Viol collectif en Inde : Damini sera-t-elle le Mohamed Bouazizi du pays ?

"Ne dites pas à votre fille de ne pas sortir, dites à votre fils de se comporter bien". Photo d'une manifestation en Inde sur Facebook

Depuis le 16 décembre, date du viol collectif d'une jeune indienne de 23 ans (dont l'identité n'est toujours pas connue et surnommée "Damini"), qui circulait avec son compagnon dans un bus privé, les manifestations vont croissant et l'indignation ne diminue pas en Inde. Les veillées aux bougies se retrouvent dans toutes les villes indiennes depuis le décès de la jeune femme, l'agitation commence à gagner le Népal où un autre cas de viol par un officier des douanes a déclenché des manifestations. 

En signe de deuil, les festivités du nouvel an à Delhi se feront discrètes ou ont été annulées. Mais face à la tension, la victime, décédée dans un hôpital de Singapour, a été incinérée sous haute sécurité, et loin du village de sa famille. C'est une image très exportable de l'Inde puissance émergente qui a volé en éclat.

Les réactions politiques ou de la police indienne ont consterné par leur obscurantisme : "incident mineur", "elle n'aurait pas du sortir le soir", "comment était-elle habillée ?". Un haut gradé de la police a préconisé la poudre de poivre pour tenir les hommes à distance. Cette barbarie, ces violences cautionnées chaque jour par "la plus grande démocratie du monde", les jeunes indiens n'en veulent plus.

Une veillée aux bougies à Dehli pour la victime,  photo ramesh_lalwani

Sur le blog indien A million gods, un Indien laisse couler l'exaspération et la colère de toute une génération depuis le 16 décembre, dans ce message "Pourquoi les émeutes du viol sont un message". 

"Chère Inde ,

J'allais écrire un message de Noël à l'Eglise catholique romaine au sujet de la haine, mais au lieu de ça, il se trouve que je dois écrire un message de foutu sens commun à vous les mecs. J'ai honte d'être un homme indien.

Est-ce que vous savez pour quoi les femmes sont si foutument en colère après le viol d'une fille de 23 ans ? Pourquoi maintenant chaque nouveau cas de viol  révélé en Inde (comme le viol de Momoko, une actrice Manipuri) déclenchera des émeutes comme celles de Delhi ?  

Est-ce que vous saisissez pourquoi les femmes sont indignées ? Pourquoi elles le seraient pas ? Elles ont foutument rien pour se réjouir. Le harcèlement sexuel est tellement la norme qu'ils disent aux étrangers dans les guides comme Lonely Planet ou Rough Guide de faire attention au harcèlement sexuel. Ils disent d'essayer de voyager en groupe et de rester groupés et d'essayer d'avoir un homme à proximité pour au moins décourager le harcèlement et les tentatives de viols. (...) Vous avez une idée d'à quel point c'est insultant d'être considérés comme les "agresseurs et violeurs" au plan international ? Fuck ! Ma petite amie est en Espagne en vacances, où un groupe d'hommes indiens ont surgi soudain et l'ont  frappée au hasard alors qu'elle prenait des photos. Vous avez une foutue idée d'à quel point c'est glauque, misogyne et juste stupide ? (...) 

"Tu l'as violée parce que sa tenue te provoquait ? Je devrais te casser la gueule parce que ta stupidité me provoque."

C'est pour cela que j'ai honte. Parce que je dois dire quelque chose d'aussi basic. Vous pouvez répondre 'oh Avi, nous les Tamouls ne sommes pas comme ça'. Nous le sommes. Le viol et le harcèlement sont peut être moins fréquents au sud qu'au nord, mais cela ne signifie pas que nous n'avons pas le même problème, mais juste à une échelle différente. 

