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De Laurent Bouvet, du New York Times, des guillemets, et de la laïcité comme instrument de racisme systémique
©Reuters

Descente aux enfers

Les querelles d’exégètes accordant un sens différent à la « laïcité à la française » mais en reconnaissant au moins les vertus apaisantes prennent un tour nouveau. La laïcité à la française, désormais, c’est raciste.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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L’affaire est objectivement microscopique et sera sans doute passée sous les radars de ceux qui, encore nombreux on l’espère, ne passent pas leur vie scotchés à un écran, mais elle mérite tout de même d’être rapportée. Du moins à mon humble avis, mais vous n’avez pas le choix de toute façon : nous sommes ici dans mon safe space personnel de mâle blanc chauve s’éclairant plus volontiers aux Lumières qu’au cierge de candélabre…

Here we go : l’universitaire Laurent Bouvet, co-fondateur et principal animateur du Printemps républicain, un mouvement de défense de la laïcité plutôt marqué à gauche, s’est récemment agacé d’être cité dans un article du New York Times sur Maryam Pougetoux, la désormais mondialement célèbre élue voilée de l’Unef.

L’article —tenant davantage de la tribune d’opinion que du reportage proprement-dit— prenait en effet fait et cause pour la syndicaliste étudiante, victime, en substance, du climat d’islamophobie systémique régnant notoirement en France et dont Bouvet (en binôme avec l’affreux Charlie Hebdo) serait l’un des roués promoteurs.

Mais ce dernier s’étant contenté d’ironiser, avec d’autres, votre serviteur compris, sur le manque de cohérence d’une organisation « laïque et féministe » plaçant la porteuse d’un accessoire on ne peut plus religieusement ostentatoire (et au minimum réputé sexiste) à la tête de l’une de ses sections, il s’est alors permis de qualifier l’auteure du papier de « journaliste ».

De journaliste avec des guillemets, quoi…

La « journaliste » en question (ces guillemets-ci sont de moi) s’en est à son tour offusquée, assurant qu’en trois siècles d’exercice de la profession et couverture de plusieurs dizaines de conflits parmi les plus sanglants de la planète, elle n’avait jamais été aussi violemment agressée que par ces mini oreilles d’âne typographiques.

Le correspondant à Paris du Washington Post a d’ailleurs promptement pris la défense de sa consœur, expliquant, lui, que tous les journalistes américains avaient écrit le même article sur cette affaire de toute manière, conduisant Bouvet à aggraver son cas en suggérant que des gens qui se vantent de tous penser la même chose devraient peut-être arrêter cinq minutes de se plagier les uns les autres pour s'interroger sur leurs capacités individuelles de raisonnement

Enfin, quelques uns de nos propres plumitifs Côtes du Rhône-camembert se sont à leur tour jetés dans la mêlée, jugeant inconvenant qu’un obscur petit prof de fac dont l’alma mater de grande banlieue est 125 000e au classement de Shanghai puisse exprimer un désaccord avec la fine fleur du « journalisme anglo-saxon » (whatever that means…).

Bon, à ce stade, je vous fais grâce des soixante douze épisodes subséquents ; je pense que vous décrocheriez si vous ne l’avez pas déjà fait et, moi-même, je commence à fatiguer. Disons simplement que le Bouvet a passé le reste de la semaine à se faire traiter de nazi sur les réseaux sociaux mais aussi IRL (mention spéciale à la minute de la haine orwellienne chez Yassine Belattar, une sorte de Dieudonné plus jeune et plus rock’n’roll).

Mais pourquoi je vous raconte tout ça, en fait ? Et pour en venir où exactement ? OK, OK, j’y arrive, à la thèse de mon papier d’opinion (subtilement) déguisé en reportage factuel : jusqu’à présent, il y avait une querelle d’exégèse de la « laïcité à la française » dont tout le monde reconnaissait au moins les vertus apaisantes. C’est fini. Désormais, la « laïcité à la française », c’est raciste.

Mieux (ou pire, c’est selon), vue de l’extérieur et plus spécifiquement des Etats-Unis, elle ne bénéficie même pas de l’indulgence condescendante qu’on accorderait à, disons, l’excision ou à la lapidation de la femme adultère au nom d’un particularisme culturel archaïque mais légitime. Et par un retournement étrange, ce sont les critiques les plus virulents de l’impérialisme conceptuel américain —du Nation Building chez les Papous au grand remplacement du jambon-beurre par le double cheese-cornichons— qui l’appellent à la rescousse.

Les mêmes qui dénoncent aujourd’hui le racisme institutionnel français pour lui préférer celui, sans doute plus télévisuel, du pays où la police tire sur les noirs comme sur des lapins et les emprisonne par millions pour leur faire casser des cailloux comme autant de Jean Valjean en costume orange.

C’est certain, il y a beaucoup de naïveté, de manque de sens pratique et même d’hypocrisie dans l’universalisme colour blind à la française avec ses ancêtres gaulois rétroactifs, mais les identitarismes rageux, les communautarismes juxtaposés, par lesquels il sera bientôt remplacé nous le feront certainement regretter.

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