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Pourquoi la 5G  va vraiment tout changer pour le smartphone
©PAU BARRENA / AFP

Tech

La technologie mobile de 5e génération agite les débats dans de nombreuses villes dans le monde et son lancement mondial pourrait relancer une industrie du smartphone qui manque de piment.

Gilles  Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la Rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek,  l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCHtv  la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux Loisirs.

Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

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Atlantico: On le sait, le passage à la 5G prendra du temps. Mais concrètement que changera cette technologie pour nos téléphones ? Que sera-t-il possible de faire que nous ne pouvons faire aujourd'hui ?

Gilles Dounès : Si l'on voulait faire un peu de provocation, on pourrait répondre « pas grand-chose de plus », et ce même si le passage de la 4G à la 5G va augmenter les débits non pas de façon incrémentielle, mais bel et bien de façon logarithmique. Il faut bien se rendre compte : par rapport à la 4G, on passe d'une échelle de 1 à 100, et même de 1 à 1000 par rapport à la 3G lancée il y a à peine 10 ans ! Mais pour autant, il est peu probable que les usages évoluent considérablement, du moins dans un premier temps, pas plus d'ailleurs que ceux-ci n'avaient considérablement évolué lors du passage de la 3G à la 4G, d'ailleurs ! Et ce, pour au moins deux raisons : les nouveaux usages n'existent pas encore, et parce qu'à terme ce n'est vraisemblablement pas le smartphone est qui le plus à même pour en tirer parti.

Tout d'abord, parce que ces nouveaux usages n'ont pas encore été inventés. À quoi sert un smartphone aujourd'hui, pour la plupart des gens ? À téléphoner, ou recevoir des appels, à envoyer ou recevoir des SMS, de même avec les e-mails, et enfin prendre des photos. Rien de bien différent à ce que les réseaux de deuxième, puis 2,5G ont permis avec le BlackBerry depuis le début des années 2000. L'iPhone puis ses concurrents, et les réseaux de 3e, puis de 4e génération ont permis d'y ajouter la vidéo, le jeu, la visioconférence et les interactions via les réseaux sociaux, et bien entendu le surf sur le World Wide Web avec, on l'espère, la consultation de la presse en ligne. Tout ceci grâce à l'émergence de véritables systèmes d'exploitation embarqués, adossés à la montée en puissance des capacités de calcul et à l'accroissement des débits. 

Dans un premier temps, c'est-à-dire à une échelle de 3 à 4 ans puisque les infrastructures ne sont pas encore en place et que les premiers terminaux arrivent à peine sur le marché, il y a fort à parier qu’au début les les usages se bornent à envoyer et recevoir des vidéos plus définies (4 ou 8K), des photos plus lourdes et de la visioconférence, en tête-à-tête ou à plusieurs, avec davantage de définition. Côté jeu, Google s'est d'ores et déjà positionné avec Stadia dans l'optique d'une plate-forme « pervasive » (permanente et invasive) de récréation, tandis qu'Apple semble vouloir miser davantage sur une expérience largement appuyée sur la réalité augmentée.

Mais peut-être surtout, c'est par ce que la plupart des fonctions assurées pour l'heure par le smartphone peuvent à présent être virtuellement prise en charge par une kyrielle d'objets connectés, portés sur lui par l'utilisateur, que le terminal mobile que nous connaissons depuis 10 ans ne sera sans doute pas le substrat idéal de la révolution potentielle promise par les réseaux de nouvelle génération. À cet égard, la firme de Cupertino a toujours joué un rôle de locomotive au niveau des usages : l'Apple Watch sait désormais passer des communications sans l'iPhone, afficher ou envoyer des messages allant du simple gazouillis à l'alerte vitale, des mails, des itinéraires, les mini tablettes en attendant les lunettes à réalité augmentée, les écouteurs sans fil intelligents, bref « les objets électroniques à porter sur soi » ou ceux de la maison connectée, la voiture, sont prêts à prendre le relais, largement appuyés sur les assistants vocaux et les services « de soutien ».

Car ce sont les services et les infrastructures industrielles sous-jacents qui seront impactées le plus lourdement, par des changements à peu près comparables à ceux induits par le passage des communications hippomobiles à l'ère du chemin de fer. Pour donner à nouveau un ordre d'idée, le wi-fi résidentiel culmine théoriquement à 500 Mb secondes pour ce qui est des dernières technologies, la fibre fait deux fois mieux (1 Gb seconde) pour les dernières offres aux particuliers, et les essais menés autour de la 5G font état de 3, voire 5 et même 10 Gb seconde de façon symétrique. 

Quelles questions industrielles et stratégiques ce déploiement soulève-t-il ?

