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Nouvelle arme contre le dérèglement climatique : des arbres artificiels pour absorber le CO2
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Green

Au cœur de la transition énergétique, il convient d'adopter de nouvelles approches, de continuer à innover pour accélérer l’émergence du monde post-carbone. L'économie régénérative, avec notamment un projet d'arbres artificiels, peut-être l'une des solutions.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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En pleine période de protestation contre la hausse des prix des carburants fossiles, -et notamment du diesel longtemps privilégié dans notre pays-, sous l’effet combiné d’un prix de pétrole reparti à la hausse et d’un accroissement de la fiscalité, il n’est pas aisé de traiter sereinement de transition énergétique... Et pourtant, même si cette dernière se caractérise, en effet, par une série d’enjeux critiques qui rendent le sujet assez complexe, les experts du GIEC, de plus en plus convaincus par les informations et éléments de preuve qui s’accumulent, d’une part, et les épisodes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et généralisés, d’autre part, viennent nous rappeler le degré d’urgence à agir.

Agir veut dire qu’il faut à la fois réduire notre dépendance aux énergies fossileset construire un nouveau monde de l’énergie, qui nous permettent de conserver nos modes de vie, notre pouvoir d’achat et nos niveaux de confort, sans continuer à mettre en péril les conditions nécessaires à la vie humaine sur notre planète.  Ainsi au-delà des mesures permettant de diminuer les consommations dans une logique d’efficacité énergétique à accélérer, ce nouveau monde de l’énergie suppose, en plus, de relever trois autres défis simultanément. Le premier consiste à promouvoir un mix d’énergies renouvelables -production d’électricité solaire ou éolienne notamment, biomasse, biogaz-, en tenant compte des ressources locales et territoriales, le deuxième revient à mettre en œuvre des technologies -éprouvées et/ou en phase d’amélioration de stockage pour gérer notamment la question de la production intermittente -batteries, solutions hydrogène, etc- ou organiser des écosystèmes cohérents, et enfin, dernier enjeu à déployer des solutions permettant de capter le CO2 dans l’atmosphère.

C’est à ce dernier enjeu que s’attaquent les innovations autour de la captation et du stockage du C02 (également désigné comme CCS -Capture ou Captage et Stockage du C02). Il existe deux types d’installations : celles placées dans les sites producteurs de CO2, comme les centrales thermiques ou les puits pétroliers et celles, plus « grand public »destinées à purifier l’air atmosphérique, en récupérant le « carbone d’en haut » comme se plait à le nommer le spécialiste de la question du carbone, Christian de Perthuis.

Une fois récupéré, le CO2 doit être stocké dans des lieux garantissant sa séquestration sur de longues périodes (plusieurs siècles) à l’abri de l’atmosphère. Pour ce faire, on a, en général, recours à trois types de lieux, notamment les formations géologiques profondes telles que les gisements d’hydrocarbures -pétrole et gaz- en voie d’épuisement, des aquifères profonds, ou les veines de charbon non exploitées. En clair il s’agit de remettre dans le sous-sol, sous forme de CO2, une partie du carbone qu’on y a extrait sous formes d’hydrocarbures ou de charbon. Signalons que l’on peut aussi réutiliser ce CO2 (notamment celui capturé en post-combustion et s’il est très pur) pour d’autres usages, telle la fabrication des sodas ou eaux gazeuses (on parle alors de CO2 alimentaire) ou encore en substitution des engrais (dans ce cas même en capture de CO2 de l’air) mais il s’agit encore ou de petites quantités et/ou de pratiques encore limitées[1]

C’est dans ce domaine du captage du « carbone d’en haut », dans une tentative de régénération de l’atmosphère permettant de réduire l’effet de serre, responsable du changement climatique qu’un certain nombre de chercheurs font porter leurs efforts.

Le projet d’arbres artificiels -fabriqués par l’homme-permettant de capter le trop plein de CO2 dans l’atmosphère est une des illustrations de cette mouvance.

Inventés par le professeur Klaus Lackner, ces arbres synthétiques inspirés d’une démarche biomimétique, pourrait, selon cet éminent professeur de l'université de Columbia, faire disparaître bien plus de dioxyde de carbone qu'un arbre végétal. Selon des estimations, la quantité de CO2 éliminée serait de 90.000 tonnes par an, soit l'équivalent des émissions de plus de 20.000 voitures.

Voilà déjà près de vingt ans que Lackner promeut ce processus de capture directe de CO2 dans l’air. Pour ce dernier, qui rêve d’une forêt de 100 millions d’arbres artificiels répartis sur l’ensemble de la planète[2], il s’agit là d’une méthode qui permettrait de capter une grande partie du carbone émis dans l’atmosphère.  

