.

Force est d’y ajouter le souci de faire oublier l’accueil fait à Kadhafi à Paris. Et il ne faut pas exclure le désir de prendre la posture du sauveur (intime obsession de Nicolas Sarkozy depuis la « maternelle de Neuilly » jusqu’à l’affaire Florence Cassez en passant par les infirmières bulgares). Posture qui, en cas de succès, générerait un rendement électoral providentiel. Le facteur Temps n’a pas joué, à ce niveau, un rôle considérable.

La chronologie est beaucoup contraignante et révélatrice dans la couche supérieure de données (inputs) constituée d’une succession de faits tellement rapprochés qu’ils donnent l’impression d’une accélération de l’Histoire.

Depuis le 10 mars, plus de marche arrière

Le 3 mars, Bernard-Henri Lévy téléphone à Nicolas Sarkozy depuis Benghazi. Le 7 mars, le philosophe s’entretient à l’Elysée avec le chef de l’Etat. A ce moment précis, les rebelles sont encore en phase de conquête. Le 8 mars, une unité de l’armée libyenne se mutine, perturbant l’arrivée de renforts vers la ligne de front qui passe entre Ben Jawad à l’ouest et Ras Lanouf à l’est. Des rebelles partent de Ras Lanouf pour attaquer Ben Jawad. Le 9 mars, l’armée loyaliste enclenche sa contre-offensive vers Ras Lanouf où les rebelles se replient. C’est ce jour-là que la France émet l’idée de frappes militaires ciblées. Le 10 mars, la France reconnaît le Conseil National de Transition. Ensuite, chaque jour qui passe scande le recul des rebelles et « annonce » la prise de Bengazhi, convoquant du même coup les anciennes données culpabilisantes sur la probabilité d’un massacre.

C’est donc entre le 7 et le 10 mars, au moment où l’avenir du soulèvement devenait incertain, que l’Elysée a abandonné la logique diplomatique des sanctions pour entrer dans une logique de guerre placée sous le signe de l’urgence. Une mécanique sans marche arrière car la reconnaissance du CNT équivaut à l’affichage d’un seul but final recherché : l’élimination de Kadhafi et de son clan. Depuis, cette temporalité façonne l’Histoire en train de se faire jusqu’à la destruction de blindés par des avions français le samedi 19 mars vers 17h45 et au-delà, dans les semaines qui viennent.

A partir de la modélisation d’une décision prise le 10 mars - neuf jours avant le passage à l’action militaire - le modèle connexionniste propose plusieurs simulations plausibles. Une victoire des rebelles assistés par les Occidentaux comporte la variante de l’assassinat de Kadhafi. Dans cette hypothèse, outre l’avantage électoral de la posture visionnaire et héroïque adoptée par Nicolas Sarkozy candidat à sa propre succession, la France récupère auprès des vainqueurs, du monde arabe et en Europe, une position stratégique aux retombées économiques et politiques immenses.

Si Kadhafi n’est pas éliminé, avec ou sans partition de la Libye, l’impulsion donnée par la France à une aventure militaire peu convaincante renforcera le poids des Chinois, des Russes, des Indiens et des Allemands dans le monde arabe où la France aura perdu, ainsi qu’à la face du monde, ce qui lui restait de prestige.

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