L'Arcep a identifié cinq secteurs industriels qui seront vraisemblablement bouleversés de fond en comble : l'énergie au premier chef, avec en particulier la possibilité de mise en place de réseaux de production et de distribution beaucoup moins centralisés, beaucoup plus agiles et adaptatifs ; l'industrie avec une communication interne et externe en temps réel, au niveau de chacun des intervenants, des  unités de production et même des biens produits ; la e-santé autour de l'expertise des centres hospitaliers avec des interventions et les consultations intra et extra-muros ( robotisation des interventions, surveillance et prise en charge des patients à distance) ; les transports avec l'automatisation des véhicules bien entendu, mais également le partage d'informations visuelles personnelles, contextuelles ou générales en situation de mobilité ; dans le secteur des médias et du divertissement enfin, avec du jeu ou des médias immersion, des contenus ultra haute fidélité, éventuellement produits de façon collaborative.

Chacun de ces secteurs porte à lui seul une valeur stratégique, et il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que la maîtrise absolue et la protection de ce « méta réseau » (il faut se le représenter comme une colonne de services dans un bâtiment, de par le caractère hétérogène des flux qui transitent comme des technologies mises en œuvre) sont un enjeu à la fois de sécurité et de souveraineté. Les Coréens, et surtout les Chinois, ne s'y sont pas trompés et ont mis en place depuis de nombreuses années une stratégie industrielle pour être non seulement à l'abri sur leur territoire, mais également pour être en position de choix sur les marchés occidentaux. Avec pour corollaire des soupçons très sérieux sur la sincérité des équipementiers concernés, compte tenu de la structure très particulière de l'économie Chinoise, et de la « créativité » comme de l'ambition affichée des dirigeants locaux pour prendre le leadership mondial en matière technologique. Quant à sa grande rivale, la République Indienne, elle ne tardera pas à vouloir faire de même…

Il est d'autant plus regrettable que l'Europe n'ai pas su identifier la 5G comme une priorité stratégique et industrielle de premier plan, comme elle avait su le faire dans le domaine de l'espace ou de l'aviation commerciale, qu'elle compte avec Ericsson un leader mondial potentiel. 

Prenons un dernier exemple plus récent, avec l'accord franco-allemand sur les batteries conclu ces derniers jours : le secteur des batteries hyper performante est certes crucial pour l'avenir, et transversal à l’ensemble de l'industrie avec en particulier le stockage des « réseaux énergétiques intelligents » (smart grids). Mais c'est avant tout une façon de s'accrocher et de sauvegarder l'industrie automobile qui reste le paradigme du modèle industriel du siècle passé. Or, c'est sur l'intelligence (les systèmes d'exploitation, leurs kits de développement logiciel, les réseaux de prochaine génération) que se trouve la valeur ajoutée de demain. Les constructeurs automobiles qui sont encore aujourd'hui au sommet de la « chaîne alimentaire » seront vraisemblablement, du fait de ces réseaux  5G et de l'impact à venir sur les déplacements, les assembleurs ou les équipementiers, les Foxconn, les Valeo ou les Bosch de demain : d'ores et déjà, combien de marques se targuent de la présence de Car Play dans leur véhicule, dans leur communication marketing ?

Le passage à la 4G a été un accouchement difficile en France et il est toujours difficile dans certains territoires de bénéficier de cette technologie. Que devraient faire l'Etat et les opérateurs pour éviter les écueils du passé ?

L'État a fait avec la 3, puis la 4G, à contresens de l’Histoire ce qu'elle n'avait pas su faire avec les concessions d'autoroutes : elle a vendu très bien (et très cher) les fréquences hertziennes disponibles pour les réseaux de dernière génération successifs, grevant ainsi les capacités d'investissement des opérateurs dans le déploiement des antennes relais. Et ce d'autant qu'ils devaient mener de front le déploiement des infrastructures de l'Internet résidentiel (ADSL haut débit puis fibre), sachant que l'introduction d'un quatrième opérateur a contribué à réduire encore les marges. Moyennant quoi, le contribuable et les consommateurs des zones densément peuplée on fait une bonne affaire, et l'État et son bras armé le régulateur ont fermé les yeux pendant des années sur les « zones blanches » de la couverture du territoire, faute de population et de rentabilité suffisantes, tout en enjambant pour la forme et en se contentant de vagues promesses de la part des opérateurs. Jusqu'à ce que, en janvier 2018, le Ministre de l’ Économie de l'époque ne tape du poing sur la table et oblige les opérateurs à s'engager sur une couverture effective du territoire, à l'horizon 2022… en échange de la mise à disposition gratuite des fréquences distribuées lors de leur renouvellement…

En bonne arithmétique, le prix desdites fréquences a donc au final été divisé par deux pour l'ensemble de la période considérée, moyennant la couverture intégrale du territoire et non plus de la population la plus solvable. On peut espérer que ce type de « gentleman agreement » soit renouvelé lors de l'attribution des nouvelles fréquences, d'autant que ces réseaux cellulaires de haut, voire très haut débit ont vocation à « repriser » les accrocs corollaires dans la couverture territoriale du très haut débit résidentiel, là où la Fibre (qui doit rapidement remplacer le réseau de cuivre) ne pourra de toute façon pas être déployée sans que les collectivités locales ne soit obligé de mettre la main à la poche. Toutes ne pourront pas se le permettre, partout.

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