Un prototype classé comme « très avancé » est actuellement étudié dans le campus de l’Université d’Arizona (ASU : Arizona State University Polytechnic Campus). Cette machine, malgré tout assez sophistiquée, fonctionne sur la base d’un mécanisme relativement simple : elle capte le dioxyde de carbone, au travers d’un filtre à particule géant. C’est un dispositif, composé de résine, capable de filtrer l’air ambiant afin d’en extraire le dioxyde de carbone. Lorsque le vent souffle, les filaments artificiels se gorgent de CO2. Ensuite, une fois retraité, ce dernier pourrait ensuite être déchargé et stocké au fond des océans, où sa densité plus importante que l'eau lui permettrait de rester bloqué.

L’ONU a identifié cette solution comme présentant un fort potentiel pour contribuer à atteindre les objectifs internationaux fixés en matière de climat. Le défi est donc, maintenant, comme l’affirme Lackner, lui-même, convaincu que le captage du CO2 est la « seule façon de s’en sortir », de « passer d’une petite chose aux vraies grandes choses ».

C’est sur la base de ces travaux qu’un rapport établi par des scientifiques de l’Institut Britannique de Mécanique Avancé (IMechE), préconise la mise en place d'arbres artificiels pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre. Selon cette étude, 100.000 arbres artificiels suffiraient pour capturer toutes les émissions de logements, de transports et d'industries légères de la Grande-Bretagne. Les arbres synthétiques pourraient être déployés à proximité de réserves de gaz ou de champs pétroliers pour utiliser les réseaux de circulation de gaz existants, ainsi qu'au bord des axes routiers pour faciliter la capture de CO2 provenant du trafic.

Ainsi au-delà des mesures visant à réduire les émissions de CO2 en tant que telles, on voit émerger une nouvelle science visant à lutter contre le changement climatique, la géo-ingénierie, qui, quant à elle consiste à « nettoyer » l’atmosphère de ses excès de CO2.Il ne s’agit pas, bien sûr, d’imaginer qu’il pourrait s’imaginer d’une « solutionmiracle» mais, selon les auteurs de l'étude, il s’agit bien d’un moyen à considérer comme étant un complément idéal aux efforts menés contre la production de dioxyde de carbone et ses effets sur la planète. 

Selon le professeur Lackner, le coût unitaire d'un arbre artificiel serait,dans une logique industrialisée, d'environ 12.000 livres (soit environ 13.600 euros/arbre). C’est sur cette base que les scientifiques de l'IMechE a interpellé le gouvernement britannique pour lui demander d’investir immédiatement 10 millions de livres (11,3 millions d'euros)[3], afin que ces projets de géo-ingénierie puissent aboutir un jour. 

Évidemment une inconnue, et pas la moindre, demeure...à savoir,la volonté des gouvernements à investir dans de tels projets, d’autant qu’il reste toujours très délicat de justifier d’investissements qui ne peuvent se justifier que sur la base de la prise en compte effective d’externalités négatives (ou « gain écologique net »), ce qui encore loin d’être possible pour le CO2, a contrario des champs d’éoliens par exemple, qui répondent à des calculs de pay back classiques d’infrastructures productrices d’énergie électrique.

Au final, on le voit, à la base de ces travaux de déploiement massif d’artefacts synthétiques, un raisonnement simple: il s’agit d’accroitre la capacité de la planète à récupérer le CO2 comme le feraient naturellement les arbres des forêts, ce qui, au final, permettrait, a minima de compenser les hectares de forêt détruites chaque année, soit environ 13 millions d’hectares/an selon la FAO (ce qui équivaut à une surface équivalente à l’Angleterre ou, peut-être plus visuel à la disparition de 40 terrains de football par minute)[4].

On peut sans doute s’interroger sur la solution, plus simple, qui consisterait à planter directement plus d’arbres et à accroitre nos surfaces de forêts. Malheureusement, même si cela parait logique, c’est loin d’être aussi simple. En effet, une forêt n’est pas un puits de carbone « inconditionnel »... pour de nombreuses raisons qui seraient longues à détailler. Quitte à trop simplifier, notons que quand on plante une forêt, qui requiert des dizaines d’années pour arriver à maturité, il y avait déjà « autre chose » avant, et donc ce qui compte n’est pas la totalité de ce que la forêt absorbe, mais ce qu’elle absorbe « en plus » de ce que la végétation qui précédait absorbait. De plus le niveau d’absorption n’est pas constant, puisqu’il est plus faible quand les plants sont tous petits, il s’accroit progressivement (pour absorber environ 2 tonnes de carbone par an et par hectare) arrive à un maximum et redevient faible lorsque la forêt est à maturité. De fait, planter des forêts ne générerait un gain que dans le cas où ces forêts viendraient substituer des terres agricoles, mais surtout cela supposerait de planter 1,5 milliards d’hectares de forêts -en ordre de grandeur et en remplacement de terresagricoles- pour qu’avec des émissions restant au niveau de 1990[5] cela représenterait la plantation d’un huitième des terres émergées, ou encore environ 2 fois le Sahara, ou encore 30 fois la superficie de la France[6].... Bref, même en faisant l’impasse sur une série de phénomènes additionnels, retenons, pour rester concret, que la méthode de reboisement qui pourrait paraitre la plus simple en réalité ne l’est pas... et qu’en la matière « le défi réel n’est pas tant d’encourager le reboisement que d’arrêter la déforestation », comme l’explique le Docteur Urs Neu de l’Académie des Sciences Suisse.