Dans à peu près tous les blogs de voyages, les guides, ou les sites sur l'Inde, on dit : "Ne vous habillez pas à l'occidentale, ou alors, attendez vous à être pelotée !" Incroyable. Incredible India ? (slogan du tourisme en Inde, ndlr). Plutôt d'incroyables statistiques de viols. Nous sommes indignés des environ 600 viols à Delhi chaque année. Le problème, c'est combien de viols ne sont pas déclarés. Il y a des milliers de viols dans Delhi seulement qui ne sont pas déclarés. Il y a des milliers de milliers de cas de harcèlement sexuel qui ne sont pas dénoncés. (...)

"Sauver les filles, sauver le monde", "La mort pour le viol, faites entendre votre voix"

"Si j'étais un homme en costume et que j'étais dévalisé, personne n'écarterait ma plainte en disant : 'Vous n'auriez pas du vous habiller comme quelqu'un qui réussit, il aurait pensé que vous étiez un philanthrope'. Personne ne me dirait : 'Eh bien, si vous vous étiez habillé en philanthrope, ils n'auraient pas volé votre argent'. Personne ne dirait : 'Etes-vous sûr de ne pas avoir donné l'argent et que vous dites ça juste pour voler cette innocente oeuvre de charité ?'  

C'est la même chose pour le foutu viol. Le fait que j'ai à donner un exemple aussi ridicule est une illustration du ridicule qu'il y a à blâmer les vêtements des femmes comme raison pour laquelle elles ont été violées. Quoi d'autre voulez-vous incriminer. Nos religions ? La TV ? les jeux ? La musique ? Les films ? Ce sont des excuses parce que tout le monde sait que ces viols sont dus à une culture de répression sexuelle des hommes et des femmes et au dénigrement constant des femmes et de leurs droits. Que pour résoudre cela, les Indiens doivent admettre avoir un problème et détruire des éléments d'une culture qu'ils pensent bonne et parfaite.  Prétendre que les hommes ne peuvent pas "se contrôler" est une insulte à celles qui font 50% du monde. C'est dénigrer notre culture que d'excuser la conduite de salauds absolus. 

Cette rage collective doit être maîtrisée pour que l'Inde s'améliore. La culture ou nous cocoonons les hommes doit cesser. La culture où nous traitons les femmes comme des bonbons doit cesser. La culture où nous traitons les femmes comme indésirables, inférieures, et dans un certain sens incapables de faire des choses doit cesser. Autrement, ces viols continueront à arriver et dans un monde ou les barrières sont en train de tomber, nous passerons pour des  "violeurs et agresseurs". (...)

En temps voulu, les querelles cesseront, mais il FAUT commencer à en parler  L'inde change ce soir, et vous ne pouvez pas attendre des autres qu'ils fassent ce changement. Il faut le faire vous-mêmes. (...)

Nous ne pouvons plus être appelés une culture  intrinsèquement dangereuse pour les femmes. Il faut que ça cesse. Savez-vous comme cela brise le coeur de s'entendre dire par votre petite amie que vous n’êtes pas comme les autres Indiens parce que je pense que le harcèlement n'est pas bien. Que notre stratégie de séduction ressemble au syndrome de Stockholm.

La rage de ces femmes est entièrement justifiée. Si vous souhaitez témoigner votre soutien, alors faites le. Faites du bruit ; faites entendre à ceux qui ont le pouvoir en Inde qu'ils ne peuvent plus continuer à cacher ce côté atroce de l'Inde. C'est notre silence qui a amené les choses à ce point. Tout ce que nous pouvons faire est faire du bruit et montrer aux gens qui se battent pour la justice, pour  faire cesser les viol en Inde, que nous soutenons ce qu'ils font. Ce n'est pas important d'être homme ou femme, faites entendre vos voix. Les gens en Inde doivent savoir maintenant que nous nous en préoccupons foutrement et que nous montrons notre solidarité contre ceux qui cherchent des excuses et tentent d'arrêter ce changement. 

Les viols doivent cesser. 

Joyeux foutu Noël et une bonne et foutue année. 

Votre dégoûté 

Avicenna Last"