Cela n’a pas empêché la Chine, de lancer un grand plan de reforestation de son territoire, en ciblant particulièrement les espaces les plus polluées. Un projet au long cours, surnommé Grande muraille verte de Chine, qui a permis de planter depuis 2008 plus de 13 millions d'hectares de forêt. Cette mesure vient nourrir le grand programme lié à la promotion de l’Eco-civilisation[7].

Cette difficulté explique que la question des technologies d’extraction du CO2, soient l’un des axes de recherche dans la lutte contre le changement climatique.

La Suisse, particulièrement active en la matière, voire même«à la pointe des technologies de séquestration du CO2», selon Sonia Senevirat, une chercheuse à l'Institut des sciences de l'atmosphère et du climat de l'ETH Zurich et co-auteure du dernier rapport du GIEC, affiche également de belles ambitions en la matière. Ainsi, en 2017, la commune de Hinwil, à quelques kilomètres de Zurich, a vu une première installation industrielle à même de capter et exploiter le dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère (DAC, 'direct air capture'). Le système conçu par la start-up suisse Climeworks peut absorber, grâce à un aspirateur géant à CO2, jusqu'à 900 tonnes de CO2. Grâce à l'expérience acquise en Suisse, Climeworks a inauguré des usines DAC dans 6 pays, dont l'Italie et l'Islande. Celle du pays scandinave est la première au monde à capter le CO2 atmosphérique et à le stocker dans les profondeurs du sol, où le gaz se transforme en roche. L'objectif de Climeworks, qui a récemment annoncé la levée d'environ 30 millions de francs, est d'extraire 1% des émissions mondiales de CO2 (environ 300 millions de tonnes) de l'atmosphère d'ici 2025.L’avantage du système mis au point par Climeworks est de transformer un déchet en une matière première (injectée dans le sous-sol, utilisé pour stimuler la croissance des plantes dans les serres, produire des boissons gazeuses et, comme dans le cas du projet en Italie, produire des carburants).Néanmoins, pomper directement le CO2 dans l'air, où la concentration n'est que de 0,04%, coûte encore cher. Actuellement, il faut environ 500€ pour capter une tonne de CO2, l’objectif étant de descendre à moins de 100€. Au-delà du coût la technologie, là encore reste encore très expérimentale et donc encore loin des utilisations à grande échelle.

Bref, malgré les efforts des chercheurs, fortement mobilisés, et l’urgence de trouver des solutions[8], les espoirs que pourraient représenter les innovations liées à la capture directe du carbone dans l’air,n’offrent pour le moment qu’un potentiel limité pour prélever le carbone de l’atmosphère... une conclusion à laquelle parvient d’ailleurs le Conseil des Académies des Sciences Européennes qui a rendu un rapport complet sur le rôle possible des technologies d’extraction du CO2.


[1]Voir article « La première usine a émission négative ouvre en Islande : transformer du CO2 en pierre, utopie ou avenir ? » Atlantico, 22 Octobre 2017

[2]Ce chiffre peut paraitre élevé mais finalement il est assez réduit quand on le met en perspective avec le nombre d’arbres sur la terre... à savoir 3.000 milliards (estimation récente réalisée en septembre 2015 -sur la base d’images satellites combinées à des calculs de densité des forêts et des milliers de relevés terrain- par des chercheurs américains de l’Université de Yale)

[3]Néanmoins, aujourd’hui, on reste encore sur des coûts de revient encore élevés (près de 200 000 dollars par unité), même si leurs concepteurs sont très confiants sur leur capacité à faire drastiquement baisser leur prix par d’importantes économies d’échelle. D’autant que la fameuse résine est en réalité un dérivé de… pétrole bon marché.

[4] Selon le « Global Forest Watch », la déforestation a augmenté de 51 % entre 2015 et 2016 pour passer à 29,7 millions d'hectares par an, soit l'équivalent de la surface de la Nouvelle-Zélande. Cette augmentation est essentiellement due aux feux de forêts, à l'agriculture et à l'extraction minière.

[5]Une hypothèse désormais totalement théorique et inenvisageable puisque les émissions humaines de CO2 que la biosphère ne recycle sont de l’ordre de 3.000.000.000 tonnes de carbone par an.

[6] Source : Jean Marc Jancovici : https://jancovici.com/changement-climatique/gaz-a-effet-de-serre-et-cycle-du-carbone/ne-suffit-il-pas-de-planter-des-arbres-pour-compenser-les-emissions/

[7] Voir Article « La Chine en pleine conversion écologique, Atlantico 18 Juillet 2018

[8]FatihBirol, Président de l’AIE, notait il y a, quelques semaines à peine que les émissions de CO2 dans le monde avaient atteint un nouveau record, rien qu’au cours des 9 premiers mois de 2018.

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